Accès à l’information publique, délit de presse, cybercriminalité… ce qu’en dit Iboun Conté

Moussa Ibnou Conté

La non-promulgation de la Loi d’Accès à l’Information Publique préoccupe le monde des médias dans un contexte où tout est verrouillé en Guinée. Cette loi, engagée depuis 2010 au temps du Conseil National de la Transition (CNT), n’avait pas fait l’objet d’une attention soutenue et l’on se demande pour quelles raisons. « Elle a été tout simplement abandonnée et puis égarée entre l’Assemblée Nationale et le Secrétariat Général du Gouvernement », soutient le journaliste Moussa Iboun Conté.

Dans un entretien accordé à Guineematin.com, Iboun Conté est revenu sur les travaux effectués par le comité de suivi de la Loi d’Accès à l’Information Publique dont il assure la présidence, ainsi que sur les menaces qui pèsent sur les journalistes en ce moment.

Guineematin.com : la Loi d’Accès à l’Information Publique n’est jusque-là pas promulguée. Vous êtes le président du comité de suivi de ladite loi, comment en est-on arrivé là ?

Moussa Iboun Conté : la Guinée s’est engagée depuis 2010 à mettre en œuvre la Loi d’Accès à l’Information Publique et de faire partie des 145 pays au monde qui mettent en œuvre cette loi d’accès à l’information publique. Il faut reconnaitre que la Guinée, après le Maroc, est le deuxième pays en Afrique et premier en Afrique de l’Ouest. Et, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, s’inspirent du modèle guinéen pour que ces pays-là puissent se doter de la loi d’accès à l’information publique. Donc, le processus a commencé en 2010. Mais, il faut reconnaitre que le projet d’accès à l’information publique fait partie de ce lot de lois que le Conseil National de Transition (CNT), qui faisait office de parlement sous le régime militaire, qui a conçu 71 articles, dont la loi d’accès à l’information publique. Mais seulement, c’est la loi d’accès à l’information publique qui n’a pas fait l’objet d’attention de la part des membres du CNT, soit au nombre de 154 membres. Donc, les 70 autres ont fait l’objet de suivi jusqu’à leur publication officielle. Mais, la loi d’accès à l’information publique n’a pas bénéficié du même traitement de la part des membres du CNT. Donc, cette loi a été abandonnée et puis elle a été égarée entre l’Assemblée Nationale et le Secrétariat Général du Gouvernement. Et, il a fallu reprendre le processus à zéro et puis aller fouiller dans les archives du CNT. Et, en fouillant dans les archives du CNT, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas la moindre trace d’aucune des 71 lois que le CNT a conçues et adoptées. Donc, il fallait partir au secrétariat général du gouvernement et là aussi, il n’y avait pas de trace de cette loi.

Guineematin.com : au regard de ce constat, qu’est-ce qui a été fait ?

Moussa Iboun Conté : c’est ce qui nous a amenés finalement, avec l’appui de nos partenaires au développement, notamment la fondation OSIWA et d’autres, de réunir tous les acteurs de la société civile et les professionnels de l’information de notre pays et les juristes aussi pour mettre en place un comité de suivi de la loi sur l’accès à l’information publique. Cela, pour qu’on puisse déboucher sur une version définitive, parce qu’il y avait beaucoup de versions sur la loi d’accès à l’information publique qui étaient en circulation. Donc, ce comité a pris attache avec les pouvoirs publics : le directeur de cabinet à la présidence de la République, Dr Ibrahima Kalil Kaba, un comité de travail a été mis en place et c’est cette commission qui était présidée par l’actuel ministre d’Etat à la justice par intérim, conseiller du président de la République, Elhadj Mohamed Lamine Fofana, dont les travaux ont débouché sur une version définitive qui est actuellement portée par le ministère de la Fonction publique… Et, selon les informations dont nous disposons, c’est que la loi-là devait passer en conseil des ministres dès le 19 juillet. C’est après cela que ce projet de loi d’accès à l’information publique va passer à l’Assemblée nationale sous forme de projet de loi.

Guineematin.com : quel changement cette loi va apporter concrètement, notamment dans l’accès à l’information publique aussi bien pour les journalistes que pour le citoyen Lambda ?

Moussa Iboun Conté : ça va déboucher sur des innovations en matière d’accès aux documents administratifs et aux données personnelles. Vous savez, il y a un certain nombre de données qui sont répertoriées dans la loi d’accès à l’information publique : vous avez toutes les organisations constitutionnelles, vous avez aussi tous les départements ministériels, vous avez aussi les sociétés où l’Etat guinéen est actionnaire qui font partie des champs d’action de la loi d’accès à l’information publique. Il suffit seulement que le citoyen manifeste le désir d’avoir accès à un document administratif, que ça soit le rapport, que ça soit le bilan, que ça soit le rapport de mission, quel que soit la nature de l’information, il suffit seulement que le citoyen fasse seulement une demande à travers un courrier écrit, adressé à l’entité, pour que le journaliste puisse avoir accès à l’information. Il est même prévu dans le processus d’élaboration de la loi d’accès à l’information publique, qu’il va y avoir même une source de création de l’emploi, que chaque organisation, que chaque département ministériel, que chaque société où l’Etat est actionnaire puisse se doter d’un conseiller chargé de l’information. C’est quelqu’un qui sera-là, qui est rémunéré et qui a un bureau bien aménagé, chez qui le citoyen va se présenter, chez qui le journaliste va se présenter et demander des informations. Il est même prévu dans la loi d’accès à l’information publique qu’en cas de refus de donner l’information demandée par le citoyen et/ou le journaliste, que le citoyen ou le journaliste pourrait porter plainte contre le chargé de communication ou-bien le premier responsable de l’entité. Mais, c’est après avoir fait des recours qu’on appelle recours hiérarchiques. Si l’employé refuse de vous donner l’information, vous allez passer par le directeur national, vous pouvez passer par le président de l’institution, vous pouvez passer par le ministre ou auprès du directeur général de la société. Si ça ne marche pas là-bas, vous allez faire un recours gracieux auprès du médiateur de la République. Si ça ne marche pas, vous avez la latitude de porter plainte chez le juge de référé, parce qu’il s’agit de documents importants. Parce que, comme vous le savez, l’information est une denrée périssable. Donc, c’est pourquoi on a préféré opté pour la procédure du référé pour que la citation soit accélérée et que le citoyen puisse avoir accès à l’information. Vous avez aussi certains documents d’informations qui sont liés à la vie des personnes, c’est pourquoi on a préféré conseiller la procédure des référés. Donc, c’est une loi qui est extrêmement importante et ça fait partie des instruments aujourd’hui qui donnent une autre image à notre pays. Je rappelle que le président de la République, le professeur Alpha Condé, a une fois fait une communication là-dessus, en disant que la loi d’accès à l’information publique fait partie de l’arsenal juridique institutionnel que notre pays a mis en place pour lutter contre les détournements et la corruption. Donc, ça fait partie des outils pour la promotion de la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion des affaires publiques…

Guineematin.com : au cas où un responsable d’une entité refuserait de donner l’information recherchée par un journaliste ou par un citoyen, est-ce qu’il y a des sanctions qui sont prévues par cette loi ?

Moussa Iboun Conté : oui, il y a eu un débat, c’était le point sur lequel nous avons beaucoup retardé avec les acteurs de la société civile, notamment la section guinéenne d’Amnesty et l’Association des Blogueurs de Guinée. On a aussi discuté avec les représentants des pouvoirs publics dans la commission, c’était vraiment des points d’achoppement. Mais finalement, ils ont pris la loi sur la liberté de la presse. Ils ont dit que cette loi ne prévoit pas des peines d’emprisonnement, pourquoi vous voulez qu’il y ait des peines d’emprisonnement pour un fonctionnaire qui refuserait de donner des informations ? On a dit ce n’est pas la même chose parce que la loi d’accès à l’information publique a fait des renvois dans le code pénal et des peines privatives de liberté jusqu’à cinq (5) ans de prison ferme au cas où il refuserait de donner des informations. Finalement, on est arrivé à un consensus que de retenir la peine d’amende parce qu’il faut tenir compte du contexte guinéen. Donc, tout fonctionnaire qui refuserait de donner de l’information à temps, et après tous les recours hiérarchiques et gracieux, s’il y a toujours le refus, on va aller chez le juge du référé et là, la décision qui sied, c’est une peine d’amende. Et, il a été décidé que la peine d’amende soit axée sur la moitié du salaire du fonctionnaire qui refuserait de donner l’information.

Guineematin.com : l’autre préoccupation des hommes de médias, c’est que les magistrats guinéens se passent de la loi L002 sur la liberté de la presse et se basent sur la loi relative à la cybercriminalité pour poursuivre les journalistes. Cette loi, contrairement à la loi L002, prévoit une peine privative de liberté. Comment réagissez-vous ?

Moussa Iboun Conté : bon, il faut reconnaitre qu’au-delà de ce statut que vous évoquez, nous sommes tous préoccupés par la situation qui prévaut aujourd’hui dans la pratique du métier dans notre pays. C’est pourquoi, nous à l’époque, quand la loi sur la cybercriminalité a vu le jour, nous avons fait une réflexion qu’on avait envoyée au niveau de la Haute Autorité de la Communication (HAC), pour leur dire que le conseil de sécurité informatique venait grappiller sur les domaines de compétence de la Haute Autorité de la Communication. Parce que, vous avez toute une section qui est consacrée à la régulation de la presse en ligne, qui est dans la loi sur la liberté de la presse. Une réflexion a été faite dans ce sens, des propositions concrètes ont été faites à la Haute Autorité de la Communication, mais qui a manqué de suivi et d’audace de la part de la HAC. C’est pourquoi aujourd’hui, et le journaliste qui utilise sa page Facebook comme moyen de communication, et l’autre qu’on appelle journaliste citoyen, tous sont exposés aujourd’hui à cette loi sur la cybercriminalité. Parce qu’il faut rappeler, c’est une loi extrêmement liberticide, c’est une loi qui est même attentatoire à la liberté d’expression dans notre pays, parce que la peine minimale au niveau de la loi sur la cybercriminalité, c’est un an de prison ferme, et l’amende minimale, c’est 100 millions de francs guinéens. Et vous savez qu’aujourd’hui, toutes les entreprises de presse dans notre pays tournent à perte et aujourd’hui les citoyens tirent le diable par sa grosse queue. Donc, quand on vise cette loi, ça veut dire que la prison est ouverte pour les journalistes. Chaque journaliste qui utilise sa page Facebook comme moyen de communication ou chaque citoyen qui utilise sa page Facebook comme moyen de communication est aujourd’hui inquiété.

Guineematin.com : que doit-on faire alors pour éviter le pire ?

Moussa Iboun Conté : il faudrait franchement qu’il y ait une synergie d’actions, comme les avocats sont en train de se battre, il faudrait que les associations, puisque entre la loi spéciale et la loi organique, c’est la loi organique qui prime. Et la loi sur la liberté de la presse est une loi organique, donc le journaliste de la presse en ligne, s’il y a un délit commis au niveau de la presse en ligne, c’est la loi sur la liberté de la presse, la loi L002 du 22 juin 2010 qui sied. Et quand c’est la page Facebook du journaliste qu’il a utilisé, je crois qu’il faut sensibiliser le juge. Parce que le plus souvent, quand c’est comme ça, le juge a le choix sur deux lois. En tout cas nous, on a lutté contre la loi sur la cybercriminalité, on n’a pas voulu que cette loi voit le jour. Parce que quand c’est le cyber espace, quand c’est la page Facebook que le journaliste utilise qui est épinglée par le délit et ça c’est extrêmement difficile. Donc, il faudrait jouir des astuces, il faut avoir aussi des avocats bien avertis et puis aguerris en la matière pour amener le juge… parce que le juge a le choix sur la loi spécifique et la loi organique. Et là-dessus, j’avoue que quand c’est la page Facebook, il faut reconnaitre que c’est la loi sur la cybercriminalité qui sied. C’est pourquoi, il faudrait lutter contre l’émergence de cette loi. Mais, il faut reconnaitre qu’il a manqué de vigilance et d’audace de la part de la Haute Autorité de la Communication.

Entretien réalisé par Ibrahima Sory Diallo et Alpha Kanso pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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