Sortie de crise en Guinée : ce que la LIGUIDHO propose à Kassory Fofana

La crise politique que traverse la Guinée préoccupe de nombreux acteurs, et des initiatives ne cessent de naître tant dans le pays qu’à l’étranger. C’est dans ce cadre que la Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme (LIGUIDHO) a adressé une lettre ouverte au Premier ministre. Dans ce courrier dont copie est parvenue à Guineematin.com, l’organisation de défense des droits de l’Homme a exprimé sa préoccupation face à la situation que vit le pays.

Elle rappelle que le Président de la République a droit d’initier une révision constitutionnelle par voie référendaire mais que cette révision ne doit pas toucher aux intangibilités, dont le nombre et la durée des mandats du Président de la République.

C’est pourquoi, la LIGUIDHO fait remarquer que « le projet de Constitution actuel ne peut être présenté que sous la forme d’une révision de la Constitution de 2010 et non procéder à un changement radical de Constitution en vue de « remettre les compteurs à zéro » et permettre éventuellement au Président de la République actuel de pouvoir briguer un autre mandat »

Guineematin.com vous propose ci-dessous l’intégralité de la lettre ouverte adressée au Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana.

Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme

 

 Agir ensemble pour les droits humains

 

Conakry, le 02 mars 2020

N/Réf. : 001/LIGUIDHO/Présidence/2020

 À Monsieur le Premier Ministre

                                                                         Chef du Gouvernement

Conakry, République de Guinée

 

 Objet : Propositions de solutions pour une sortie de crises en Guinée

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

La Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme (LIGUIDHO) est très préoccupée par la crise sociopolitique sans précédent que traverse notre pays suite à la volonté des plus hautes autorités de procéder à une réforme constitutionnelle.

La crise s’est tellement enlisée que toutes les activités sont paralysées tant dans le secteur public que dans le secteur privé à cause des manifestations tantôt pacifiques et tantôt violentes, avec le départ de certains investisseurs et la suspension de certaines formes d’aide au développement de la part de quelques partenaires techniques et financiers de notre pays.

Un tel climat délétère a pour corollaire, l’accentuation de la pauvreté, du chômage et la montée en puissance de certaines formes de criminalité.

Face à cette situation déplorable, il paraît donc impérieux pour la LIGUIDHO, de s’adresser directement à vous, sous forme de lettre ouverte, afin d’éviter qu’une telle image négative que présente aujourd’hui notre cher pays ne perdure.

De ce fait, la LIGUIDHO voudrait profiter du report du scrutin du dimanche dernier, pour vous soumettre ses propositions de sortie de crise et vous demander d’engager, dans un bref délai, un dialogue inclusif entre les acteurs de la crise actuelle, sur le fondement des dispositions de l’article 58 alinéa 3 de la Constitution du 7 mai 2010 selon lesquelles :

« Le Premier ministre est responsable de la promotion du dialogue social et veille à l’application des accords avec les partenaires sociaux et les partis politiques… »

Dès lors, les recommandations de la LIGUIDHO pour une sortie de crise concernent les axes suivants :

La LIGUIDHO reconnaît au Président de la République son droit d’initier une révision de la Constitution par voie référendaire sur la base des dispositions de l’article 152 alinéa 1 et 2 de la Constitution du 7 mai 2010 selon lesquelles :

« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux Députés.

 Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision est adopté par l’Assemblée nationale à la majorité simple de ses membres. Il ne devient définitif qu’après avoir été approuvé par référendum. »

Ainsi, le Président de la République a le droit de soumettre au peuple de Guinée un projet de réforme constitutionnelle en application de l’article sus visé.

Cependant, l’article 154 de la même Constitution de 2010 encadre le droit du Président de la République de consulter le peuple de Guinée sur un projet de Constitution lorsqu’il dispose que :

« La forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision. »

 Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, d’après les dispositions qui précèdent, le Président de la République, ne saurait, dans la jouissance de son droit de soumettre au peuple un projet de Constitution, toucher les intangibilités contenues dans l’article 154 précité.

En d’autres termes, le projet de Constitution, ne doit, en aucun cas, porter sur le nombre et la durée du mandat présidentiel.

Or, le projet de Constitution actuel déroge de façon flagrante à cette règle du principe de l’intangibilité en prévoyant un mandat de 6 ans renouvelable une fois.

Pourtant, l’article 27 de la Constitution du 7 mai 2010 prévoit que :

« Le Président de la République est élu au suffrage universel direct.

 La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois.

 En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. »

 En effet, le peuple de Guinée est désormais titulaire d’un droit acquis garanti par l’article précité, celui de ne plus être dirigé par le même Président de la République au-delà de deux mandats consécutifs ou non.

 C’est pourquoi, au regard de tout ce qui précède, il convient de faire remarquer que le projet de Constitution actuel ne peut être présenté que sous la forme d’une révision de la Constitution de 2010 et non procéder à un changement radical de Constitution en vue de  « remettre les compteurs à zéro » et permettre éventuellement au Président de la République actuel de pouvoir briguer un autre mandat.

D’où, la LIGUIDHO recommande de maintenir en l’état, les articles 27 et 154 de la Constitution du 7 mai 2010 dans le projet de Constitution à soumettre au référendum.

Par ailleurs, le projet de Constitution actuel supprime curieusement la volonté du peuple de Guinée de lutter contre la corruption et les crimes économiques contenue dans le préambule de la Constitution de 2010.

Ce qui est une régression notoire pour qui connaît notre pays où la corruption et les crimes économiques se commettent à ciel ouvert en toute impunité.

En effet, la volonté du peuple de Guinée de lutter contre la corruption et l’imprescriptibilité des crimes économiques exprimée dans la Constitution de 2010 a l’avantage d’être en parfaite harmonie et même d’être en avance sur la Convention des Nations Unies contre la Corruption, appelée Convention de Mérida (Mexique), à laquelle notre pays est partie et dont l’article 29 prévoit plutôt un long délai de prescription dans lequel des poursuites peuvent être engagées en matière de lutte contre la corruption.

D’où, la LIGUIDHO recommande de reconduire dans le projet de Constitution actuel la lutte contre la corruption et l’imprescriptibilité des crimes économiques comme une des priorités du peuple de Guinée en vue de garantir suffisamment sa volonté de lutter contre les actes de corruption et les détournements de deniers publics qui sévissent en République de Guinée depuis des années. 

Par ailleurs, d’après de nombreux observateurs consultés par la LIGUIDHO, le fichier électoral actuel est l’un des facteurs conflictogènes de notre pays en ce sens qu’il contient de graves anomalies.

C’est pourquoi la LIGUIDHO recommande que le fichier électoral soit apuré des cas de doublon, de décès et d’enregistrement de mineurs pour donner l’occasion à tous les partis politiques légalement constitués de pouvoir candidater lors des prochaines échéances électorales.

En conclusion, à la lumière de tout ce qui précède, la LIGUIDHO ne trouverait pas illégale l’initiative d’une révision constitutionnelle d’autant plus qu’elle est prévue par l’article 152 de la Constitution du 7 mai 2010.

Cependant, une telle réforme constitutionnelle devrait se faire dans le strict respect des dispositions des articles 27, 152 et 154 de la Constitution en vigueur ainsi que dans le souci de promouvoir l’alternance démocratique, la lutte contre la corruption et les crimes économiques en République de Guinée.

En fin, le fichier électoral actuel doit être corrigé par la suppression des cas de doublon, de décès et d’enregistrement de mineurs avant l’organisation d’élections transparentes, crédibles et inclusives dont les résultats seront acceptés de tous.

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, la LIGUIDHO espère que la mise en œuvre de ces  recommandations, à la suite d’un dialogue inclusif avec tous les acteurs de la crise actuelle, avant l’organisation des prochains scrutins, permettrait au peuple de Guinée de jouir pleinement de son droit à la paix et au développement, d’une part, et d’autre part, de ne plus connaître d’autres cas de violations graves des droits de l’Homme notamment les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Veuillez agréer Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, l’expression de nos sentiments distingués.

                                                                       Le Président

 

 Me Kpana Emmanuel BAMBA

Ampliation:

 

– Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (HCDH) en Guinée

 

– Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)

 

– Délégation de l’Union européenne en Guinée

 

– Ambassade du Royaume-Uni en Guinée

 

– Ambassade des États-Unis d’Amérique en Guinée

 

– Bureau de la CEDEAO en Guinée

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