Montée des eaux du fleuve Konkouré : pieds dans l’eau, les populations dans l’embarras (Reportage)

Modi Abdoulaye Bah

Les populations qui vivent encore sur le site de Konkouré, dans la sous-préfecture de Kolet (préfecture de Télimélé), frissonnent à l’idée de voir la montée des eaux sur le fleuve Konkouré. Depuis lundi dernier, 23 septembre 2019, ces populations impactées par la construction du barrage de Souapiti ont les pieds dans l’eau. Sur place, la situation est lamentable. Avec cette crue qui met à rude épreuve leur existence, les habitants de ce district sont désemparés, déboussolés et ils s’interrogent plus que jamais sur leur avenir.

Les promesses d’indemnisation du projet Souapiti n’ont visiblement pas été à la hauteur des attentes. Et, la principale question que les « sinistrées de Konkouré » posent tous aux étrangers qu’ils rencontrent, en particulier à l’envoyé spécial de Guineematin.com est de savoir où aller après avoir quitté leurs terres pour toujours ?

Depuis les la fermeture des vannes (le 26 août dernier) du barrage Souapiti, on observe une augmentation du volume d’eau au niveau du fleuve Konkouré. Une eau qui menace de noyer les localités voisines dudit fleuve. Des localités parmi lesquelles se trouve le district de Konkouré (dans la sous-préfecture de Kollet) où quelques citoyens y sont encore, alors que les autres habitants de ce district ont été déplacés et réinstallés dans des sites prévus à cet effet.

Depuis quelques jours, cette minorité non négligeable dort avec la crainte de se réveillée dans l’eau, noyée et emportée par les eaux qui débordent actuellement sur leurs terres. Lundi dernier, ces populations se sont réveillées les pieds dans l’eau. La crue avait envahi certaines habitations proches du ‘’Pont de Konkouré’’ et coupé la route qui mène au marché de ladite localité. Ce même lundi (jour du marché hebdomadaire de Konkouré), les populations qui ont afflué sur Konkouré ont eu du mal à se frayer un chemin pour le marché. Certains hommes ont même préféré aller acheter les condiments à la place de leurs femmes qui ont peur d’être emportées par les eaux.

Ibrahima Sadio Diallo, habitant de Tènè, venu au marché hebdomadaire de Konkouré

« On n’a pas un marché à part ici. Et, aujourd’hui, voici l’eau qui a traversé de l’autre côté. D’ici la semaine prochaine, on ne pourra plus revenir ici. Et, c’est ici (à Konkouré) qu’on achète du pain et des condiments. Donc, si aujourd’hui on voit l’eau traverser le pont, ça veut dire que c’est grave pour nous. La semaine dernière, c’est ma femme qui est venue au marché. Mais, aujourd’hui, c’est moi qui suis venu. Parce que ma femme a peur », a expliqué Ibrahima Sadio Diallo, un habitant de Tènè, venu au marché hebdomadaire de Konkouré.

Assis devant sa boutique, les yeux rivés sur une étendue d’eau qui se trouve à une dizaine de mètres de sa concession, Mamadou Dian Diallo s’interroge sur son sort et exprime sa détermination à rester chez lui tant qu’il n’est pas indemnisé. Ce vieux handicapé de 67 ans et père de 21 enfants dit être prêt à être noyé que de partir sans être indemnisé.

Mamadou Dian Diallo

« Nous sommes ici jusqu’à présent parce que nous n’avons pas été indemnisés. Ils n’ont pas construit nos maisons et nous n’avons pas où aller. Ils ont envoyé l’eau qui est en train de nous envahir ici. Vous voyez que c’est juste 10 mètres qui sépare l’eau du fleuve à ma boutique. Mais, je ne vais aller nulle part avant d’entrer en possession de mon dû. J’ai mes biens et mes avoirs ici. Et, quand l’eau arrivera dans ma boutique, je ne vais rien faire sortir. Je vais bien fermer et je vais aller saisir la justice. Parce que je ne vais pas pardonner. J’ai encore des gamins qui ne peuvent rien faire. D’autres sont dans les écoles à Mamou, Kindia, Conakry et Kankan. Et, leurs frais de scolarité viennent de cette boutique. Donc, s’ils viennent gâter mes biens, je ne vais pas pardonner. Comme ils ne sont pas dans l’incapacité de nous indemniser, qu’ils nous indemnisent alors. Ils nous ont dit de quitter ici. Nous sommes d’accord. Nous n’allons pas prendre le contre-pied du président de la République ; mais, nous n’allons pas quitter sans être indemnisés. Qu’on pleure ou qu’on rit, nous n’irons nulle part sans être indemnisés. S’ils veulent, ils vont nous noyer ou nous larguer des bombes. Nous sommes prêts pour ça ; mais, nous n’allons pas bouger d’ici sans avoir nos dus. J’ai beaucoup de maisons et des magasins ici. Rien de tout ça ne m’a été restitué encore. On me dit de partir pour entrer où ? Ce n’est pas pour manquer du respect au pouvoir ; mais, si je suis là encore, c’est parce que je n’ai pas où entrer à ailleurs. On nous a dit d’aller à Kambanyah. Mais, nous, nous ne voulons pas de Kambanyah ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Ils n’ont qu’à nous indemniser en numéraire, nous allons partir et construire à Kindia. Aujourd’hui, ils ont fini de perturber tout le monde, surtout moi. Je suis presque envahi par l’eau ; et, je n’ai pas où aller avec ma famille et ma marchandise. Maintenant, nous sommes dans leurs mains. Ils n’ont qu’à nous noyer comme c’est ce qu’ils veulent. J’ai 21 enfants, j’ai 67 ans et je suis malade. Je ne peux pas marcher », a expliqué Mamadou Dian Diallo au bord du désespoir.

Non loin de la boutique de monsieur Diallo, un vieil homme, vêtu d’un boubou noir, s’apprête à traverser les eaux pour atteindre le marché hebdomadaire qui n’a pas connu l’affluence habituelle. 82 ans révolus, Modi Abdoulaye Bah, la voix tremblante, le regard rivé sur les eaux qui caressent le soubassement d’un bâtiment qui se trouve au bord de la route, ne comprend pas ce qui leur arrive. « D’ici demain, on ne sait pas à quel niveau sera l’eau. Maintenant, on ne comprend rien dans cette situation. J’ai encore une grande famille ici. Ce qui nous arrive actuellement, on peut dire que c’est la volonté de Dieu, d’une part. Mais, c’est la volonté du gouvernement, d’autre part. Nous acceptons de quitter. Mais, quitter chez nous à leur façon, cela ne nous a pas satisfaits ».

Modi Abdoulaye Bah

Pour cet octogénaire, le district de Konkouré est pitoyable à cause de ce déguerpissement en faveur du barrage de Souapiti. « A l’heure où nous sommes ici, Konkouré est dans un état très malheureux. C’est pitoyable, regrettable et dommage… On demande aux autorités, s’il y a les moyens, pour l’amour de Dieu, ils n’ont qu’à nous donner les moyens pour évacuer les habitants de Konkouré qui restent ici. Parce que ceux qui sont là aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas partir. Ils veulent partir, mais ils n’ont pas les moyens. Moi, j’ai deux familles qui sont à Kondonbofou à l’heure-là. Mais, leurs matériels sont encore dans les concessions qu’elles ont quittées ici. Je peine pour ça ; et, je peine aussi pour les autres qui sont là. Parce qu’il y a encore beaucoup de matériels à Konkouré. Du matériel qu’on ne peut pas jeter comme ça. On pleure aujourd’hui, sérieusement », se désole Modi Abdoulaye Bah.

L’inquiétude est aussi grande chez madame Haoulatou Diallo, une femme qui dit avoir douze bouches à nourrir, sans compter la sienne.

Devant sa boutique qu’elle gère depuis le décès de son mari (il y a quatre ans), la pauvre dame admet avoir bénéficié d’une indemnisation de la part du projet Souapiti. Mais, elle déplore sept chambres manquantes sur les seize qu’elle possède à Konkouré.

Madame Haoulatou Diallo

« On est inquiet. C’est pourquoi nous sommes là encore. Vous avez vu que l’eau nous a déjà encerclés. Je suis là depuis 28 ans. J’ai mes neuf enfants et ma mère qui sont avec moi. Mon mari est décédé depuis 4 ans. J’avais construit quatre maisons. Ils m’ont remboursé deux maisons et ont promis de me restituer les deux autres en numéraire quand ils viendront pour le déménagement. Mais, ils ne m’ont rien donné, pas même un papier. C’est mon mari qui était dans cette boutique que vous voyez ici. Maintenant qu’il n’est plus de ce monde, c’est moi qui la gère. Toute la marchandise que vous voyez ici, je l’ai prise en crédit chez les fournisseurs de mon défunt mari. Ce bar qui est là, c’est ici qu’on gagne quasiment notre subsistance. Les lundis par exemple, je prépare 200 pots de riz que je mets en vente. C’était ça mon quotidien. Maintenant, je ne sais plus quoi faire. Ils nous ont dit de partir dans un endroit où il n’y a pas de route, il n’y a pas de marché. Nous ne connaissons pas ceux qui sont là-bas ; et, ceux-là ne nous connaissent pas aussi. Ce n’est pas se dresser contre le pouvoir ; mais, je suis inquiète. Je n’ai pas où enlever la dépense alors que j’ai douze personnes à ma charge, sans compter ma propre personne. Nous vivons de ce bar et de cette boutique. Monsieur Bah, celui qu’ils disent être à la tête de cette situation, est venu me demander pourquoi je suis là encore. Je lui ai dit le pourquoi. Il m’a ensuite dit de partir, ils vont m’indemniser après. J’ai dit d’accord ; mais, pour preuve que vous allez m’indemniser, donnes-moi un papier comme ce fut le cas pour les autres maisons. Il a répondu qu’il n’a pas de papier à me donner. Il m’a ensuite dit de faire confiance à la société. Quelle société ? Je ne connais pas le nom de la société, je ne connais pas d’où elle vient et ce qu’elle fait. Moi, je ne suis pas lettrée. Donc, je ne peux faire confiance qu’au papier qu’ils vont me donner… Je ne vais pas les accuser. J’avais seize chambres ici. Ils ont construit neuf chambres pour moi à Kambanyah. Donc, il reste sept chambres. Et, ce sont ces sept chambres qui nous opposent jusqu’à présent…», a expliqué madame Haoulatou Diallo.

Dian Baïlo Bah

Rencontré au marché hebdomadaire de Konkouré par l’envoyé spécial de Guineematin.com, Dian Baïlo Bah, 78 ans, se lamente sur son triste sort. Partagé entre partir sans rien trouver ailleurs et rester à Konkouré pour être noyé par les eaux du fleuve, ce septuagénaire est dans l’embarras. « Ils ont construit à Kambanyah ; mais, je n’ai pas vu ma maison là-bas. Ils ont dit qu’ils vont prendre une maison en location pour moi, en attendant qu’on construise ma maison. Je suis à Konkouré encore, parce que je n’ai pas où aller, je n’ai pas où mettre mes biens. Et, pourtant, l’eau est en train de monter petit à petit. On se demande vraiment comment faire. J’ai une famille d’au moins 20 personnes », a indiqué Dian Baïlo Bah.

A l’image de nos présents interlocuteurs, nombreuses familles sont dans le désarroi à Konkouré. Et, pour se tirer d’affaire, ces « sinistrés du barrage Souapiti » sollicitent l’intervention du président de la République. En attendant ce « sauveur », les plus proches du pont se contentent, pour l’instant, d’avoir les pieds dans l’eau.

A suivre !

De Kindia, Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

Tél. : 622 97 27 22

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