Journée internationale de la liberté de la presse : Fodé Tass Sylla à Guineematin

Fodé Tass Sylla, directeur de la télévision nationale (RTG)

L’humanité célèbre ce vendredi, 03 mai 2019, la journée internationale de la liberté de la presse. Une occasion qui sera mise à profit pour faire notamment l’état des lieux de la liberté des journalistes à exercer leur métier et des conditions dans lesquelles ils exercent. A cette occasion justement, Guineematin.com donne la parole à certains acteurs du monde médiatique pour parler de la situation de la liberté de la presse en Guinée. C’est le cas de Fodé Tass Sylla, directeur de la télévision nationale.

Décryptage !

Guineematin.com : quel est votre regard sur la liberté de la presse en Guinée ?

Fodé Tass Sylla : lorsque j’observe ce pays depuis 2006, je vois un essor vraiment du paysage médiatique, avec le foisonnement de médias privés : radios, télévisions et sites internet. Et, je constate aussi qu’au-delà de certains chocs qui arrivent entre les dirigeants et les médias, je constate qu’à ce jour, au moment où nous parlons, il n’y a pas un seul prisonnier journaliste, pour délit de presse dans notre pays. Et ça, vraiment, c’est remarquable, il faut le dire. Puisque lorsque j’écoute les radios dans le pays, lorsque je lis certains sites, parfois je me dis, mais ce n’est pas facile notre métier, de fois j’ai peur.

De fois je me dis nous-mêmes qui sommes chargés de garantir la sécurité et la quiétude de cette population par la communication, est-ce que ce n’est pas nous-mêmes qui sommes en train d’enflammer ce pays et l’amener vers l’incendie généralisé ? De fois j’ai peur. Et, nous voyons qu’avec tout ça, le gouvernement traite avec toute l’intelligence possible. Et de fois, on entend parler d’arrestation, dans les heures qui suivent, on entend parler de libération. Donc je me dis que la presse se porte très bien dans ce pays, la liberté de la presse se porte très bien dans ce pays.

Guineematin.com : vous dites que la presse se porte bien. Donc, vous pensez que les journalistes sont suffisamment libres en Guinée ?

Fodé Tass Sylla : je le crois foncièrement en observant ce que je suis en train d’observer sur le terrain. Vous savez, moi, chaque fois je le dis et j’écris sur Facebook, certains pensent que la liberté d’expression, c’est la liberté d’insulter, de s’attaquer aux gens, d’accuser, de raconter des choses qui ne sont pas vérifiées et qui ne sont pas vraies, et de s’en sortir comme ça, impunément, ils pensent que c’est cela la liberté. Non, ce n’est pas ça la liberté d’expression. Votre liberté d’expression ne doit jamais porter atteinte moi, à mon droit de citoyen.

Si votre liberté d’expression que vous, vous pensez sacrée, vient à me vilipender, ou bien à me coller des étiquettes qui ne sont pas et qu’à la vérification on voit que ce n’est pas vrai, mais vous devez subir ce que la loi prescrit à cela. Et ici, si la loi se lève pour prescrire cela à un journaliste, nous nous levons tous par solidarité de corporation pour dire que nous sommes brimés, non ! C’est une question de responsabilité sociale du journaliste lui-même.

Guineematin.com : vous dites que vous avez souvent peur. Qu’est-ce qui vous fait peur ? Que reprochez-vous aux Hommes de médias guinéens dans l’exercice de leur métier ?

Fodé Tass Sylla : ce que je reproche aujourd’hui aux Hommes de médias : un, j’ai honte quand je sens que l’outil principal du journaliste n’est pas maîtrisé, c’est-à-dire la langue de communication, j’ai honte pour mon métier. Parce qu’un journaliste est censé être la quintessence de ce que le public a, c’est-à-dire le meilleur de ce qu’il a. Quand lui il communique, c’est le journaliste qui communique. Et là, tout le monde se dit que c’est la voix de l’évangile ou c’est la voix du coran. Donc, celui-là doit maîtriser la langue de communication. Malheureusement, ce n’est pas le cas. J’ai toujours honte lorsque je sens que le journaliste agresse la grammaire et le vocabulaire. Ça, ça se pratique.

Et, quand on le dit, les intéressés montent sur leurs ergots pour crier alors qu’ils devraient être humbles, avoir honte et retourner à l’école pour apprendre, pour mériter ce métier. Ensuite, je vois beaucoup d’errements, alors que le journaliste, en tout cas nous, ce que nous croyons être du journaliste, n’est ni un procureur de la République, ni un gendarme, ni un policier. Il n’est pas là pour donner des jugements complètement finis et donner des jugements complètement ficelés.

Alors qu’ici, à écouter certaines émissions interactives ou à lire certains sites, je vois des condamnations directes, des accusations directes. Et, les journalistes se mettent en senseurs de conscience des autres et ils s’imposent en procureurs, ils font des plaidoiries, ils accusent, ils condamnent et puis personne ne peut leur répondre. Et, si c’est vérifié que c’est faux, ça trouvera que le mal est déjà fait. Même si on a un droit de réponse, mais ça trouve que le mal est déjà fait. Ça, ça me fait mal.

Et, je reproche à notre corporation de ne pas toujours chercher à vérifier l’information, à recouper l’information et d’être très sûr de ce que nous donnons comme information. Et, à se retenir toujours de vilipender les personnes, d’accuser les personnes, de juger les personnes, sans être sûr de ce que nous disons.

Guineematin.com : à l’endroit des autorités guinéennes aussi, est-ce que vous avez des reproches ? On sait quand même que la Guinée a perdu quelques places dans le dernier classement de Reporters Sans Frontières sur la liberté de la presse.

Fodé Tass Sylla : non, je n’ai pas de reproches à l’endroit des autorités guinéennes. Nous n’avons pas les mêmes calibres d’observation. Et exactement, je n’ai pas les mêmes conclusions que les ONG. Lorsqu’on me dit que la Guinée est à la queue du classement de RSF, je dis à la queue de quoi ? Pare que moi, je n’ai aucun complexe, je n’ai pas d’influence envers ces ONG qui se disent qu’elles sont en train de faire un classement des médias dans le monde. Ils influencent ceux qui les influencent. Moi, je n’ai aucun complexe, je ne considère même pas le classement de ces ONG, la Guinée est à la queue de rien.

Guineematin.com : concrètement, qu’est-ce qu’il faut, selon vous, améliorer aujourd’hui chez les hommes de médias ?

Fodé Tass Sylla : il faut les former ! Il faut les former et les emmener à se respecter. Comment ? En maîtrisant d’abord la langue de communication. Ensuite, en maitrisant les ressorts du métier, ensuite en maitrisant les textes de loi qui régissent leur métier. Il faut les ramener modestes, il faut qu’ils sachent que ce ne sont pas eux qui façonnent le monde, il faut qu’ils sachent que le destin de la Guinée n’est pas inscrit sur leurs misérables nombrils. Le journaliste doit être modeste, il n’est qu’un médiateur, prendre à la source et diffuser.

Le journaliste, ce n’est pas lui qui régit la vie des autres. Il est là juste pour chercher l’information, diffuser généralement d’ailleurs, à travers des outils qui ne lui appartiennent pas. Le journaliste doit être modeste. Il doit savoir que lorsqu’il parle à un micro, c’est que lui seul est en position de diffusion, il a avec lui un outil qui transmet à des millions et des millions d’oreilles. Il doit respecter ces oreilles-là qui ne lui appartiennent pas, qui sont des citoyens qui ne sont pas à ses ordres.

Il doit d’abord tempérer son ton, il doit arrêter de vociférer, de crier partout. Il doit être sage et il doit surtout ne pas être incorrect. Il doit savoir qu’il n’est rien d’autre qu’un médiateur entre la source de l’information et les oreilles qui l’écoutent. Ce n’est pas lui qui mène le monde, il n’a pas le destin des autres sur son misérable nombril.

Entretien réalisé par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

Facebook Comments Box