Protection civile : un seul service de secours avec un seul camion d’incendie pour toute la commune de Ratoma

Les sapeurs-pompiers jouent un rôle prépondérant dans un pays. Puisque ce sont eux qui sont chargés de secourir les citoyens quand ils sont victimes d’incendie. Mais en Guinée, les services publics de protection civile n’ont pas bonne presse aux yeux de l’opinion. Car dans la plupart des cas, ils ne parviennent pas à répondre aux attentes des populations qui sollicitent leur aide. Qu’est-ce qui explique ce manque d’efficacité ?

Un reporter de Guineematin.com a posé la question au commandant Mohamed Camara, responsable du service d’incendie et de secours de la commune de Ratoma. Ils ont abordé le fonctionnement de ce service et les difficultés auxquelles il est confronté.

Décryptage !

Guineematin.com : votre service est d’une importance capitale puisque vous êtes censés secourir les personnes qui sont victimes d’incendies. Mais, sur le terrain, les citoyens sont loin d’être satisfaits de votre travail. On vous accuse notamment d’intervenir le plus souvent en retard. Pourquoi cette lenteur ?

Commandant Mohamed Camara : vous savez, actuellement, on a assez de difficultés surtout sur le plan matériel. Parce que si vous prenez la commune de Ratoma, elle est la deuxième plus grande comme de Conakry. Donc, avec toute cette population, on a qu’un seul camion d’incendie opérationnel. On a aussi une ambulance et une camionnette à double usage, c’est-à-dire qu’on peut s’en servir pour transporter des corps tout comme des matériels.

Si l’ambulance n’est pas opérationnelle, on utilise la camionnette pour transporter les corps. Mais, si ça coïncide qu’il pleut, on ne peut pas transporter les corps dedans puisqu’on ne peut pas mettre le corps à ciel ouvert sous la pluie. Donc ce sont les trois véhicules que nous avons dans la commune Ratoma pour le moment.

On est en manque de beaucoup de matériels de travail. Les immeubles ne font que pousser et nous n’avons de camion à échelle. Par exemple, s’il y a le feu au cinquième étage d’un immeuble et que le camion que nous avons ici ne peut pas éteindre le feu, il nous faut des camions à échelle pour nous faciliter d’accéder aux étages supérieurs.

On a aussi besoin de plus de citernes à eau, parce que même si on vient trouver que la maison touchée par l’incendie a été brûlée, ce sont les camions à eau qui nous permettent de limiter les dégâts. Et puis, nous sommes vraiment en manque de bouches d’eau. Ceux qui disent que les sapeurs-pompiers viennent en retard, ils ont parfois raison, mais ils ne savent pas les difficultés que nous avons ici. Souvent, on n’a même pas d’eau dans la citerne.

Dans toute la commune de Ratoma, il n’y a qu’un seul service d’incendie et de secours avec un seul camion  d’incendie et une ambulance. L’équipement, il n’y en a pas c’est ça la réalité. Sinon, la formation des gens ne fait pas défaut ici, mais ce sont les matériels qui manquent. Mais, avec le peu de matériels que nous avons, on se débrouille à secourir les gens en attendant d’avoir plus de moyens. On a des promesses de la part de notre direction, de l’Etat, de la coopération française qui nous appuie beaucoup. On espère que ces promesses vont se concrétiser pour qu’on puisse être plus efficaces.

Guineeamatin.com : vous dites que vous avez un seul camion-citerne. Combien de litres d’eau peut contenir ce camion ?

Commandant Mohamed Camara : le seul camion-citerne que nous avons ici à Ratoma, ne prend seulement que 3000 litres. Et, il n’y a pas de poteaux d’incendie ni de bouches d’incendie là où on peut tirer de l’eau de façon urgente. Si vous remplissez le camion ici et vous bougez pour aller intervenir à Kagbelen, vous perdez combien de litres d’eau avant d’arriver à destination ?

Et quand nous utilisons les deux lances, on peut utiliser plus de 700 litres par minute. Quand on calcule ça, on aura combien de litres durant 30 minutes ? Ça ne va pas suffire et les gens ne comprennent pas tout cela. Ils vont dire que les pompistes sont venus, mais ils n’ont pas d’eau. Pourtant, nous, on ne gare jamais la citerne sans la remplir.

Mais, où il faut prendre de l’eau ? Soit il faut aller jusqu’à la rivière de Kakimbo, soit à l’aéroport. Ce sont les deux endroits où on fait le remplissage du camion-citerne. Parfois, vous arrivez à Wanindara, vous trouvez que l’eau est finie, il faut encore reprendre la voiture pour revenir à Kakimbo. Durant tout ce temps, les gens vont dire qu’on ne veut pas travailler. Souvent, on est obligés de faire appel aux autres centres comme Matoto et Kaloum pour venir nous aider.

Parce qu’on sait la quantité d’eau que nous avons ne peut pas servir la commune de Ratoma. Dans les autres pays, on n’a même pas besoin de déplacer le camion-citerne puisque qu’il y a des bouches d’eau un peu partout. Il suffit seulement d’envoyer le camion à échelle et les motopompes  pour brancher à la bouche d’incendie et travailler.

Guineematin.cm : combien de personnes travaillent dans ce service ?

Commandant Mohamed Camara : l’effectif total ici, c’est 116 éléments, dont 90 hommes et 26 femmes. Comparativement à la superficie de Ratoma 62km2 avec une population de 776 770 habitants, 34 quartiers, 211 secteurs et 504 carrés. Donc protéger toutes cette population avec un seul camion d’incendie, ce n’est pas facile.

Nous demandons vraiment de l’aide, pas à l’Etat seulement, mais à toutes personnes qui souhaiteraient nous aider : les organisations humanitaires notamment. Nous sommes au service de la population mais la population doit savoir aussi nos difficultés. Ils doivent cesser de lancer les cailloux sur les agents, ils  n’ont qu’à se mettre à l’idée que nous sommes là pour les protéger.

Nous ne sommes pas contre eux, et surtout notre service est gratuit. Quelqu’un qui vient te secourir dans les situations difficiles et tu t’attaques à lui, ce n’est pas les pompiers qui mettent le feu, nous nous venons pour intervenir. Ils nous confondent souvent aux policiers, mais tout cela est lié au manque de sensibilisation et d’information. Parce que si la population est bien informée de nos difficultés concernant les équipements et aussi l’Etat de la route et les embouteillages, ils vont comprendre. Mais c’est à nous de leur expliquer tout ça.

Guineematin.com : quel est le pourcentage de vos interventions sur le terrain pour cette année par exemple ?

Commandant Mohamed Camara : les statistiques d’intervention en secourisme, en extinction et en transport de corps, pour les mois de janvier, février et mars, c’est 54% d’intervention. Pour le deuxième trimestre, les mois d’avril, mai et juin, c’est 41% d’intervention. Ça explique largement, malgré nos faibles moyens, que nous sommes en mouvement.

Guineematin.com : il y a parfois des agents qui se blessent sur le terrain pendant les interventions. Comment se fait leur prise en charge ?

Commandant Mohamed Camara : depuis qu’on a commencé à travailler ici, beaucoup de nos agents ont été blessés. Pour cette année, nous avons enregistrés 3 cas de blessures. Pour l’année passée, on ne peut pas déchiffrer le nombre exact parce que les gens confondent les sapeurs-pompiers et la politique. Ils s’attaquent à nous avec des cailloux, ils ne savent pas faire la différence entre la tenue d’un policier et la tenue des sapeurs-pompiers. Dès qu’ils vous voient, ils ne cherchent pas à savoir d’où venons-nous et ils s’attaquent directement à nous.

Quand même, quand il y a des blessés, on remonte la liste au niveau du département, c’est la direction qui s’occupe des blessés.  Tout ce que nous traversons ici, le ministère est au courant de tout. Parce que nous remontons toutes les informations et souffrances que nous traversons ici. Avant de faire quoi que ce soit, nous informons la hiérarchie. Donc, ils savent ce qui se passe ici. Et ils font ce qu’ils peuvent faire pour nous.

Guineematin.com : avez-vous un message à passer à l’endroit des citoyens ?

Commandant Mohamed Camara : ce que je peux dire à la population, c’est de ne pas s’en prendre aux sapeurs-pompiers, car cela n’est pas la solution. S’ils sont venus en retard, c’est qu’ils ont des raisons. En plus des problèmes de matériels et du manque d’eau qu’on a, il y a des cas d’embouteillages. Dans la circulation, on dit de faire deux lignes, mais on peut tomber parfois sur 4 lignes sur la route.

A pareilles circonstances, comment les sapeurs-pompiers peuvent passer même s’il y a un cas d’urgence ? Donc, notre retard est dû parfois à l’embouteillage et à la distance. Nous, nous leur demandons de nous comprendre surtout la situation du terrain nous pose problème.

Interview réalisée par Mohamed DORE pour Guineematin.com

Tel : 622 07 93 59    

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