Commentaires préliminaires sur la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO du 19 mars 2020

Maître Amadou DIALLO et Nadia NAHMAN
Maître Amadou DIALLO et Nadia NAHMAN
Maître Amadou DIALLO et Nadia NAHMAN
Maître Amadou DIALLO et Nadia NAHMAN

Le FNDC a saisi la Cour de Justice de la CEDEAO depuis le 18 Février 2020 d’un recours pour violation du droit communautaire relatif aux droits de l’homme, aux principes démocratiques et à l’État de droit. En raison des risques encourus et de l’urgence, ce recours est assorti d’une demande de procédure accélérée et d’une demande de mesures provisoires.

Les mesures provisoires sollicitées avaient pour but d’obtenir, à titre conservatoire, la suspension du processus électoral et référendaire en attendant que la Cour examine les griefs portés devant elle.

Curieusement, la Cour a fixé la date d’audience au 12 mars, alors que le double scrutin référendaire et législatif était fixé au 1er mars. En effet, l’audience sur les mesures provisoires qui étaient censées nous préserver de ce qui devait se passer le 1er mars a été fixée au 12 mars.

Premier élément d’incompréhension de la décision.

Deuxième élément d’incompréhension de la décision : La Procédure accélérée et les mesures provisoires répondent à la même exigence : « la compétence prima faciès de la Cour et l’urgence qui s’attache à la préservation des droits des requérants face à un risque grave et imminent ».

Les requérants s’interrogent donc sur la question de savoir : comment la Cour de Justice de la CEDEAO peut-elle admettre la procédure accélérée et pas les mesures provisoires, alors qu’elles sont toutes deux basées sur l’urgence à statuer pour prévenir les risques liés au double scrutin législatif et référendaire ?

En fixant la date d’audience au 30 avril 2020, la Cour de Justice considère qu’il y a urgence pour elle d’examiner l’affaire dans le cadre de la procédure accélérée. En revanche, il n’y a pas urgence pour qu’elle ordonne des mesures provisoires avant la tenue du double scrutin.

D’un point de vue strictement procédural, c’est incompréhensible. On a du mal à saisir la position de la Cour qui a été saisi pour prévenir les risques liés à un évènement : le double scrutin législatif et référendaire prévu le 1er mars puis reporté au 22 mars 2020.

Qui plus est, le report était officiel et la Cour a été informée par une note en délibéré et, en annexe, le décret convoquant le corps électoral, transmis par notre avocat. Les motifs pour lesquels elle a été saisie pour les élections du 1er mars sont les mêmes pour les élections prévues le 22 mars.

Concernant les mesures provisoires, la Cour s’est focalisée sur la date du 1er mars pour dire que ces mesures sont sans objet dans la mesure où les élections n’ont pas eu lieu à cette date. On utilise l’argument « sans objet » lorsque c’est trop tard, notamment lorsque les droits que la Cour entend protéger par des mesures conservatoires sont définitivement anéantis.

Or, en l’espèce, les raisons qui ont justifié la demande de mesures provisoires et l’urgence qui s’y attache sont toujours d’actualité, puisque les consultations électorales et référendaires en litige sont maintenues pour le 22 mars, soit avant l’audience au fond fixée, par la Cour elle-même, le 30 avril.

Le 12 mars dernier, à l’audience, la Cour aurait pu annoncer que la demande de mesures provisoires est sans objet si les élections avaient eu lieu le 1er mars. De même, si le double scrutin législatif et référendaire avait eu lieu le 1er mars, le délibéré n’aurait pas été renvoyé au 19 mars.

Il convient de relever que la Cour s’est déclarée compétente et elle a estimé qu’il y a urgence à examiner l’affaire au fond le 30 avril. La requête est donc déclarée recevable contre la Guinée.

Par contre, la CEDEAO et les 14 États membres auraient été mis hors de cause, selon les informations que nous avons eues. Si cela était vrai, ce serait grave et inédit.

Il n’existe aucune juridiction au monde qui met hors de cause une partie contre laquelle une plainte est dirigée avant d’examiner l’affaire au fond. A priori, nous pensons que cette mise hors de cause concerne uniquement la demande de mesures provisoires et non la demande au fond. Le FNDC attend la notification de la décision écrite de la Cour pour apprécier sereinement sa motivation.

En attendant, plusieurs citoyens s’interrogent sur l’existence de garantie juridictionnelle dans l’espace CEDEAO. Après la confirmation du caractère tronqué du Fichier électoral guinéen et l’annulation de deux missions de haut niveau des Chefs d’État de la CEDEAO, la Cour avait donc les coudées franches pour ordonner les mesures provisoires demandées et, par ricochet, sauver des vies humaines et empêcher que le pays ne sombre dans le chaos. Elle aurait pu prendre ses responsabilités devant l’histoire en disant le droit pour prévenir une rupture de la démocratie et la violation massive des droits l’homme en Guinée.

Admettons qu’au 30 Avril la Cour donne raison au FNDC de l’avoir saisi et que le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars soit emmaillé de violences graves, ne serait-ce pas faire office de médecin après la mort ?

Tribune co-signée par Maitre Amadou Diallo et Nadia Nahman

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