Pépé Balamou du SNE s’indigne : « l’éducation n’est pas la priorité de notre gouvernement »

Michel Pépé Balamou, Secrétaire général du SNE
Michel Pépé Balamou, Secrétaire général du SNE

Dans un entretien qu’il a accordé à un journaliste de Guineematin.com hier, lundi 28 octobre 2019, le secrétaire général du Syndicat National de l’Education (SNE) s’est exprimé longuement sur l’actualité du secteur éducatif guinéen. Michel Pépé Balamou est revenu notamment sur le faible niveau des élèves et de certains enseignants, la nécessité d’améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants, mais aussi les infrastructures scolaires publiques et les programmes d’enseignement. Il a regretté et déploré le peu d’intérêt que les dirigeants du pays accordent au secteur éducatif, appelant à de mesures urgentes pour rectifier le tir.

Décryptage !

Guineematin.com : on a appris que le Syndicat National de l’Education (SNE), le Syndicat Libre des Enseignants et Chercheurs de Guinée (SLECG) version Kadiatou Bah, et la Fédération Syndicale Professionnelle de l’Education (FSPE) ont été reçus par l’inspecteur général du travail, Dr Alya Camara, pour échanger sur une éventuelle revalorisation des primes liées à la profession enseignante. Qu’en est-il réellement ?

Michel Pépé Balamou : effectivement, nous sommes en intersyndical avec la Fédération Syndicale Professionnelle de l’Education qui existe depuis 1945, bien avant l’indépendance de la Guinée, et le SLECG de dame Kadiatou qui existe depuis 1992 et également le SNE qui n’a qu’un an. C’est par rapport à la situation des enseignants. Puisqu’une revendication était sur table par rapport aux 8 millions (réclamés par le SLECG d’Aboubacar Soumah comme salaire mensuel par enseignant, ndlr). Et plus de deux ans ou trois ans de grève, on n’est pas parvenu à obtenir même un centime pour les enseignants. Donc aujourd’hui, les enseignants vont en classe démoralisés, démotivés et ils n’enseignent presque pas.

Et, c’est pourquoi nous, nous nous sommes dit, soucieux de la qualification, de la bonne marche du système éducatif, qu’il fallait interpeller le gouvernement pour dire attention, les enseignants doivent bénéficier de quelque chose. Et bénéficier de ce quelque chose, ce sont les primes liées à la profession enseignante. Vous avez la prime de craie, la prime de documentation, la dotation en denrées de première nécessité en tant d’autres éléments que nous sommes en train de défendre. Mais aujourd’hui, ça doit être acté, mais il faut attendre le budget de 2020 pour pouvoir intégrer ces éléments-là dedans. Et, nous sommes toujours sur la même longueur d’onde et je crois que les négociations continuent jusqu’à date.

Guineematin.com : parlant toujours du système éducatif guinéen, on constate que le niveau des élèves devient de plus en plus bas dans notre pays. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Michel Pépé Balamou : c’est vraiment une grande déception parce que « tant vaut une école, tant vaut la nation » pour paraphraser Victor Hugo. Une économiste aussi disait qu’il n’y a de ressources que d’hommes. La Guinée est un scandale géologique dans lequel tous les métaux précieux qui existent à l’inventaire scientifique se trouvent. Mais, le Guinéen est un mendiant, assis sur un sac d’or aujourd’hui. La Guinée est le château d’eau de l’Afrique occidentale mais il est très difficile d’avoir de l’eau en Guinée. Donc, la meilleure ressource, quand l’homme est mieux qualifié c’est cet homme-là qui peut exploiter cette ressource là en produit fini. Mais, nous comprenons aujourd’hui que l’éducation n’est pas la priorité de notre gouvernement, malheureusement. On le chante pour dire oui, l’éducation, on a construit 6000 classes etc.

Quand vous prenez le domaine des infrastructures, la Guinée est l’un des rares pays aujourd’hui dans le monde où on continue encore d’enseigner certains élèves sous des hangars, où des parents d’élèves continuent de payer des enseignants communautaires, de construire des écoles communautaires pour eux-mêmes. La Guinée est l’un des rares pays aujourd’hui où le standard minimum de budget alloué à l’éducation qui devrait être entre 40 à 50% est aujourd’hui entre 12 et 13%. La Guinée est le seul pays au monde aujourd’hui où l’enseignement privé secondaire a pris le dessus sur l’enseignement secondaire primaire public. Parce que quand vous partez dans les pays de la sous-région, les écoles publiques sont les plus valorisées que les écoles privées.

Mais chez nous ici, c’est le contraire. Et pourquoi ? Parce que nos gouvernants sont les premiers saboteurs de notre système éducatif. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas leurs enfants dans les écoles publiques. Ceux dont les enfants sont ici, sont tous dans les écoles franco-guinéennes ou dans les écoles françaises. Sinon tout le reste étudie dans les écoles occidentales. Mais, regardez pendant le premier régime, le premier président de la République, Sékou Touré, son fils Mohamed Touré, sa fille Aminata Touré qui est maire de Kaloum aujourd’hui, ils ont tous étudié en Guinée. Ceux-ci ont côtoyé les enfants des pauvres en Guinée. Pour valoriser notre école, c’est d’abord nos dirigeants qui doivent la valoriser en faisant quoi ? En acceptant que leurs enfants étudient ici.

Si leurs enfants étudient ici, je crois qu’ils vont créer les meilleures conditions optimales. Aujourd’hui, les meilleures conditions d’études sont dans le privé. C’est le privé qui fait preuve de rigueur, qui sélectionne des enseignants qui ont le niveau. Si tu n’as pas le niveau, les élèves disent que tu n’as pas le niveau, on te chasse. Mais au public, on ne peut pas le faire. Donc ça, c’est du point de vue infrastructures. Quand vous prenez le programme d’enseignement, il y a eu un effort d’harmonisation des programmes en 2009, mais ça n’a été limité qu’aux programmes de Maths, Physique et Chimie. Mais aujourd’hui, quand vous prenez les sciences sociales, un élève guinéen quitte ici il part à l’extérieur, ça serait comme s’il commençait à étudier aujourd’hui.

Parce que les programmes d’enseignement sont complètement vétustes chez nous, on continue d’enseigner ce qui est archaïque aux enfants alors que le monde évolue. Il faut adapter les programmes aux contextes d’aujourd’hui, aux réalités actuelles, à ce que les élèves eux-mêmes vivent. Parce que l’action pédagogique ne doit pas tourner autour du maître mais plutôt autour de l’élève et de ses aspirations. On a aujourd’hui les réseaux sociaux, on a internet, dont les enfants s’approprient la paternité pour jouir de leur vie. Mais, s’ils vont à l’école on ne leur parle rien de tout cela, on leur parle de l’archéologie, de l’art africain, des choses qui n’ont rien à avoir avec leur réalité. Vous aller voir que le système va s’affaisser progressivement.

Et, les enseignants qui sont recrutés, certains sont recrutés sur la base politique, certains sont recrutés sur la base du copinage, du népotisme alors que la politique ne doit pas s’inviter à l’école. Il faut dépolitiser l’école. Si on doit accompagner son parent à accéder à la fonction publique, il faut l’envoyer dans un autre secteur mais pas dans l’éducation. Donc voici tant de questions qui minent l’éducation et le SNE va organiser une commission de réflexion autour du système éducatif guinéen pour faire le diagnostic mais aussi proposer des solutions.

Guineemation.com : lors des récentes manifestations appelées par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et interdites par les autorités du pays, le SLECG d’Aboubacar Soumah a appelé les enseignants à rester à la maison pendant la période des troubles. Vous au SNE, on ne vous a pas entendu sur la question. Quelles en sont les raisons ?

Michel Pépé Balamou, Secrétaire général du SNE

Michel Pépé Balamou : oui, c’est une très belle remarque et c’est une très belle observation. Vous savez, le syndicat est apolitique, le syndicat travaille sur la base d’une loi fondamentalement dans le pays. Vous avez le code du travail qui régit les rapports entre les travailleurs du privé et leurs patrons et la loi L28 qui régit le statut de la fonction publique. Donc, le politicien va à la conquête du pouvoir en vue de l’exercer, et pour cela, il a besoin du soutien populaire. Le syndicaliste cherche à manger et à faire manger ses syndiqués. Donc nous, notre devoir régalien consiste à défendre les intérêts matériels et moraux de nos mandants. Mais, vouloir appeler les enseignants à rester à la maison et les parents d’élèves à garder leurs enfants à la maison pour des raisons sécuritaires, relève du pouvoir régalien de l’Etat.

Vous avez vu par rapport au terrorisme au Burkina par exemple, on égorge des enseignants dans le nord du Burkina avec le terrorisme, on prend en otage des élèves. Mais, jamais un syndicat du Burkina n’a demandé à un enseignant de rester à la maison. Mais au contraire, si nous voulons travailler, on peut demander au gouvernement qu’eu égard à l’instabilité politique qui a cours actuellement au pays et pour permettre aux enseignants et aux élèves d’étudier, le syndicat demande au gouvernement de prendre des mesures sécuritaires idoines pour pouvoir sécuriser les concessions scolaires. Voilà le langage qu’un syndicaliste doit tenir.

Nous, nous ne condamnons pas ceux qui ont tenu ce langage. Mais nous, nous pensons que le syndicalisme ne consiste pas à inciter les gens à aller vers la violence, mais à défendre les intérêts moraux et matériels des enseignants. Peut-être on peut jouer à l’arbitrage, à l’apaisement, le compromis entre les acteurs politiques mais on n’a pas le droit de s’immiscer. On ne peut s’immiscer que lorsque l’instabilité politique atteindra une croissance exponentielle et que cela serait de nature à empêcher les travailleurs à aller travailler, à générer des ressources à pouvoir bénéficier de leurs salaires. En ce moment, le combat deviendra un combat citoyen et on ne tardera pas à s’y mettre.

Guineematin.com : vous rappeliez tantôt que le Syndicat National de l’Education (SNE) a une année d’existence, comment se porte aujourd’hui cette organisation ?

Michel Pépé Balamou : le Syndicat National de l’Education (SNE) se porte à merveille, nonobstant les préjugés et les stéréotypes qui étaient de nature à salir sa réputation. Aujourd’hui, j’ai effectué une tournée à l’intérieur du pays notamment en Haut Guinée et en Guinée Forestière, j’ai visité nos camarades de Yomou, de N’Zérékoré, de Kissidougou, de Kankan et de Mandiana. Et, laissez-moi vous dire que le SNE est en train de mobiliser les enseignants. Et au jour d’aujourd’hui, nous constituons la deuxième force syndicale de l’éducation après le SLECG d’Aboubacar Soumah. Et cela, on a qu’un an d’existence, alors que les autres ont plus de 60 ans d’existence. Ce qui veut dire qu’avec le programme et la plateforme que nous revendiquons aujourd’hui, si on parvient à faire aboutir ça aux enseignants, le SNE deviendra la force syndicale la plus représentative dans notre pays.

Guineematin.com : on apprend cependant que certains membres du collectif des enseignants contractuels issus de l’ISEEG et des ENI qui étaient avec le SNE, se sont affiliés au SLECG de dame Kadiatou Bah alors que d’autres sont courtisés par le camp d’Aboubacar Soumah. Comment réagissez-vous face à cette situation ?

Michel Pépé Balamou : oui, le SNE a été la première structure syndicale à engager les enseignants contractuels dans un combat pour leur engagement à la fonction publique parce que ces jeunes-là ce sont battus pour sauver l’école de la République. Mais aujourd’hui, toutes les structures syndicales veulent les avoir à leurs côtés, et c’est de bonne guerre. Nous, on ne va pas faire la guerre à une structure syndicale d’autant plus que toutes structures syndicales œuvrent à l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants, donc à défendre les intérêts matériels et moraux des enseignants. Peut-être, la démarche n’a pas été bonne, mais nous allons nous retrouver dans l’intersyndicale de l’éducation pour pouvoir mettre les points sur les i.

En ce qui concerne le collectif des enseignants contractuels issus de l’ISEEG et de l’ENI, ils auraient reproché au secrétaire général du SNE d’avoir dit qu’ils n’ont pas de niveau étant donné que nous, nous avons fait un diagnostic du système éducatif, en commençant par nous-mêmes enseignants pour dire qu’aujourd’hui, il y a un besoin de formation des enseignants. Et cela est établi non seulement par le ministère, par les populations et tous les acteurs sociaux pour la bonne marche de notre système éducatif. Mais, vouloir nous qualifier de ceux-là qui sont opposés aux intérêts des enseignants issus de l’ISEEG et de l’ENI, c’est mal comprendre. Et, en ce qui concerne le fait qu’ils soient courtisés par le SLECG d’Aboubacar Soumah, nous nous considérons comme étant le comble de l’ironie et de la démagogie.

Parce que ce sont eux-mêmes qui ont dit que ces enseignants contractuels étaient des mécaniciens, des maçons, des menuisiers qu’on a ramassés pour venir enseigner nos enfants et que c’est vraiment un crime intellectuel puisque ces enfants-là ne connaissent rien. Et, après la grève, ce sont les mêmes enseignants du SLECG d’Aboubacar Soumah qui sont venus frapper les enseignants contractuels dans les classes, déchirer les cahiers et autres-là. Si aujourd’hui c’est eux qui courtisent, le SNE reste serein, vigilant et nous savons que la victoire est de notre côté et que les plus conscients de ces contractuels comprendront que Dieu n’aime pas l’ingratitude et ne fera pas cet acte d’ingratitude au niveau du SNE.

Entretien réalisé par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

Facebook Comments Box