Affaire ministère public contre Mohamed Bangoura et Fodé Baldé : « c’est le procès de la honte » dixit Me Béa

Maître Salifou Béavogui, avocat

Le procès du journaliste Mohamed Bangoura et l’homme politique, Fodé Baldé, est visiblement loin de connaitre son épilogue au tribunal de Kaloum. Ouvert le 15 juillet dernier devant cette juridiction de première instance, ce procès a connu de nombreux reports (parfois à la demande de la défense) ; et, alors qu’on s’acheminait vers les réquisitions et plaidoiries des parties au procès, le ministère public a formulé ce jeudi, 01 Août 2019, une demande de « réouverture des débats » dans cette affaire politico-judiciaire. Une demande à laquelle le conseil de la partie civile a pleinement adhéré ; mais qui a fait réagir les avocats de la défense. Ces derniers dénoncent un « procès de la honte » qui est devenu « un embarras » pour le tribunal.

Guineematin.com vous propose ci-dessous la réaction de Me Salifou Béavogui, au sortir de cette audience.

« Il faut oser dire les choses. C’est sur instruction du parquet général que nos clients ont été interpelés, alors qu’il y a des procureurs qui doivent engager les poursuites. Donc, nous avons dit que conformément aux articles 41, 42 et autres du code de procédure pénale, il n’y avait pas de raison juridique pour que le parquet général saisisse directement les officiers de police judiciaire. Nous avons insisté et persisté, nous avons même soulevé la nullité de la procédure. Me Mohamed Traoré (ancien bâtonnier de l’ordre des avocats) a soulevé l’inapplication de la loi qui est poursuivie en cybercriminalité. Un de mes confrères a insisté sur le fait qu’il y a un journaliste dans la procédure et qu’il faillait utiliser la loi sur la liberté de la presse. Nous n’avons jamais été compris. Mais, nous avons compris que c’est un procès politique. Nous sommes devant une juridiction de droit commun, mais c’est un dossier vide qui ne renferme en réalité aucune charge. C’est devenu un embarras, un dossier sur la base duquel on ne peut entrer dans aucune condamnation.

En réalité, nos clients ont juste exercé un droit constitutionnel, lié à la liberté d’expression, prévue par l’article 7. Ils ont exprimé leur point de vue par l’écrit, sur une question qui était déjà sur la place publique. Donc, il ne devait pas y avoir de poursuite. Parce que s’il devait y avoir des poursuites, les premiers qui ont parlé de cette situation-là et qui sont bien connus, il faut oser le dire, il s’agit de certains communicants qui se disent être de la mouvance présidentielle, c’est eux qui devaient répondre. Parce qu’en réalité, il faut dire la vérité pour construire notre pays…

Aujourd’hui, le tribunal à un dossier qui l’embarrasse. L’audience d’aujourd’hui par exemple est une perte de temps. Ils ont voulu prendre le dossier hier ; mais, mes confrères qui sont là ont bataillé dur pour obtenir le report. Maintenant, nous nous sommes convenus tous de prendre ce dossier aujourd’hui (jeudi). Ce matin, le parquet demande la réouverture des débats. Parce qu’il s’est rendu compte que les arguments qu’il a avancé ne peuvent convaincre ni la défense, ni le tribunal. Et, nous nous étions sur le point de démonter point par point toutes les accusations. Donc, nous, nous sommes opposés à cette demande de rabattement du délibéré. Le procureur gère un dossier qu’il n’a pas été en réalité le déclencheur. On lui a donné un dossier qu’il aurait pu classer sans suite, sans se rabaisser procéduralement. Parce que la loi a tout prévu. Mais, il a décidé d’en faire un procès et voilà que le procès l’amène dans la honte. C’est le procès de la honte. Un procès dans lequel il n’y a aucun élément de preuve…

Contre toute attente, madame la présidente a estimé qu’on est en congé et qu’elle aurait pris une ordonnance. Elle a pris la responsabilité de renvoyer le dossier au 09 Septembre. Tout cela nous donne à réfléchir et nous fait bien rire. De toutes les façons, nous, nous sommes tranquilles. Nous savons que nous avons des innocents que nous allons défendre jusqu’au bout. Parce qu’en Guinée, chacun est libre de manifester son opinion, conformément aux lois et à la réglementation. On ne peut pas intimider, persécuter, arrêter, pourchasser, poursuivre, juger, menacer un citoyen qui n’a fait qu’exprimer son opinion face à une situation qui était déjà sur la place publique. On ne peut pas accepter le deux poids deux mesures dans notre pays. Il ne peut y avoir de procès. Il n’y a pas de matière à poursuivre. Il n’y a pas d’infraction. Nous l’avons toujours dit et nous sommes formels et catégoriques. Nous sommes prêts à aller jusqu’à la CEDEAO dans cette affaire. Parce que nous n’allons pas accepter que des guinéens soient condamnés pour avoir exprimé leurs opinions, pendant qu’à longueur de journée, d’autres personnes expriment leurs opinions dans un sens comme dans l’autre, sans être inquiétées ».

Rappelons que dans cette affaire, Mohamed Bangoura et Fodé Baldé sont poursuivis pour « injures, diffamation, production, diffusion et mise à disposition de données de nature à troubler l’ordre et la sécurité publics ou à porter atteinte à la dignité humaine par le biais d’un système informatique, divulgation de fausses informations par le biais d’un système informatique et complicité ». Et, le président de la République de Guinée, le Professeur Alpha Condé, représenté par l’agence judiciaire de l’Etat, est partie civile dans ce dossier politico-judiciaire.

A suivre !

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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