Criminalité à Mamou : autorités et citoyens divergent sur la question (reportage)

Plus de deux ans après le début des audiences criminelles au tribunal de première instance de Mamou, la criminalité règne toujours dans la ville carrefour. Les braquages à main armée sur les axes routiers, les cas de viol sur mineures, les assassinats, sont encore récurrents. Et, sujet divise selon qu’on soit décideur ou simple citoyen, rapporte un journaliste de Guineematin.com qui est en séjour à Mamou.

Située à près de 300 kilomètres de Conakry (la capitale guinéenne) sur le contrefort montagneux du Fouta Djallon (en Moyenne Guinée), la préfecture de Mamou s’est illustrée ces dernières années par une criminalité galopante. A cause de sa position stratégique (ville carrefour), Mamou est le passage obligé de centaines de personnes qui quittent la Guinée profonde pour la capitale, Conakry (ou inversement).

Malheureusement, au lieu d’être un pôle économique d’attraction, cette ville cosmopolite fait peur aux personnes qui la traversent. Ce, à cause des braquages à main armée (dont certains se soldent par des bains de sang) qu’on enregistre souvent sur ces axes routiers. Le dernier cas en date s’est produit le 20 août dernier à Fello-Sorè, une localité située à environ 15 kilomètres du centre-ville de Mamou, sur la route nationale N°1 Mamou-Kindia. Et, selon les témoignages, ce sont cinq assaillants, armés de fusils PMAK, qui ont attaqué un véhicule en provenance de Conakry pour Labé. Ces malfaiteurs ont emporté près de 30 millions de francs guinéens et des objets de valeur qu’ils ont retirés des mains des citoyens qui étaient à bord de ce taxi brousse.

« Les bandits étaient sur deux motos. Ils ont tiré sur le pneu arrière de mon véhicule, puis ils m’ont mis dans le coffre avant de conduire le véhicule dans la brousse où ils ont pris tout ce que mes passagers et moi détenions », avait relaté le chauffeur, Amadou Talibé Diallo.

En plus de ces braquages (qui se produisent parfois après une longue filature), les cas d’assassinats et de viol de petites filles font légion. La présence massive des agents des forces de défense et de sécurité dans cette ville que certains appellent ‘’la Guinée en miniature’’ n’a pas l’air de dissuader les bandits. Ces derniers opèrent et font des victimes, sans grand répit.

Le 31 juillet dernier, un crime effroyable avait plongé les ‘’Mamounais’’ dans un émoi profond. Il s’agit du viol suivi d’assassinat d’une fillette de 6 ans au quartier Poudrière, dans la commune urbaine de Mamou. « Après avoir violé la fillette, Alpha Oumar Sow (l’auteur présumé de ce crime) a introduit un couteau de cuisine de 22 centimètres de long dans la partie génitale de sa victime… », avait indiqué le parquet du tribunal de première instance de Mamou.

Après la commission des crimes, des auteurs présumés sont parfois arrêtés ; mais, dans la plupart des cas, les malfaiteurs s’évaporent tranquillement dans la nature.

En mars 2017, les audiences criminelles ont démarré au tribunal de première instance de Mamou. Et, depuis cette date, plusieurs personnes accusées de braquage à main armée, de viol, d’assassinat et de meurtre ont défilé devant cette juridiction de première instance. Plusieurs d’entre elles ont été reconnues coupables et condamnées à de lourdes peines de prison (dont la perpétuité pour certaines).

Seulement, deux ans après le début de ces audiences, la criminalité est toujours présente dans la ville carrefour. Et, faute de statistiques disponibles, les autorités (judiciaires et administratives) et les citoyens sont nettement divisés sur les proportions de cette criminalité.

Elhadj Sidiki Camara, procureur de la République près le tribunal de première instance de Mamou

« Aujourd’hui, on a au moins une centaine de décisions criminelles qui ont été rendues par les différents magistrats qui se sont succédé au niveau de ce tribunal. On a eu des condamnations à des peines de 10 ans, 15 ans, 20 ans et même à perpétuité. La déposition de la compétence aux tribunaux de première instance de juger les affaires criminelles a largement contribué à l’amenuisement de la criminalité à Mamou. Parce que vous-même (Guineematin.com) vous le savez, lorsqu’on commençait ces audiences criminelles en 2017, la criminalité était très élevée ici. Il y avait des coupeurs de route qui étaient installés là ; mais, grâce à la synergie d’action avec les forces de sécurité, beaucoup ont été interpellés et jugés. Et, la lutte continue… Actuellement, les coupeurs de route sont un peu vers Conakry et Coyah. Ils prennent les véhicules en filature jusque dans la zone de Mamou pour perpétrer leurs crimes. C’est pour cette raison que le vendredi dernier nous étions en réunion avec les OPJ (officier de police judiciaire). Donc, on a eu l’occasion de rappeler cette situation pour qu’on puisse mettre en place une autre synergie pour pouvoir traquer ces bandits qui quittent ailleurs pour venir faire des crimes chez nous. Mais, comme vous le savez, la criminalité est un fait social. Donc, c’est une lutte continue, une lutte permanente. Vous voyez, par exemple, malgré nos efforts, bien qu’on ait rendu beaucoup de décision dans des cas de viol, les actes de viol sont toujours récurrents. C’est pourquoi nous sommes justement en train de faire des sensibilisations pour que les gens comprennent la gravité de ces infractions », a expliqué Elhadj Sidiki Camara, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Mamou.

Mamadou Alpha Barry, premier vice-maire de la commune urbaine de Mamou

Abordant dans le même sens, Mamadou Alpha Barry, le premier vice-maire de la commune urbaine de Mamou soutient que la criminalité est en baisse dans la ville carrefour. « Par rapport aux années précédentes, il y a une régression de la criminalité, mais elle est toujours présente. Vous avez suivi ce qui s’est passé récemment à la Poudrière où une fillette a été violée et tuée. Il y a quelques jours aussi, on a enregistré une attaque à main armée à Fello-Sorè ici. Heureusement, les bandits n’ont tué personne. Ils ont juste pris les biens des gens. Mais, on peut quand même dire que la criminalité est en baisse », a indiqué cette autorité communale.

Cependant, cet avis est fortement contesté par les citoyens de la ville carrefour. Lors d’un micro trottoir réalisé par la rédaction de Guineematin.com à Mamou, les Mamounais ont dressé un autre tableau de la criminalité dans la ville carrefour.

« C’est toujours la même chose. Chaque fois il y a des braquages, des assassinats, du viol… Même pour une banale question de concubinage, on tue des gens ici. Une enseignante a perdu la vie comme ça au quartier Abattoir. Son copain l’a égorgée en plein jour. Quelques temps après, un autre jeune a aussi tué sa copine vers la Scierie là-bas. On ne peut pas tout citer ici. Regardez ! Beaucoup de coupeurs de route ont été jugés ici ; mais, les attaques continuent encore. On voit tous les jours la BAC N°16 (brigade anti-criminalité) en train de circuler ici ; mais, ça n’empêche pas les bandits d’opérer… C’est la peine de mort seulement qui pourra arrêter les bandits », a expliqué Thierno Sadou Barry, un enseignant de profession.

Sur la même lancée, Elhadj Hamidou Diallo, commerçant, estime que le niveau de la criminalité est intact. « Même s’il y a changement, nous, on ne peut pas le comprendre. Parce qu’on entend chaque fois parler de braquages et d’assassinats. Les gens ont même peur de voyager actuellement avec de l’argent. Je le jure ! Quand vous échangez avec ceux qui voyagent et traversent Mamou la nuit, vous allez comprendre combien de fois ils ont peur de chez nous », a expliqué ce vieux commerçant.

Rappelons qu’en 2016, la criminalité avait atteint un niveau déstabilisant et bouleversant au point que le Gouverneur de la région administrative de Mamou, Amadou Oury Lammy Diallo, avait accusé la justice de libérer prématurément des bandits qui étaient incarcérés.

De son côté, après l’arrestation d’un groupe de présumés coupeurs de route, l’inspecteur régional de la ligue islamique, Elhadj Amadou Kolon Barry, était allé jusqu’à mettre en garde les magistrats qui étaient au TPI de Mamou. « Si j’apprends qu’on a libéré ces gens-là avant la fin de leurs peines (alors que ces bandits n’étaient même pas encore jugés), j’irai rencontrer le président de la République à Conakry pour lui dire comment se comporte la justice à Mamou », avait-il menacé.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

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