Plan de riposte au Covid-19 de la Guinée : plaidoyer pour une baisse des tarifs de la téléphonie et de l’internet

La République de Guinée, à l’instar des autres pays du monde, fait face depuis plusieurs semaines à une pandémie d’une rare violence, engendrée par l’apparition du Coronavirus (Covid-19). Le nombre de personnes infectées croit tous les jours de façon exponentielle. La barre symbolique des mille cas cumulés a été franchie avec malheureusement plusieurs décès à la clé.

Cette crise est en train de projeter notre « petite » économie nationale dans une nouvelle situation qui met en exergue la nécessité aussi bien pour les ménages que pour les entreprises d’utiliser les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC).

  1. Les effets du Covid-19 : confinement, distanciation sociale, baisse des revenus

Les guinéens vivent dans un contexte d’Etat d’Urgence Sanitaire depuis le 26 mars 2020. Pour limiter la propagation du virus dans la société, l’Etat a invité les travailleurs des secteurs public et privé, ainsi que les ménages à limiter les déplacements au strict nécessaire, tout en respectant les gestes barrières et la distanciation sociale. Les frontières terrestres et aériennes sont fermées jusqu’à nouvel ordre et le télétravail est particulièrement encouragé. Les activités non essentielles sont suspendues.

  1. Le Plan de Riposte de l’Etat Guinéen

Conscient de l’impact de ces mesures sur les conditions de vie des ménages et les activités des entreprises, l’Etat guinéen a élaboré un Plan de Riposte qui a fait l’objet d’une large diffusion. L’objectif visé est d’assister les structures qui agissent dans la lutte contre le Covid-19, de soutenir les entreprises et d’aider les ménages les plus précaires.

Pour notre part, nous pensons que les rédacteurs de ce Plan de Riposte auraient pu ou auraient dû intégrer dans ce document stratégique des mesures en rapport avec le secteur des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (ordinateur, téléphonie, Internet, etc.). Dans ce qui suit, nous précisons les raisons qui justifient notre analyse.

  1. Pourquoi des mesures en rapport avec le secteur des NTIC ?

Bien sûr que le secteur des NTIC n’est pas celui qui est pour le moment le plus touché par le Covid-19. Cependant, son importance est accrue dans un contexte de confinement. Le travail à distance est en train de devenir la règle aussi bien pour les entreprises (grandes et petites) que pour les administrations publiques. Cette nouvelle réalité requiert une utilisation plus grande des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) : ordinateur, téléphone, Internet haut débit, etc. Le gouvernement a été par exemple obligé de s’équiper pour pouvoir tenir les grandes réunions gouvernementales. Les entreprises sont soumises à la même pression bien que leurs défis soient moins médiatisés. Au-delà des équipements, les budgets de consommation en temps d’appels et d’utilisation de données internet augmentent considérablement.

Les ménages ne sont pas épargnés par ce recours plus important aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC).

Ainsi, dans ce contexte de crise sanitaire, les liens sociaux, professionnels et familiaux sont conservés à distance via les NTIC : appel téléphonique, Fax, SMS, WhatsApp, Imo, Viber, Facebook, email, LinkedIn, Twitter, Zoom, Skype, Google Meet, etc. Tout cela engendre des coûts supplémentaires aussi bien pour les ménages, les entreprises que les employés des secteurs public et privé. Cette crise sanitaire a aussi engendré une baisse des activités, donc une baisse de revenus pour la majeure partie de nos compatriotes. L’Etat aurait donc pu tenir compte de tous ces éléments dans son Plan de Riposte.

  1. Quelle est la réalité des coûts dans le secteur de la téléphonie en Guinée[1] ?

Tout d’abord, une étude réalisée par la Banque panafricaine Ecobank en septembre 2018 sur le coût des données mobiles en Afrique Sub-Saharienne a montré que les internautes africains paient les données mobiles plus « cher » qu’ailleurs : un gigabit de données représente 8,76% du revenu mensuel alors que les Nations Unies se fixent pour objectif de parvenir à un coût du giga inférieur à 2% du revenu mensuel par habitant. D’où l’expression « 1 pour 2 ».

La situation de la guinée n’est pas différente. Une étude réalisée en 2018 par le Cabinet de Consulting Ernest & Young (EY) sur la fiscalité du mobile en Guinée a montré que le coût de possession de la téléphonie mobile est très élevé et représente un obstacle majeur à la connectivité, notamment pour les personnes les plus modestes. Le même rapport souligne que « le coût de possession élevé de la téléphonie mobile en Guinée représente notamment un obstacle important. Les personnes qui appartiennent à la tranche inférieure de la répartition des revenus (20% les plus pauvres) consacrent approximativement 10,9% de leurs revenus mensuels à la possession de la téléphonie mobile (sur la base d’un panier de consommation de 500 Mo). Les paniers plus consommateurs de données sont encore moins accessibles : le coût d’un panier de consommation intermédiaire (1 Go de données, 250 minutes d’appel et 100 SMS) est supérieur au revenu mensuel total des personnes figurant dans la tranche inférieure des revenus (20% les plus pauvres) et se situe par conséquent largement au-dessus du seuil d’accessibilité de « 1 pour 2 » (1 Go de données pour moins de 2% des revenus mensuels) préconisé par les Nations Unies ».

Aussi, d’après l’Observatoire annuel de l’ARPT, le taux de pénétration en 2019 de la téléphonie mobile était de 105,6% et celui de l’Internet à 39%. L’Average Revenu Per User- ARPU (revenu mensuel moyen réalisé par une entreprise par client) était de 35 000 GNF en Décembre 2019 contre 34 000 GNF en Décembre 2018, soit une hausse de 3%. Cet indicateur montre que les consommateurs augmentent déjà leur budget de consommation des services de téléphonie mobile, non pas par ce que leur revenu a augmenté mais par ce que les coûts ont augmenté. Cet ARPU guinéen est relativement faible par rapport à d’autres marchés de l’Afrique de l’Ouest (référence base de données GSMA Intelligence). Cette faiblesse s’expliquerait en grande partie par le faible niveau de revenus par habitant et la pénétration limitée des services 3G et 4G. Il convient de rappeler que 55,2% des guinéens vivaient sous le seuil de la pauvreté en 2012 (moins de 8 800 GNF par personne et par jour).

  1. Quel rôle de la fiscalité dans la cherté de la téléphonie en Guinée ?

Un rôle important. Le rapport d’audit de EY (2018) fournit des informations intéressantes sur ce point de vue. En Guinée, la téléphonie mobile est devenue un secteur majeur de l’économie. Le nombre d’abonnés mobiles est passé de 1,3 million en 2007 à 6,0 millions en 2017 (taux de pénétration de 46,5% en abonnés uniques), ce qui représente un taux de croissance annuel moyen de 17%. Le chiffre d’affaires total du secteur s’est élevé à 472 millions $ en 2017, ce qui équivaut à 6,4% du PIB de la Guinée.

Les principaux impôts appliqués au secteur sont :

  1. Les droits de douane 10 ou 20%: Les téléphones portables et les cartes SIM sont soumis à des droits de douane dont le taux s’élève respectivement à 10 et 20%. Les antennes-relais et les équipements de réseau sont également soumis à des droits de douane de 10%.
  2. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) 18%: Les télécommunications sont soumises au taux de TVA standard de 18%, tout comme les appareils téléphoniques, les cartes SIM et les cartes de crédit téléphonique.
  3. Le droit d’accise sur la consommation téléphonique: il s’agit de la taxe sur la consommation téléphonique (TCT) de 1 GNF par seconde d’utilisation. C’est un impôt à la consommation, payé par les sociétés, qui n’est pas déductible de l’impôt sur les sociétés. Elle se présente comme suit : la TCT est de 1 GNF par seconde d’appel, 10 GNF par connexion pour les SMS et 5% du prix du forfait internet.
  4. La surtaxe sur les appels internationaux entrants (SAIE) : La Guinée impose une commission de terminaison d’appel de 0,28$ sur les appels en provenance de l’étranger. Cette commission forfaitaire collectée par les opérateurs se compose de deux éléments :
    1. Commission internationale couvrant les coûts et la marge bénéficiaire de l’opérateur local ;
    2. Surtaxe proprement dite, qui comprend la rémunération de l’autorité de surveillance des appels internationaux et la part de l’État.

Les 0,28$ par minute d’appel se répartissent comme suit en $ cents :

  • Autorité de Régulation des Postes et Télécommunications -ARPT- pour financer les programmes de lutte contre la fraude : 3,5 $ cent
  • Commission de service destinée à l’agence technique chargée de fournir, gérer et exploiter le système : 7 $ cent
  • Fonds pour la connexion de la Guinée par câble sous-marin, fibre optique et large bande pour démocratisation des télécommunications 1,5 $ cent
  • Tarif de gros (opérateurs) 16 $ cent
  1. La taxe d’accès aux réseaux des télécommunications (TARTEL) : Cette taxe est payée par les titulaires d’une licence d’exploitation du Réseau des télécommunications ouvert au public. Son taux est de 3% du chiffre d’affaires.

L’ensemble de ces impôts font du secteur de la téléphonie un des plus grands contributeurs aux recettes de l’Etat. En 2016, la fiscalité du secteur de la téléphonie mobile représentait près de 20% des recettes fiscales totales de l’État guinéen, contre 17% environ pour le secteur minier bien que la part du secteur minier dans le Produit Intérieur Brut (PIB) soit plus importante que celle du secteur de la téléphonie.

L’Etat devrait donc engager des réformes fiscales de manière à respecter les principes largement promus par les institutions internationales et qui sont les suivants :

  1. La base d’imposition doit être aussi large que possible ;
  2. Les impôts spécifiques doivent être limités et répondre à une logique précise d’externalités ;
  3. Le système fiscal doit être équitable ;
  4. Le système fiscal ne doit pas décourager l’investissement ;
  5. Le système fiscal doit être simple ;
  6. Les impôts doivent être faciles à collecter.
  7. Quelles implications pour l’Etat au titre du Plan de Riposte au Covid-19 ?

Pour réduire le coût du recours aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication dans ce contexte de Covid-19, l’Etat guinéen peut réduire, voire supprimer, certains impôts. Par exemple, la suppression de la taxe sur la consommation téléphonique (TCT) applicable aux bonus d’appel, qui s’élève actuellement à 1 GNF par seconde, permettrait de réduire le coût des appels gratuits offerts par les opérateurs mobiles. Cette mesure devrait entraîner une augmentation de l’offre d’appels bonus et donc réduire le coût effectif des communications téléphoniques pour les abonnés, ce qui devrait en retour favoriser l’usage et la connectivité dans l’ensemble du pays.

La réduction de la redevance annuelle sur les faisceaux hertziens (redevance FH) payée chaque année par les opérateurs mobiles guinéens pourrait constituer un puissant incitatif à l’investissement dans le secteur de la téléphonie mobile guinéen, avec de réelles retombées.

C’est pourquoi, dans ce contexte de crise sanitaire, compte tenu de la quasi-inexistence des réseaux fixes, il serait souhaitable que l’Etat initie un dialogue « gagnant-gagnant » avec les opérateurs téléphoniques pour permettre aux ménages et au Secteur Privé guinéen de bénéficier d’une baisse des tarifs de la téléphonie mobile et des données Internet. Cela favorisera l’inclusion numérique tout en améliorant le taux de pénétration de l’Internet, ce qui de facto permettrait de connecter davantage de personnes aux services mobiles, notamment dans les tranches de revenus les plus basses et engendrerait des effets économiques importants :

  • Au niveau du secteur privé: promotion du commerce électronique, pénétration de nouveaux marchés, fidélisation de la clientèle, accroissement du capital de connaissance, travail collaboratif, économie de temps et d’argent, réduction du chômage, etc.
  • Au niveau du système éducatif: accès à des contenus pédagogiques en ligne, accès à une information plus diversifiée et à des ressources riches et originales, etc.
  • Au niveau l’administration publique (e-Gouvernement): accélération du processus de digitalisation, services administratifs plus efficaces et efficients, sécurisation des ressources de l’Etat et des données des usagers, économie de temps et d’argent, etc.
  • Au niveau des ménages: économie de temps et d’argent, égalité des chances entre les citoyens, réduction de la pauvreté et de la fracture numérique, etc.
  • Au niveau des opérateurs de téléphonie: baisse des charges, investissement accru dans les infrastructures, création d’emplois, augmentation de la marge opérationnelle, etc.

Plus généralement, les experts s’accordent pour dire que l’accessibilité et la pénétration accrues des services mobiles améliorent la connectivité numérique et contribuent à réduire les barrières commerciales et encouragent les échanges commerciaux, la communication, l’innovation dans les offres de services et le développement humain (éducation et santé).

Pour terminer, nous affirmons que les bienfaits de réformes à la faveur du développement du secteur de la téléphonie, et plus largement de l’économie numérique, ne se limiteront pas seulement au niveau de la riposte au Covid-19 mais amélioreront considérablement la résilience de notre économie face aux chocs futurs. Cette crise sanitaire pourrait engendrer d’autres crises, notamment sociale, financière et économique.

Il serait donc improductif de « limiter » le développement du secteur des NTIC par une fiscalité trop forte en raison d’objectifs ou de contraintes de court terme liés au besoin de mobiliser des ressources. 

Dr Mamadou BARRY |Economiste, Enseignant-Chercheur |[email protected]

Diarra DOUMBOUYA |Senior IT Project Manager|[email protected]

[1] Les données utilisées dans la suite de l’analyse datent essentiellement de 2016 et de 2017 et ont été puisées du rapport de EY portant sur : Réformer la fiscalité de la téléphonie mobile en Guinée pour libérer les avantages socio-économiques de la connectivité mobile

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