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10 ans après les massacres du 28 septembre : ce que Me Hamidou Barry demande pour les victimes

Maître Elhadj Hamidou Barry, avocat à la Cour et président de la Coalition Guinéenne pour la Cour Pénale Internationale
Maître Elhadj Hamidou Barry, avocat à la Cour et président de la Coalition Guinéenne pour la Cour Pénale Internationale

Dans quelques heures, les guinéens vont célébrer la date historique du 28 septembre. Une date qui marque à la fois le Non de la Guinée à la communauté franco-africaine et le massacre de plus de 150 guinéens par d’autres guinéens à l’occasion d’une manifestation des forces vives de la Nation contre la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir à la mort du président Lansana Conté le 22 décembre 2008. Dix ans après les massacres du stade du 28 Septembre, ce dossier peine encore a être jugé.

Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com, le weekend dernier, Maître Elhadj Hamidou Barry, avocat à la Cour et président de la Coalition Guinéenne pour la Cour Pénale Internationale, s’est prononcé sur l’évolution du dossier. Ce secrétaire des affaires juridiques de l’OGDH (Organisation Guinéenne pour la Défense des Droits de l’Homme) et avocat des victimes du massacre du 28 septembre a mis l’occasion à profit pour exhorter le gouvernement guinéen à penser à indemniser les victimes de ces massacres qui meurent à petit feu.

Décryptage !

Guineematin.com : vous vous apprêtez à commémorer les 10 ans du massacre du 28 septembre 2009. Une décennie depuis que ces massacres ont eus lieu, en tant que conseil des victimes, quels souvenirs vous avez aujourd’hui de ces massacres ?

Maitre Hamidou Barry : quand on parle des massacres du 28 septembre, c’est avec tristesse, c’est avec douleur, c’est avec pincement au cœur qu’on se rappelle de ces évènements douloureux lors des quels il y a eu des cas de viols, il y a eu des tueries, il y a eu de disparus, il y a eu des cas d’arrestations et de détentions illégales. Et, après 10 ans donc, ce sont des évènements vraiment douloureux qui ont marqué l’histoire de la Guinée.

Guineematin.com : 10 ans depuis que ces massacres ont eu lieu, jusque-là, il n’y a pas eu de procès. Comment jugez-vous cela ?

Maître Elhadj Hamidou Barry, avocat à la Cour et président de la Coalition Guinéenne pour la Cour Pénale Internationale

Maitre Hamidou Barry : je juge cela de deux façons. Sincèrement, je crois qu’il y a un manque de volonté politique pour la tenue du procès. Parce qu’on avait choisi le cinéma Liberté, 8 novembre, c’était le site qui devrait abriter le procès. On a été surpris qu’on change de lieu, disant qu’on doit construire au sein de la Cour d’Appel. Et, pour construire un site pour abriter le procès, ça va prendre du temps. Donc, on a encore peut-être devant nous, une année, deux ans, voire plus. Et vu aussi l’actualité politique, on nous parle d’élections législatives, on nous parle de nouvelle constitution. Ce sont des facteurs qui peuvent retarder l’ouverture du procès des massacres du 28 septembre. C’est pourquoi nous regrettons cela. Et, ce qui fait que nous, au niveau de l’OGDH (l’Organisation Guinéenne de Défense des droits de l’Homme), au niveau de la Coalition Guinéenne pour la CPI, nous avons demandé principalement deux choses avant l’ouverture du procès : le traitement des malades, des victimes qui sont actuellement malades, qui ne font que mourir petit à petit. Et aussi, qu’on alloue une indemnité provisoire à ces victimes-là. A rappeler que certaines victimes, des hautes personnalités : trois anciens Premier ministres, dont l’un est décédé, chacun de ces anciens ministres et Premier ministres, ont reçu tous deux milliards de francs guinéens. Ce qui fait au total six milliards. Qu’est-ce qui coûterait à l’Etat, d’accorder une indemnité provisoire aux victimes démunies ? Ils ont reçu ça au temps du CNDD. C’est l’Etat, c’est des fonds de l’Etat qui ont été débloqués et remis à ces hautes personnalités qui sont à l’abri du besoin. Quand vous êtes ancien Premier ministre ou simple ministre de n’importe quel gouvernement, souvent vous êtes à l’abri du besoin. Donc, il y a une sorte d’inégalité entre les citoyens. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement guinéen, aux partenaires bi et multilatéraux, comme les Etats-Unis d’Amérique, les fonds destinés pour le procès, comme le procès ne se tient pas, que ces fonds-là soient alloués aux victimes, un pour leur traitement et puis leur accorder une indemnité provisoire.

Guineematin.com : l’ancien ministre de la Justice, Maitre Cheick Sacko avait pris beaucoup d’engagements ces dernières années. Mais, il a démissionné. Est-ce que vous pensez que celui qui assure actuellement l’intérim, Dr Mohamed Lamine Fofana, a cette volonté de poursuivre ce dossier jusqu’à terme ?

Maitre Hamidou Barry : vous savez en Guinée, on n’a pas un problème de personne, on a un système. C’est un système que moi j’appelle le système d’impunité, c’est ce qui caractérise la Guinée. La preuve, c’est que tous les cas de violation des droits de l’homme depuis 1958 à date, n’ont jamais été examinés. On ne pense même pas à la réconciliation nationale, il y a un rapport provisoire. C’est pour vous dire encore que l’impunité perdure en Guinée. C’est un système, c’est ce système-là qu’il faut combattre, c’est ce système-là qu’il faut détruire, c’est ce système-là qu’il faut changer. Donc, il faut une révolution mentale pour changer ce système.

Guineematin.com : cela fait 10 ans que ces massacres ont eu lieu. Aujourd’hui, certaines personnes qu’on accuse d’être mêlées à ces massacres occupent de hautes fonctions dans le pays. Est-ce que vous avez espoir de la tenue un jour de ce procès ?

Maitre Hamidou Barry : c’est ce que nous n’arrivons pas à comprendre. Si un simple journaliste commet un délit de presse, il est soumis à un contrôle judiciaire, la procédure judiciaire, elle est accélérée ; alors qu’il y a des personnes inculpées dans les massacres du 28 septembre, qui ne sont pas soumis à un contrôle judiciaire. Et mieux, nous avons toujours demandé que ces personnalités inculpées, ou accusées, parce que l’instruction elle est close, que ces personnes-là soient déchargées de leurs fonctions, si elles ne démissionnent pas. Malheureusement, ce sont des personnes qui sont ministres, secrétaires d’Etat, ou qui assurent la sécurité du président de la République. Ce sont des choses que nous déplorons. Malheureusement, en vertu de la présomption d’innocence, le juge n’est pas obligé d’exiger à ce que ces personnes-là démissionnent. Donc ça, c’est du point de vue juridique. Mais, l’élégance voudrait que quand quelqu’un est poursuivi pour des crimes aussi graves que des crimes du 28 septembre, ce sont des crimes qui ont été qualifiées par les nations unies comme des crimes contre l’humanité, l’élégance voudrait que cette personne démissionne. Si elle ne démissionne pas, qu’elle soit démise de ses fonctions pour qu’elle fasse face à sa procédure judiciaire.

Guineematin.com : les responsables de l’AVIPA (Association des Victimes, Parents et Amis du 28 septembre) sont accusés malversations financières. Aujourd’hui, il y a beaucoup spéculations, beaucoup pensent que vous profitez de ces crimes pour vous faire de l’argent ou pour bénéficier de certains privilèges, notamment des voyages à l’extérieur. Qu’en est-il réellement ?

Me Hamidou Barry : au même titre que vous, je suis les informations. Bon, il semblerait qu’il y a eu des détournements, il semblerait aussi qu’il y a eu des procédures judiciaires en justice entre certaines victimes et la présidente de l’AVIPA, l’OGDH. Nous, nous accompagnons l’AVIPA. Donc, s’il y a des choses qui se passent là-bas, on ne peut pas vraiment se mêler directement. Mais, nous suivons l’évolution de cette affaire. Nous connaissons comment ça évolue. Il semblerait qu’ils sont en justice pour des faits de détournement des deniers appartements aux victimes de cette association. Et ce que nous souhaitons, c’est que cette affaire se règle correctement pour que toutes les organisations impliquées dans l’affaire du 28 septembre et les victimes elles-mêmes, nous nous donnions les mains pour que nous suivions la procédure judiciaire. C’est des choses que nous déplorons quand-même. Au sein d’une organisation, les choses doivent se passer conformément aux règles de l’art.

Guineematin.com : qu’est-ce que vous savez de ces malversations financières ?

Me Hamidou Barry : ce que je sais, c’est que le vice-président, que son âme repose en paix, monsieur Yéro Diouldé Diallo, avait écrit une lettre qu’il a adressée à la présidente, dénonçant un certain nombre de malversations. Et finalement, les victimes ont préféré ester en justice, je crois, devant le tribunal de première instance de Conakry 2 afin que ces fonds-là soient recouvrés dans l’intérêt des victimes, c’est ce que je connais. Je précise que le vice-président de cette association était le trésorier. Je crois que la justice va faire son travail et les parties vont se défendre conforment à la loi.

Guineematin.com : il fut un moment, vous-même vous aviez eu des problèmes avec certains responsables de l’AVIPA. Et, vous aviez même été récusés par ces responsables. Où en est-t-on sur ce dossier ?

Me Hamidou Barry : c’est la présidente de l’AVIPA qui a écrit une lettre comme quoi, elle me décharge de défendre les victimes des massacres du 28 septembre, cette lettre avait été même postée au niveau de votre site, Guineematin.com. Et, j’ai réagi personnellement en disant que j’ai été constitué par l’OGDH. C’est parce que les gens ignorent ce que c’est que la déontologie, les gens ignorent ce que c’est que la procédure. Quand vous assistez 200 personnes, même si vous assistez une seule victime ; il y a des avocats dans le dossier du 28 septembre qui ne défendent qu’une seule personne. Alors que moi, je crois que j’ai assisté 100 à 150 personnes. Il y a des victimes qui tiennent fermement à ce que moi je l’ai défende. Donc, ça veut dire que ni la présidente de l’AVIPA, encore moins le président de l’OGDH ; personne ne peut me décharger de l’affaire du 28 septembre, sauf toutes les victimes. Et ça, c’est un peu difficile.

Guineematin.com : qu’est-ce qui est prévu comme activité par votre organisation à l’occasion de la commémoration des 10 ans de ce massacre ?

Me Hamidou Barry : vous savez, moi je viens de revenir de la Mecque. Donc, on va tenir une réunion pour savoir ce qu’il faut faire comme activité, pour vraiment commémorer les 10 ans du massacre du 28 septembre. C’est une date qu’on ne peut pas oublier. On ne doit pas oublier le 28 septembre 1958, la date du référendum, on ne doit encore non plus oublier les massacres du 28 septembre 2009. Donc pour le moment, nous allons tenir une réunion au niveau de l’OGDH, nous allons tenir une réunion au niveau de la Coalition Guinéenne pour la CPI, et la semaine prochaine, pour voir les activités à mener et pour quand-même rappeler au gouvernement, la communauté nationale et internationale que toujours ce dossier est là, qu’il doit être jugé.

Guineematin.com : c’est la fin de cet entretien. Est-ce que vous avez un dernier mot ?

Maitre Hamidou Barry : le dernier mot que j’ai à dire, c’est qu’au-delà des massacres du 28 septembre, c’est une prière. Je prie que Dieu guide nos dirigeants. Qu’il oriente bien nos dirigeants pour que nous sortions de cette souffrance. Je prie que Dieu donne au peuple de Guinée la chance pour changer le système, le système de corruption, le système de détournement des deniers publics, le système de détournement de nos ressources. Voilà mon dernier mot.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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