Décès de Pape Diouf : un baobab s’est couché (Par Amadou Diouldé Diallo)

Pape Diouf, ancien président de l'Olympique de Marseille
Pape Diouf, ancien président de l’Olympique de Marseille

Je rends grâce à Dieu, le Tout Puissant et Miséricordieux. Le 0033665501619, le numéro de Pape Diouf, mon ami et frère, ne répondra plus à mes appels. Notre première rencontre, c’est en 1999-2000, ici à Conakry. Il était en compagnie du président du club italien de la Sampdoria de Gênes et répondait à une invitation de Salifou Camara, Super V, alors président de la Fédération Guinéenne de Football.

Opérateur économique de renom, ce dernier avait racheté la base vie de l’entreprise italienne Cochery-Bourdin Chaussées, juste derrière l’Ecole Normale Supérieure de Manéah. Salifou Camara, Super V, voulait transformer cette base vie en un complexe sportif avec en prime un terrain de football de grand standing. Il avait donc besoin des précieux conseils de Pape Diouf, qui avait fait venir le président de la Sampdoria de Gênes dans la perspective d’un partenariat gagnant-gagnant.

Et depuis, une intense et féconde amitié s’est instaurée entre Pape Diouf et moi. Nous nous rencontrions aux phases finales de la CAN et prenions du plaisir à échanger. Et, sa présence annoncée dans les stades galvanisait les joueurs sur le terrain car pour eux, c’était une belle occasion de taper dans l’œil de ce pape du football qui pouvait, par son puissant réseau de relations, changer le cours de votre destin.

Pape Diouf aimait aussi le débat autour d’une tasse de café sans jamais paraître comme un donneur de leçons. Il était affable, humble, modeste comme le sont les grands hommes. Par le hasard de nos agendas, nous nous voyions à Dakar aussi, comme en février 2013 lorsque je me trouvais dans la capitale sénégalaise pour prendre part à une réunion de l’AIPS Afrique, dont je suis le vice-président.

Le président Macky Sall nous avait fait l’honneur de nous recevoir au palais présidentiel dans la matinée du 22 février 2013. L’après-midi, nous assistâmes à un match international de football au stade de l’amitié. Pape Diouf était là, en vrai fils du terroir, parlant allègrement Wolof avec la simplicité qui l’a toujours caractérisée. Musulman pieux, il mettra la mi-temps à profit pour faire sa prière d’ASRI. Moi aussi. C’est alors que nous nous retrouvâmes d’abord dans les toilettes pour les ablutions, ensuite sur le tapis de prière.

A la fin, tenant solidement sa main de peur d’être envahis ou le voir filer, tant les sollicitations étaient nombreuses, je lui parlais de mon fils, Ibrahima Sory, qui était un fan de l’Olympique de Marseille et qui avait déjà passé un mois dans son centre de formation sous la houlette de Henry Stambouli, ancien sélectionneur du Sily National de Guinée. Sans attendre, je composai le numéro de téléphone de mon fils et lui passa Pape Diouf. Ils échangèrent pendant de longues minutes et promirent de se voir une fois Pape Diouf rentré en France.

J’étais fier d’être le père qui avait comblé le désir de son fils de parler à ce monument du football et lui, Ibrahima Sory, passera comme il me le dira, l’un des plus grands moments de sa vie. Encore plus quand lui et moi prîmes le train à Clermont Ferrand pour aller voir Pape Diouf à Marseille. Je ne cessais de me glorifier devant mon fils de lui avoir mis en face le grand Pape Diouf alors que ce dernier ne donnait nullement l’impression d’être celui qu’il était véritable incarnation de l’Afrique gagnante.

Cet amour tyrannique pour l’Afrique, pour reprendre l’expression du poète président Léopold Sedar Senghor, Pape Diouf l’a tété à la naissance dans les palmeraies d’Abéché, au Tchad, d’un père militaire de la coloniale, qui voulait le voir en tenue dans les rangs afin de porter son héritage du fusil, de la gamelle, des brodequins, du ceinturon et des barrettes au son du clairon.

Mais, le valeureux fils choisit d’abord la plume du journalisme sportif, ensuite celui d’agent émérite de joueurs afin de guider et protéger ses frères africains des affres du marché du muscle avant d’inscrire son nom unique et majestueux au panthéon de président de l’Olympique de Marseille, l’un des plus prestigieux clubs de football du monde.

Parlant de son lieu de naissance dans nos entretiens, Pape était content de trouver en moi un passionné d’Histoire et de Géographie du continent. On rangeait le foot au placard pour évoquer ces villes Tchadiennes d’Abéché, de Faya Largeau, leur nature, leurs tribus nomades qui se livraient bataille avec des chefs de guerre comme Hissène Habré et Goukouni Wedeye, dont la responsabilité dans l’enlèvement et la séquestration de l’archéologue française, Françoise Claustre est indéniable.

On n’oublia pas Fort Lamy, devenue N’Djamena, au bord du l’Oubangui Chari, qui charrie les terres cultivables et d’où au loin on aperçoit la nuit, les lumières de la ville camerounaise de Koussery.

Poursuivant l’entretien, je dis à Pape Diouf que le célèbre artiste des ballets africains de la République de Guinée, Italo Zambo, était tchadien d’origine. Il s’empressa de me dire que le valeureux capitaine du Hafia FC et du Sily National, Thiam Ousmane Tolo, était Sénégalais et que la Guinée prenait tout ce qui était bon.

Il aimait cette Guinée, à travers surtout ses footballeurs d’exception, la puissance de feu de Souleymane Chérif, le dribble dévastateur de Petit Sory, les éclats du bijoutier du clair de lune Maxime, la force de tank de Bangaly Sylla, les courses poursuites et le don du but de N’joléa, sans oublier les splendides amortis de poitrine, les louches et la vision panoramique de Papa Camara, poussés dans leur dynamique de conquête par la verve des inimitables reporters sportifs, les meilleurs du continent à ses yeux : Pathé Diallo, Boubacar Kanté, Kabiné Kouyaté et Gaoussou Diaby.

Pape Diouf aimait aussi la musique guinéenne, surtout le Bembeya Jazz National. Je lui expliquai alors la signification du nom Bembeya et le contenu des morceaux de son riche répertoire.

Il était aussi heureux de voir que la génération des Titi Camara, Morlaye Soumah, Salam Sow, Fodé Mansaré, Pablo Demba Thiam et Pascal Feindouno avait réinscrit le football guinéen sur les tablettes du football africain.

Pour Pape Diouf, la Guinée était une école où tout africain attaché aux valeurs de fierté et de dignité du continent devait venir se mettre en classe. C’est cet homme élégant, doté d’une immense culture, qui vient de passer du terreux au céleste, première victime du Sénégal du coronavirus qui frappe impitoyablement le monde entier.

Quelqu’un disait que sport et musique riment comme voile et vents. Même à l’envers de l’Histoire, Aurlus Mabélé, Manu Dibango, Pape Diouf, trois princes de notre continent, s’en sont allés.

Reposez en paix. Amine !

Amadou Diouldé Diallo, Journaliste-Historien

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