Konkouré (Kollet) : le projet Souapiti opte pour une solution d’exclusion

Comme annoncé dans nos précédentes dépêches, plusieurs familles vivent encore sur le site de Konkouré, dans la sous-préfecture de Kollet (préfecture de Télimélé). Impactées par le projet de construction du barrage hydroélectrique de Souapiti, ces populations refusent encore de quitter leurs maisons avant d’être indemnisées. Et, face aux réclamations, le projet Souapiti aurait opté pour une solution d’exclusion qui ne prend en compte que les trois « familles influentes » du groupe encore présent sur le site. Une solution perçue à Konkouré comme une stratégie qui consiste à « diviser pour régner », a constaté l’envoyé spécial de Guineematin.com sur place.

Selon nos informations, une « équipe technique » qui aurait été dépêchée par le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, s’est récemment rendue à Konkouré pour rencontrer les familles encore présentes dans ce district. Cette équipe était allée travailler avec les familles encore réticentes de quitter les lieux afin d’évaluer leurs biens pour une éventuelle indemnisation. Malheureusement, au lieu de s’intéresser à toutes les personnes qui revendiquent sur le site, l’équipe technique n’aurait travaillé qu’avec « les familles influentes » du groupe des revendicateurs. « Ils ont dit que d’après leur ordre de mission, ils ne sont là que pour trois familles. Il s’agit des deux familles Cissé et la famille Diallo. Ils ont écarté la famille Kaba et la famille Bayo », a confié à Guineematin.com une source proche du dossier.

Trouvé sur place par notre envoyé spécial à Konkouré, Aboubacar Cissé, un des porte-paroles des familles qui vivent encore sur le site de konkouré, a confirmé cette information.

Aboubacar Cissé, un des porte-paroles des familles menacées d’inondation

« Lors de son dernier passage ici, le ministre de l’Energie nous avait promis qu’il allait envoyer deux équipes qui allaient travailler avec nous. Une pour les familles Cissé et Diallo ; et, l’autre pour les autres familles. Après dix jours, on a vu une équipe qui ne concerne que les familles Cissé et Diallo. Et, dans ça aussi, ils ont exclu deux bâtiments dont un de dix chambres… Quand on a demandé s’il y a une autre équipe, ils ont dit que leur ordre de mission ne parle que des familles Cissé et Diallo… Compte tenu de la situation actuelle, moi, je peux dire que ces gens-là veulent nous diviser pour qu’ils puissent régner dans le coin. Donc, moi, je peux dire qu’il n’y a rien de clair dans cette affaire. Parce qu’il y a au moins sept grandes familles qui sont là actuellement. Et, parmi ces familles, il y en a cinq qui n’ont pas sorti même une aiguille de leurs maisons à Konkouré », a expliqué Aboubacar Cissé.

En tournée de prise de contact avec les populations impactées par le projet de construction du barrage hydroélectrique de Souapiti, les 16 et 17 septembre dernier, dans la région de Kindia, le ministre de l’Energie, Cheick Taliby Sylla, avait pourtant rassuré que « toutes les réclamations sont légitimes ». Il avait aussi donné la garantie aux familles réticentes de Konkouré que tous leurs avoirs seront indemnisés.

« Tous vos avoirs seront évalués. Même une aiguille ne sera pas omise. Si votre maison n’est pas encore construite sur le site d’accueil là-bas (à Kondombof), le projet va la construire pour que vous puissiez quitter le danger qui vous guète », avait déclaré Dr Cheick Taliby Sylla devant les populations de Konkouré qui venaient de lui soumettre une liste verbale de plainte.

Visiblement, les actes n’ont pas suivi les promesses du ministre Cheick Taliby Sylla. Car, pour l’heure, la réalité est toute autre sur le terrain. Et, elles sont nombreuses, les familles qui se lamentent encore sur le site de Konkouré.

Hadja Tiguidanké Cissé, habitante de Konkouré

« On est encore à Konkouré parce que nous sommes inquiets. On n’a pas été consultés pour Kondombof. On nous a promis une indemnisation qu’on n’a pas vue d’abord. Une fois, ils sont venus nous dire qu’ils vont nous indemniser dans deux semaines. Cela fait deux mois maintenant ; et, on n’a encore rien vu ! Donc, mettez-vous à notre place. Si celui qui a fait cette promesse vient vous dire de partir et qu’il vous indemnisera après, est-ce que vous allez partir ? On est vraiment inquiet… Tous nos voisins sont partis nous laisser ici. J’ai même envie de mettre mes mains sur la tête pour pleurer à chaude larmes. J’ai au moins cinq maisons qui n’ont pas été construites à Kondombof où on veut m’obliger à partir », a expliqué Hadja Tiguidanké Cissé, habitante de Konkouré.

De son côté, la veuve Madame Mamadou Hawa Diallo est désemparée. Avec ses onze enfants, elle se demande à quel saint se vouer face à cette situation qu’elle ne pouvait imaginer…

Mamadou Hawa Diallo, habitante de Konkouré

« On est encore à Konkouré parce qu’on n’a pas où aller. Là où vous me voyez, je suis orpheline de père et de mère. Mon mari aussi est décédé. J’ai onze enfants dont quatre appartenant à ma défunte coépouse. Ces enfants et moi, vivons tous de cette route que vous voyez ici. Car, c’est ici qu’on vend, de jour comme nuit, des boulettes, de la bouillie, des galettes… ils sont venus nous trouver en train de construire une grande maison en dur. Ils nous ont dit d’arrêter les travaux, tout en promettant qu’ils vont nous rendre une maison à Kondombof. Pendant que j’étais à l’hôpital avec mon mari, ils sont revenus dire qu’ils ne vont pas recenser la case où nous habitions. Aujourd’hui, cette case s’est écroulée, mon mari est décédé et je n’ai rien reçu de la part de ce projet. Je n’ai pas où aller avec mes enfants. Là où nous sommes actuellement à Konkouré, c’est quelqu’un qui nous a prêté cette maison… Comme ils ont dit qu’il faut obligatoirement qu’on aille à Kondombof, moi, je ne refuse pas d’y aller. Mais, qu’ils nous montrent au moins où entrer là-bas. On observe chaque jour la montée des eaux du fleuve. Et, s’ils veulent nous noyer ici, qu’ils nous le disent. En tout cas, nous sommes prêts à laisser nos vies ici, s’ils le souhaitent…S’ils nous montrent où aller, on partira sans problèmes », a indiqué Mamadou Hawa Barry au bord des larmes.

Pieds dans l’eau, Alpha Oumar Diallo demande au gouvernement de revoir le travail du projet Souapiti. « Le gouvernement a peut être envoyé des gens ici, mais il n’a pas eu des personnes qui osent lui dire la vérité. Ils ont dit qu’ils ont fini tous les programmes nous concernant. Ils disent qu’on refuse de partir ; mais, ils n’ont pas envoyé des camions pour transporter nos biens. Et, pire, ils n’ont pas construit les maisons qui doivent abriter ces biens. Je m’étais associé à deux autres personnes pour mettre en place à Konkouré une ferme avicole. On avait aussi trouvé des instruments pour l’exploitation de l’or. Toutes les missions qui sont venues à Konkouré sont allées voir ces installations. Quand le ministre est venu ici, ils ont parlé de deux familles. J’ai pris la parole pour dire qu’il y a beaucoup d’autres qui sont là avec des problèmes… Je suis aujourd’hui dans cette eau pour leur dire que ce n’est pas le feu qui arrive sur nous. S’ils nous évacuent avec nos biens, Dieu merci. S’ils ne le font pas, moi, je resterais ici. J’ai trois clôtures grillagées ici ; et, chaque clôture fait un kilomètre de long. Actuellement, je suis en train d’enlever les grillages. Mais, je ne vais pas bouger d’ici sans être indemnisé. Ceux qui sont venus nous recenser nous ont trompés. Au début, ils nous ont dit que si on le souhaite, ils vont nous indemniser en numéraire pour qu’on aille là où on veut. Ensuite, ils sont revenus dire que le président Alpha Condé a dit qu’il ne va pas donner de l’argent. Ceci, pour éviter que les familles ne se battent. On a accepté qu’ils construisent les maisons. Mais, aujourd’hui, ce n’est ni les maisons, ni l’argent… Ce n’est pas pour un refus que je suis dans cette eau aujourd’hui. Je suis là parce que je n’ai pas où aller. Et, je ne suis pas le seul. Nous sommes nombreux dans cette situation. Certains ont fui quand ils ont vu la crue. Mais, nous, nous sommes là encore. On est conscient qu’on est face à la mort comme ça. Mais, nous resterons ici tant que nous ne serons pas indemnisés… Nous demandons au gouvernement de revoir le travail de ce projet. Si c’est comme ça qu’il l’avait dit de faire, nous, on se remettra à Dieu. Mais, si ce n’est pas comme ça, qu’il nous rétablisse dans nos droits », a indiqué Alpha Oumar Diallo.

Bref, à voir la situation dans laquelle se trouvent certaines populations impactées par le projet Souapiti, on pourrait bien se demander si la mise en eau de ce barrage hydroélectrique n’est pas prématurée. Car, pendant que les eaux grossissent dans le fleuve Konkouré, certains site de réinstallation de déplacés sont encore vierges de toute construction. Ce, au grand dam des « sinistrés de Souapiti».

Nous y reviendrons !

Mamadou Baïlo Keïta, envoyé spécial de Guineematin.com à Konkouré

Tel : 622 97 27 22

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