Mansour Kaba : « je ne reconnais plus mon ami Alpha Condé »

Mansour Kaba

Opposant aux régimes de Sékou Touré et de Lansana Conté, Mohamed Mansour Kaba fut ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat dans le gouvernement de transition dirigé par Jean-Marie Doré sous le régime de Sékouba Konaté, en 2010. Il fut lié à un moment au régime d’Alpha Condé, un ami de longue date depuis plus de 50 ans et a même dissout son parti, Jamma, dans le Rpg, avant de retourner dans l’opposition quand il a vu que le président Alpha Condé a commencé à renier aux principes pour lesquels il s’est battu pendant des décennies.

« Je ne reconnais plus mon ami Alpha Condé »

Opposant historique qui s’est toujours battu pour l’instauration de la démocratie dans son pays, Alpha Condé est en train de saper les fondamentaux de cette même démocratie en voulant se représenter pour un troisième mandat alors que la Constitution de son pays le lui interdit. Cet entêtement du président guinéen à vouloir modifier le texte fondamental, Mohamed Mansour Kaba, ancien ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitatsous le régime de transition de Sékouba Konaté, ne le comprend pas. « Je ne reconnais pas mon ami Alpha Condé. Il se vante d’être le premier et l’unique ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) à être président de la République en Afrique. Il ne fait pas honneur à la Feanf aujourd’hui. C’est la déception pour tous ceux qui l’ont connu à l’époque. Nous l’avons connu comme marxiste-léniniste, nous étions tous opposés au régime du président Sékou Touré. Quand cet homme se retrouve à la tête de l’Etat guinéen et mène la politique qu’il mène, c’est décevant », confie M. Kaba qui connaît Alpha Condé depuis 55 ans.

Secrétaire général du Parti panafricain des guinéens (Ppg), M. Kaba, comme beaucoup de guinéens, nourrissait beaucoup d’espoir quand Condé est arrivé au pouvoir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, au lendemain de son élection, quand le locataire de Sékouteraya a fait appel à lui pour travailler à ses côtés, il a dit oui et a même fondu son premier parti Jamma dans le Rpg. Hélas, Mohamed Mansour Kaba a vite déchanté. « Lorsqu’au bout de trois, quatre ans j’ai compris qu’il voulait me museler, j’ai quitté la majorité présidentielle pour créer un nouveau parti dénommé Parti panafricain des guinéens (Ppg) », explique le vieux opposant.

« Alpha Condé dirige la Guinée avec ceux qui ont pillé la Guinée sous Lansana Conté »

Emprisonné sous Lansana Conté pendant plus de deux ans, Alpha Condé est sorti de prison complètement atteint psychologiquement. Mohamed Mansour Kaba pense que le caractère paranoïaque d’Alpha Condé vient de là. « Après sa sortie de prison, Alpha Condé m’a dit ceci, à Paris, lorsque je suis venu le saluer : ‘’Dans les prisons guinéennes, vous êtes livré à n’importe qui. N’importe qui peut te tuer et il n’a de compte à rendre à personne ’’. Alors, quand vous passez un peu plus de deux ans dans des conditions comme ça, chaque pas de militaire que vous entendez, vous pensez que c’est votre dernière heure. Alpha est passé par cette situation. Cela vous casse le moral, ça vous casse toute dignité, ça vous casse toute capacité de résistance », estime-t-il.

Le Secrétaire général du Ppg est d’autant plus contrarié que, rappelle-t-il, il a porté sa toge d’avocat pour défendre Alpha Condé quand il a été emprisonné par Lansana Conté. Pourtant, à l’époque, entre lui et Alpha Condé, ce n’était pas le grand amour. « Pendant de longue années, il a cherché à ce que je milite avec lui j’ai refusé. Parce qu’il n’a pas besoin de collègue, il a besoin de suivistes et moi je ne peux pas être le suiviste de n’importe. Donc de 1964 jusqu’à 1998, on se connaissait mais il m’a combattu parce que je ne voulais pas le suivre. C’est lorsqu’il a été emprisonné par Lansana Conté que je suis devenu son avocat. Non pas parce qu’il me l’a demandé mais parce que ma conscience m’interdisait de ne pas réagir », confie-t-il.A l’époque, il a organisé une conférence de presse au siège de son parti pour demander à Lansana Conté de libérer Alpha Condé et de le nommer Premier ministre d’un gouvernement de transition. « Je suis le premier à parler de transition en Guinée et cette transition n’est venue que dix ans après la mort de Conté », dit-il.

Mais ce n’est qu’au bout de deux ans et demi qu’Alpha Condé sera libéré non sans conditions. Et l’une de ces conditions, selon Mohamed Mansour Kaba, c’était de prendre les gens de Conté une fois qu’il sera au pouvoir. Il en veut pour preuve l’actuel entourage d’Alpha Condé. « Parmi ceux qui dirigent la Guinée aujourd’hui, il y a plus de militants du Pup de Lansana Conté que de militants de Rpg qui est censé être au pouvoir. Les hommes qui ont ruiné la Guinée sous Conté sont les mêmes qui continuent de s’enrichir sous Condé », dénonce-t-il.Par exemple, l’actuel Premier ministre a été ministre de l’Economie et des Finances sous Lansana Conté. « Alpha Condé s’est battu pour le changement, ce changement n’est jamais venu. Il a continué à gérer le pays avec les gens les plus corrompus du pays. Son régime est fini, il n’a plus aucun crédit, d’ailleurs il n’est plus le médiateur dans la crise Bissau guinéenne. C’est la folie du pouvoir. Il puise dans les réserves de la banque centrale comme il veut. Il s’enrichit illicitement et il a peur que les gens découvrent cela une fois qu’il quitte le pouvoir, c’est pourquoi il s’y accroche », martèle-t-il.

« Personne n’a encore vu le texte que Alpha Condé veut soumettre en référendum »

A chaque manifestation, des gens meurent…pour une révision constitutionnelle dont le texte, jusqu’ici, reste invisible. C’est le paradoxe des événements qui se déroulent actuellement en Guinée. Son mandat devant se terminer le 31 décembre 2020, Alpha Condé à qui on prête des velléités de briguer un troisième mandat semble cacher son jeu. Dans le texte en question qui n’est pas encore rendu public, le président guinéen parle de changements pour mieux prendre en charge des questions comme la protection des enfants, la lutte contre la violence faite aux femmes, la protection de l’environnement. Mais a-t-on vraiment besoin de changer la Constitution avec son lot de morts juste pour ces questions somme toute banales ? Mohamed Mansour Kaba préfère en rire. « Ces questions sont dans les programmes de tous les gouvernements, de tous les pays, ce n’est pas pour cela qu’on va modifier une Constitution. La vérité, aujourd’hui, c’est que personne, en Guinée, personne n’a vu la première mouture de la Constitution, même les gens de Rpg ne savent pas ce qu’il y a dedans. Avant un référendum, le minimum c’est de mettre le texte sur la place publique pour que les gens en débattent. C’est malhonnête. Il n’y a même pas de date pour la tenue du référendum. Des gens meurent gratuitement comme ça, c’est criminel. Les gens sont aujourd’hui contre une intention, non contre un projet de texte qu’ils n’ont pas encore vu », regrette-t-il.

Selon Mohamed Mansour Kaba, la stratégie d’Alpha Condé c’est de donner de l’argent, 500 millions de Francs guinéen, à des groupements de femme et jeunes qui, en retour, réclament qu’il se représente. Un achat de conscience qui ne dit pas son nom. « Le nom d’Alpha Condé faisait rêver avant. On lui a donné tous les pouvoirs, ses militants disaient même que c’est lui qui a formé Bill Clinton. Quand la démagogie va jusqu’à ce niveau, c’est grave. Et maintenant, il est au pied du mur. Cela fait neuf ans qu’il est au pied du mur qu’on ne voit rien. Il a tout fait pour arriver au pouvoir et une fois au pouvoir, il ne sait plus quoi faire.

« En Guinée, on trouve des officiers-supérieurs analphabètes »

C’est connu, en Guinée, à chaque fois qu’il y a une manifestation politique, la répression des forces de sécurité se solde par des morts. La dernière victime en date, c’est jeudi dernier. Selon les estimations, il y a eu plus de 100 manifestants ont trouvé la mort sous Alpha Condé. Mais si l’on en croit Mohamed Mansour Kaba, ce n’est point une surprise. De Sékou Touré à Alpha Condé, il en fut toujours ainsi. Un constat amer. « La vie d’un Guinéen n’est rien dans les mains des tenants du pouvoir », dit-il. Non sans pointer la responsabilité des forces des forces de sécurité. « Je n’ai rien contre l’armée, la gendarmerie et la police guinéenne, mais le problème c’est qu’on a en Guinée des officiers supérieurs analphabètes, c’est-à-dire qui ne savent ni lire, ni écrire. Lansana Conté n’était pas un intellectuel. N’importe qui peut être un président, mais n’importe qui ne doit pas être officier-supérieur jusqu’à devenir Général. Or, en Guinée, on a n’importe qui comme officier supérieur », souligne-t-il. En outre, il dénonce le manque de déontologie des forces de l’ordre qui ne sont pas outillés pour encadrer des manifestations. On n’a aucune considération pour la vie humaine en Guinée. Regardez ce qu’il y a eu au Stade du 28 septembre sous Dadis Camara. Plus de 150 morts, des femmes violées en pleine jour. On a cru qu’avec Alpha Condé qui a lutté contre ce régime l’ordre reviendrait dans ce pays. Lui-même disait qu’il a hérité d’un pays et non d’un Etat, mais avec lui, le peu d’Etat qu’il y avait a disparu ».

Guinéen, pays pauvre, sous-sol riche

On l’appelle le « Château d’eau de l’Afrique ». Ce nom collé à la Guinée n’est pas usurpé. Tous les grands cours d’eau de l’Afrique de l’ouest notamment le fleuve Sénégal, le fleuve Niger et le Fleuve Gambie prennent leur source dans ce pays au sous-sol riche en ressources minières. Pourtant, la Guinée reste l’un des pays les plus pauvres du continent. Pourquoi donc tarde-t-elle à prendre son envol économique ? « C’est parce que nous n’avons pas de gouvernants », dit sèchement Mohamed Mansour Kaba. Il se rappelle encore des propos d’un de ses amis français. C’était à l’époque de Sékou Touré : « M. Kaba, vous savez c’est quoi le problème de la Guinée ? C’est que le peuple est plus intelligents que les gouvernants ». Selon lui, son ami avait raison. « Vous avez au Sénégal, des entrepreneurs guinéens qui sont modèles, c’est la même chose en Côte d’Ivoire. Mais en Guinée on est nul. Pourquoi, parce qu’on est mal dirigé. Nous n’avons pas d’institutions qui sont respectées. En Guinée, tout marche sur la tête. Partout ailleurs, normalement, la richesse, on doit la trouver du côté du privé, mais en Guinée ce sont les fonctionnaires qui sont riches », soutient-il.

Le secteur de l’électricité est le parfait exemple du retard de la Guinée. D’après Kaba, quand on parle d’électricité en Guinée, cela se limite à Conakry, encore que le courant n’est pas disponible 24/24. « Plus de 60 ans après l’indépendance, le Guinéen de la capitale n’a pas le courant 24/24 pendant une semaine. Quand on est Alpha Condé et qu’on a critiqué tous les régimes qui se sont succédé, au moins tu essaies de faire mieux que les autres. Malheureusement, il n’en est rien », regrette-t-il. C’est pourquoi, dans une lettre ouverte dont le titre est « Un dernier conseil à mon ami », Mohamed Mansour Kaba a invité Alpha Condé à ne pas s’entêter à vouloir s’accrocher au pouvoir.

« Monsieur le Président, à la fin de votre deuxième et dernier mandat, en décembre 2020, rendez le tablier dans l’honneur et la dignité. Mais si vous vous entêtez à vouloir rester un mandat de plus, quel que soit le nom que vous donnerez à ce mandat, et quelle que soit la Constitution que tu feras adopter, vous serez responsable des conséquences de votre entêtement de vouloir avoir une présidence à vie », lit-on dans cette missive. En effet, pour M. Kaba, « c’est une présidence à vie qu’Alpha Condé cherche mais il ne sait pas comment la demander. Actuellement, ce sont des intentions que les gens combattent ».

Mohamed Mansour Kaba, ancien ministre, président du Parti Panafricain des Guinéens (Ppg)

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