Marwane Baldé, substitut du procureur : « à Dubréka, on ne tolère pas le viol et les crimes de sang »

Marwane Baldé, Substitut du procureur de la République près le Tribunal de première instance de Dubréka
Marwane Baldé, Substitut du procureur de la République près le Tribunal de première instance de Dubréka

Dubréka, sous le pied du mont Kakoulima, qui culmine à 1 011 mètres d’altitude. Comme cette imposante montagne, joyau de la nature, la Justice, à travers le tribunal de première instance, a décidé de prendre de la hauteur. Pendant que la contrée fourmille d’affaires domaniales, le parquet de Dubréka se lance à l’assaut des stellionataires, ces « affairistes » qui font leur beurre sur le dos des acquéreurs terriens. Vu l’engagement du Tribunal à mettre fin à cette pratique délictuelle, notre reporter a rencontré un brillant et jeune magistrat, Marwane Baldé, premier substitut du procureur de la République.

Substitut du procureur de la République près le Tribunal de première instance de Dubréka, Marwane Baldé est titulaire d’une maîtrise en Droit public de l’université Général Lansana Conté de Sonfonia. Il a passé avec succès un examen d’Etat pour la magistrature en tant qu’auditeur de justice avant de décrocher un brevet de magistrat, après quelques années passées au Centre de formation et de documentation judiciaire (CFDJ) ayant son siège à l’enceinte de la Cour d’appel de Conakry. Il a par la suite bénéficié d’un décret du chef de l’Etat qui l’a nommé juge d’instruction à Dubréka.

Par ailleurs, monsieur Baldé a bénéficié d’une bourse du gouvernement français. Ce qui lui a permis d’approfondir ses études en France, avec au bout un diplôme de l’ENM de Paris et un stage pratique au Tribunal de grande instance d’Amiens (en France) où il a acquis assez de connaissances et de l’expérience.

Guineematin.com vous propose, ci-dessous, le décryptage de cet entretien :

Le métier de substitut du procureur est méconnu du grand public guinéen. Expliquez-nous en quoi cela consiste ?

La magistrature est une profession qui englobe en son sein plusieurs secteurs. Nous avons les magistrats du siège et les magistrats du parquet. Les magistrats du parquet sont des magistrats debout. Ce sont les représentants du Ministre public qui sont les procureurs et leurs substituts. Il y a des magistrats du parquet auprès des cours, notamment les procureurs généraux, et auprès des tribunaux (les procureurs de la République). Au niveau de chaque parquet, il y a un procureur de la République, qui est le chef du parquet, et ses substituts qui sont donc également des procureurs. Le substitut du procureur est en quelque sorte l’adjoint du procureur.

Il faut préciser qu’en Guinée, en terme de carrière professionnelle il n’y a pas de cloison étanche entre le parquet et le siège ou magistrature dite assise. Un procureur aujourd’hui peut se retrouver demain président de tribunal et vice-versa.

Comment se porte la justice à Dubréka ?

Marwane Baldé, Substitut du procureur de la République près le Tribunal de première instance de Dubréka

La justice à Dubréka se porte très bien, surtout depuis l’érection de la justice de paix en tribunal de première instance. Ça c’est une avancée remarquable dans le cadre du programme de la réforme judiciaire en République de Guinée. Le fait de transformer un certain nombre de justices de paix en tribunaux de 1ère instance est quelque chose de louable, on espère voir cette réforme élargie à toutes les autres.

Le volume des affaires, des infractions nécessitait qu’il y ait des magistrats du siège et des magistrats du parquet, au lieu d’un seul juge de paix qui est à la fois juge et procureur. Il poursuit, juge et instruit en même temps. Alors que dans un tribunal de première instance il y a les magistrats du parquet, ceux du siège et les juges d’instruction qui sont des enquêteurs aussi. Dans une justice de paix, toutes ces casquettes sont sur la tête du juge de paix. Voyez-vous que cette réforme engagée par le gouvernement de la République raffermissement est à saluer. C’est une volonté de raffermissement de l’État de droit et de rapprochement de la Justice des justiciables.

Comme motif de satisfaction, il y a aussi le fait que nous les magistrats qui animons ce tribunal, nous avons réussi à créer et entretenir un bon environnement de travail. Nous avons tous contribué à donner une bonne image de cette juridiction. Cela parce que nous aimons notre travail.

Nous poursuivons les auteurs des infractions, lorsqu’ils sont interpellés et déférés par les officiers de police judiciaire afin de les traduire devant les juridictions compétentes. Ces auteurs bénéficient d’une présomption d’innocence jusqu’à ce qu’il y ait un procès définitif. Un rôle que nous assumons avec nos officiers de police judiciaire qui sont sous la direction du Procureur de la République. Nous veillons au respect des textes ; à une bonne application de la loi. Nous avons un regard sur le fonctionnement de nos officiers de police judiciaire. Avant, du temps de la justice de paix, l’inspection et le contrôle des OPJ n’étaient pas faciles. Quand il s’agissait par exemple pour le juge de veiller à ce que les délais de garde à vue soient respectés conformément au code de procédure pénale. Aujourd’hui le parquet est là à Dubréka pour veiller et constater ce qui se passe dans les différentes unités et brigades des officiers de police judiciaire.

Les conflits domaniaux et l’expropriation sont récurrents à Dubréka. Quel est votre constat en tant que magistrat ?

C’est bien vrai. Les infractions les plus fréquentes sont celles liées aux affaires domaniales : le stellionat et les occupations illégales, puisque Dubréka est devenue en quelque sorte la banlieue de Conakry. Il y a des terres inoccupées et il y a aussi des coutumiers qui en sont les propriétaires. Enfin, il y a des personnes sans scrupules, mues par l’âpreté au gain qui se permettent de céder la même parcelle à plusieurs acheteurs potentiels. Ce comportement est déjà prévu par le législateur pénal. D’où l’infraction de stellionat prévue par l’article 407 du code penal. Le législateur pénal a dit que « quiconque cède un immeuble (entendez parcelle) à une personne, en sachant pertinemment qu’il n’est pas propriétaire ou n’a pas la propriété exclusive, est passible de peine de prison ».

Aujourd’hui à Dubreka et à Coyah, les registres sont remplis de ces cas d’infraction. Ainsi que d’autres comme le viol.
Très malheureusement, pour le stellionat, les gens ne semblent pas mesurer les risques auxquels ils s’exposent en se livrant à sa pratique. Ainsi vous verrez toutes sortes de personnes incriminées dans ce genre d’infraction : des notables, même des religieux, des autorités, etc. Certains ne considèrent même pas cela comme une infraction.
Face à une telle situation, le parquet n’a pas d’autre ligne de conduite que veiller à l’application correcte de la Loi. Comme on le dit, nul n’est au-dessus d’elle. La Loi est dure mais c’est la Loi.

Il faut dire qu’il y a souvent des complicités de la part de certains services techniques qui délivrent des actes certifiant l’acquisition d’une même parcelle à plusieurs personnes.

Mais lorsque que nous avons des preuves de l’existence de telles complicités, rien ne pourra nous empêcher d’engager des poursuites à l’encontre des éléments concernés au sein de ces différents services techniques.

Le Tribunal de première instance de Dubréka ne sera pas donc clément avec les « intouchables » qui se livrent au stellionat ?

La Loi n’exempte personne. Tout individu qui est en porte-à-faux avec elle doit subir sa rigueur. Il est vrai qu’il y a de ces personnes qui se croient au-dessus de la Loi. Mais en ce qui concerne le TPI de Dubréka, le parquet entend appliquer à la lettre ce qui est prévu par la loi.

De façon générale, on croit toujours que la justice guinéenne est intimement inféodée à l’Exécutif. Est-ce qu’à Dubréka les autorités préfectorales s’immiscent dans les affaires judiciaires ?

À Dubréka ce n’est pas le cas. Ici les services de l’administration et autres représentants du pouvoir exécutif n’interfèrent pas dans le travail de la justice. Je ne sais pas quelle est la réalité dans les autres juridictions, mais à notre niveau ici, il n’y a pas eu d’interférence des autorités préfectorales dans les affaires judiciaires.

Par contre, quand ces autorités sont impliquées quelque part, rien n’empêchera notre parquet de déclencher la poursuite à leur égard, en choisissant une option de poursuite sans pour autant tordre le cou à la Loi.

On constate qu’en Guinée, les décisions de justice ne sont pas suffisamment appliquées…

Généralement en Guinée, je ne dirais pas avec certitude que les décisions de justice sont suffisamment respectées. L’application de la Loi, c’est du ressort du pouvoir judiciaire. Si les magistrats en charge de respecter et faire appliquer la Loi ne l’appliquent pas, ce serait quelque chose de très grave et contraire à la déontologie de la profession. Et alors ces magistrats seraient passibles de poursuites disciplinaires devant le Conseil supérieur de la Magistrature.

Ce qui est clair, en ce qui concerne Dubréka, la loi est correctement appliquée. C’est une avancée, une « révolution judiciaire ». J’invite tous les magistrats, où qu’ils soient en Guinée, en particulier les jeunes auxquels des postes de responsabilité ont été confiés, de se conformer à la Loi, de dire le droit, rien que le droit, sans passion, avec objectivité. C’est cela l’éthique et l’honneur de cette profession.

Aujourd’hui, la présence de jeunes magistrats aux postes de commandement, bien que je n’en fasses pas partie, est quelque chose de salutaire. Je salue cette initiative du gouvernement visant à promouvoir la jeunesse.

La Guinée est devenue le pays du viol et des crimes de sang impunis. Qu’en est-il au niveau de Dubréka ? Que faut-il pour inverser la tendance ?

Il y a effectivement des dispositions prévues. Puisque le principe dans notre politique pénale, c’est la tolérance zéro pour les affaires criminelles. Effectivement le taux d’infraction de viol élevé. Surtout le viol sur mineures. Et tout récemment, à l’occasion de nos audiences criminelles, il y a eu en l’occurrence des condamnations.

J’étais le représentant du ministère public à ces audiences où j’ai demandé des peines de condamnation de 20 ans de réclusion criminelle. J’ai toujours demandé la peine la plus élevée. Pas parce que le procureur est là uniquement pour mettre les gens en prison, mais parce que les faits à eux reprochés sont de nature grave. C’est pourquoi il faut demander la peine maximale. Mais nous, nous ne pouvons que demander, finalement c’est la juridiction de jugement qui décide avec ses assesseurs. À Dubréka, on ne tolère pas le viol et les crimes de sang. Les auteurs sont tous en détention. Certains sont à la maison d’arrêt de Kindia en train de purger leur peine. Très prochainement, nous allons encore relancer ces audiences criminelles, à l’intention des criminels en attente de procès.

Certaines justices de la sous-région font de la protection de la femme un credo. Faut-il un sursaut national pour que la Justice guinéenne en fasse autant ?

Comme ces pays, la Guinée a son arsenal d’instruments juridiques de protection des couches vulnérables, dont les femmes et les enfants. En République de Guinée les mineurs sont protégés. Notre État a également souscrit aux conventions internationales en la matière. Il y a aussi le département de l’Action sociale qui veille au grain.

Avez-vous un message à l’endroit du peuple de Guinée en général et des populations de Dubréka en particulier ?

C’est un message de citoyenneté. J’invite les Guinéens à respecter les institutions, à faire montre de bonne conduite sociale, à respecter la Loi et les autorités. Bref à mener une vie paisible de bon citoyen. Un citoyen civilisé est celui-là qui respecte la hiérarchie et l’ordre, respecte les règles de conduite de sa société, en commençant par la cellule de base qu’est la famille. Je demande à tous de ne pas se livrer à des activités prohibées et d’éviter tout comportement de nature à troubler l’ordre public. J’invite tout le monde au respect strict des Lois qui régissent la République, en ne se rendant pas justice et en ayant foi dans la Justice qui a ses représentations à tous les niveaux. J’invite les habitants de Dubréka à proscrire le stellionat. Qu’ils gardent dans l’esprit que c’est interdit par le législateur pénal ! J’exhorte l’ensemble du peuple de Guinée à la consolidation de la paix.

Entretien réalisé par Sambegou Diallo pour Guineematin.com

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