L’Agence Guinéenne du Spectacle est-elle légale ?

Souleymane Thiâ'nguel Bah
Souleymane Thiâ’nguel Bah

Si les artistes ne peuvent plus être insolents et impertinents, à défaut de leur fermer la gueule, qu’on leur reprenne les plumes et qu’on nous refile des chapelets pour aller enseigner le catéchisme à l’église et le Coran à la mosquée.

L’AGS est devenue un lieu de prise de décision abusive qui mérite qu’on s’attarde sur elle. Puisqu’elle se permet de sanctionner, à tour de bras, le débat sur la légitimité de ses décisions, de sa légitimité même devrait être posé. Il y a quelques mois, pour un conflit strictement personnel entre des artistes et un journaliste, elle sévissait d’une main lourde contre Marcus de Banlieuz’art, Ablaye M’baye de Degg J force 3 et King Alasko. Le 30 décembre dernier, c’est Élie Kamano qui a fait les frais de cette structure pour des raisons de non déclaration d’événement, de respect de cahier de charge… et donc de sous. Avant lui, c’est Azaya qui avait été censuré parce qu’il a voulu faire payer l’accès à son propre mariage. Question : cette agence et ses décisions seraient-elles légales ? Concernant l’altercation qui a lieu entre Marcus, Ablaye et Alasko avec Aly Léno, la décision de madame Sayon Bamba serait-elle légale ?

Le rôle de l’AGS ne peut aucunement être un rôle répressif. Sa mission serait de réglementer, réguler le domaine du spectacle en Guinée. Autrement dit, son rôle est uniquement de vérifier que les structures remplissent les conditions d’organisation de spectacles et donner un avis de non opposition, comme elle aurait dû le faire dans le cas Élie Kamano. Si l’organisation du spectacle présente des risques, précisons bien s’il y a des risques, de quelle que nature qu’ils soient, elle peut faire des recommandations aux autorités compétentes afin que celles-ci interdisent l’événement. Son rôle se limite à réguler l’organisation matérielle du spectacle. Elle n’a aucune prise sur les artistes, mais uniquement sur la logistique sécuritaire qui entoure le spectacle entendu comme événement impliquant un mouvement de masse. Elle veille à ce que l’espace accueillant le spectacle soit adapté à la taille l’événement envisagé, qu’il existe des cordons sécuritaires pour éviter les risques de bousculade, que des ambulances sont prévues pour prendre en charge les victimes de malaises éventuels, qu’il existe un plan d’évacuation en cas d’incendie… Et ça, tout le temps, ce sont les organisateurs qui s’en occupent. Alors même qu’elle ne fournit pas les services ci-dessus, l’AGS se donne le droit d’interdire, de sanctionner, sans qu’aucune loi ne lui reconnaisse ce pouvoir, puisque n’étant prévue par aucune loi.

Question : quelles dispositions légales King Alasko, Marcus et Skandal ont enfreint au palais du peuple et qu’Élie Kamano a violé pour son concert prévu à Guéckédou ? Pour les premiers, se sont-ils battus avec quelqu’un ? Oui. Ont-ils utilisé des mots considérés « grossiers » ? Oui. Mais tout ceci relève d’un délit appelé injure publique se tranchant devant le juge soit par une condamnation, soit par règlement à l’amiable. Y a-t-il une loi ou un décret du président de la République qui confère à l’AGS le droit de sanction ou d’interdiction ? Si ce n’est pas le cas, la directrice de l’AGS n’a pas compétence à interdire le concert d’Élie et de sanctionner Skandal, Marcus et Alasko. Mieux, on ne peut interdire une personne nommément désignée à faire un spectacle. Si on le fait, cela a un nom : abus de pouvoir. Pour une bagarre, l’AGS ne peut pas s’ériger en gardienne de la morale publique, en censeur, tout simplement parce que ses prérogatives s’arrêtent à « réglementer » le secteur des spectacles en Guinée. Par ailleurs, la décision indique que les groupes désignés sont « interdits de prestations scéniques sur toute l’étendue du territoire jusqu’à nouvel ordre » ? Cela veut dire que non seulement c’est madame Sayon Bamba qui a décidé de la sanction et quand elle l’a voulu elle l’a levée. N’a-t-elle pas tordu le cou à la liberté d’expression, celle d’entreprendre et d’exercer une activité économique ?

Faut-il préciser qu’à l’évidence aucun texte légal ne définit l’étendue des pouvoirs de l’AGS ? Parce que madame Bamba ne peut justifier sa sanction que par des visas qui ne relèvent d’aucune loi ou d’un décret ? Les « vu » contre Ablaye, Marcus et Alasko dans sa décision permettant de dire d’où elle tient son pouvoir se limitent à des références internes au ministère de la culture, alors que sa décision devrait d’abord s’adosser sur la loi qui crée, fixe les attributions et le fonctionnement de sa structure. L’AGS serait-elle une structure créée sur mesure ? Sinon, où est la loi votée par l’Assemblée nationale et promulguée par le président de la république suivant les règles définies par notre Constitution ? Parce que sans cela, l’AGS serait est illégale, toute son autorité le serait également et qu’elle pourrait bien être une arnaque contre les artistes et des organisateurs de spectacles ? Les montants pour les licences facturées aux artistes et aux organisateurs de spectacles apparaissent-ils dans les lois de finances ? Où va cet argent ? En contrepartie quel service fournit l’AGS et qui justifierait les fameuses cotisations ? Enfin, comment peut-on confier la direction d’un organisme dédié à un secteur alors que la directrice elle-même est artiste et organisatrice de spectacles ? N’y a-t-il pas conflit là quelque chose qui s’apparenterait à un conflit d’intérêts ? Voilà quelques questions que les artistes et les organisateurs de spectacles devraient légitimement se poser.

Dernière précision pour terminer, le terme « bombo claat » n’a rien d’une injure inacceptable. La proximité phonétique avec le mot de la langue soussou qui désigne le sexe de la femme ne lui rend évidemment pas service. Mais il veut tout simplement dire « sale torchon », expression banale dans le milieu des musiques urbaines. Ce que certains considèrent comme de l’insolence ou de la vulgarité est pour les artistes une manière de choquer pour mieux interpeler. S’ils ne peuvent plus être insolents et impertinents, à défaut de leur fermer la gueule, qu’on leur reprenne les plumes et qu’on nous refile des chapelets pour aller enseigner le catéchisme à l’église et le Coran à la mosquée.

Soulay Thiâ’nguel

Facebook Comments Box