Comment vaincre le Covid-19 en Guinée ? Les propositions de Dr Ben Youssouf Keïta

Dr Ben Youssouf Keïta, membre du bureau exécutif de l’UFDG et ancien président de la commission santé de l’Assemblée Nationale
Dr Ben Youssouf Keïta, membre du BE de l’UFDG et ancien président de la commission santé de l’Assemblée Nationale

« Que l’équipe chargée de coordonner la lutte contre le coronavirus cesse les guéguerres internes, que l’Etat-major général chargé de lutter contre le Covid-19 s’entende et souffle dans une même trompette, que le bicéphalisme s’arrête entre l’ANSS et le ministère de la santé. Pour cela, j’interpelle monsieur le président de la République : si tout ne peut pas passer par un seul canal, c’est-à-dire la direction de l’ANSS, que ça passe par le ministère de la santé pour venir vers lui. S’il ne peut pas faire cela, alors qu’il fasse de l’ANSS un ministère des épidémiologies en le détachant du ministère de la santé ».

Ce sont là entre autres les propositions faites par Dr Ben Youssouf Keïta, membre du bureau exécutif de l’UFDG et ancien président de la commission santé de l’Assemblée Nationale, pour vaincre la pandémie du coronavirus en Guinée. Il l’a fait savoir au cours d’une interview qu’il a accordée à Guineematin.com à travers un de ses journalistes.

Décryptage !

Guineematin.com : que pensez-vous de la gestion de la pandémie de coronavirus en Guinée ?

Dr Ben Youssouf Keïta : comme tout guinéen adulte normal, on ne peut qu’être choqué, traumatisé et vraiment très désespéré face à la manière dont notre gouvernement est en train de gérer ce problème. C’est incroyable, inacceptable que l’on ne puisse pas tirer les leçons du passé. On dit que l’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur devient diabolique. Quand l’épidémie d’Ebola est venue en fin 2013-début 2014, ça a été démontré que le système sanitaire guinéen était complètement défaillant, complètement malade. Nous avons perdu plus de 2500 guinéens en moins de deux ans. C’était une maladie épidémiologique, donc ça signifie que nous avons déjà l’expérience et nous avons reçu beaucoup d’aides.

Moi, d’abord en tant que médecin, je suis choqué. En tant qu’ancien président de la commission santé de l’Assemblée Nationale, je suis choqué. Et en tant que politique aussi, je suis choqué, parce que j’ai eu la chance de monter au créneau pour attirer l’attention des uns et des autres, surtout de nos gouvernants et les gens qui sont chargés de régler cette situation, en leur disant que ce n’est pas une chose politique, c’est pour que le peuple de Guinée soit sauvé. Malheureusement, c’est tombé dans des sourdes oreilles. Vous comprendrez donc ma déception. Et je dis que ce que nous sommes en train de subir en tant que Guinéens, nous ne le méritons pas.

Le gouvernement a failli et le système qui avait la charge de nous protéger a complètement failli. L’ANSS a failli et le ministère de la santé a failli. Et la responsabilité n’incombe qu’à une seule personne, c’est le président de la République. C’est lui qui a juré de défendre et de protéger les Guinéens contre vents et marées, contre toute calamité et contre tout problème qui peut atteindre l’intégrité non seulement territoriale du mais aussi l’intégrité physique de tout guinéen et de tout citoyen résidant en Guinée. Mais aujourd’hui, nous sommes livrés au Covid-19 qui est devenu en ce moment incontrôlable surtout à Conakry.

Guineematin.com : à Conakry justement, le nombre de cas positifs ne cesse d’accroître depuis quelques semaines. Qu’est-ce qu’il faut selon vous pour rompre la chaine de contamination ?

Dr Ben Youssouf Keïta : maintenant que nous devons tous nous donner la main, oublier les positions partisanes, oublier nos guéguerres intestines, nous devons comme un seul homme faire face au coronavirus qui est notre ennemi invisible.

Je propose ce qui suit :

1- Que l’équipe chargée de coordonner la lutte contre le coronavirus cesse les guéguerres internes, que l’Etat-major général chargé de lutter contre le Covid-19 s’entende et souffle dans une même trompette, que le bicéphalisme s’arrête entre l’ANSS et le ministère de la santé. Pour cela, j’interpelle monsieur le président de la République : si tout ne peut pas passer par un seul canal, c’est-à-dire la direction de l’ANSS, que ça passe par le ministère de la santé pour venir lui. S’il ne peut pas faire cela, alors qu’il fasse de l’ANSS un ministère des Epidémiologies en le détachant du ministère de la santé. Ainsi, il n’y aura pas de guerre d’égos et chacun viendra lui rendre compte. Mais, tant que cela n’est pas, il y aura des problèmes.

2- Faire en sorte que les mesures barrières édictées par l’OMS soient respectées à la lettre.

3- Impliquer de manière massive les journalistes de tout acabit, c’est-à-dire ceux qui parlent en langues étrangères comme tous ceux qui parlent en langues nationales pour faire des émissions tout bout de champ jusque dans les villages pour sensibiliser la population. Ensuite, faire intervenir les paroliers, les élus locaux, parce que c’est eux qui bénéficient de la confiance des populations à la base. C’est ces paroliers, ces communicants traditionnels qui sont écoutés par la population à la base.

Enfin, que les techniciens qui sont au front soient dotés de tout le matériel nécessaire en commençant par les laborantins. Que ceux qui font le diagnostic au laboratoire aient le matériel nécessaire, qu’ils soient motivés et qu’ils soient épaulés afin que le nombre de tests passe de 250 à peut-être 1000 par jour. Ensuite, que les lits d’hospitalisation soient multipliés. Au lieu de 500 que nous avons actuellement à Donka, qu’on ait au minimum jusqu’à 1500 pour hospitaliser tous ceux qui sont testés positifs. Que ceux qui ne présentent pas de signes soient mis dans une salle en quarantaine ou en quinzaine pour voir s’ils ne présentent pas les symptômes. Pour cela, il est important de réquisitionner les hôtels disponibles.

En fin de compte, motiver tous ceux qui sont engagés sur le front de la lutte contre le coronavirus et surtout faire en sorte que la population soit rassurée qu’il n’y a pas de coronavirus business comme il y a eu Ebola business. Tant que la population n’est pas rassurée, ça va être difficile de considérer ce qui est édicté par l’état-major. Alors, il faut comprendre que tant qu’on n’est pas convaincu de quelque chose, on ne le fait pas.

Quand vous êtes convaincu, vous n’avez pas besoin d’avoir un policier derrière vous, vous n’avez besoin d’aucune menace. Il faut au les Guinéens soient convaincus que le coronavirus existe et que tous les Guinéens soient rassurés de l’attitude que va prendre le gouvernement en disant qu’il n’est pas en train de se sucrer sur leur dos mais il est en train vraiment de lutter pour la survie de la nation guinéenne.

Guineematin.com : certains proposent le confinement total de la capitale, Conakry, qui est l’épicentre de la maladie. Quel est votre avis là-dessus ?

Dr Ben Youssouf Keïta : je suis totalement d’accord, Conakry doit être confiné. Ce ne sont pas les citoyens de Conakry qui doivent être confinés parce qu’on ne peut pas confiner les habitants pour dire que chacun reste chez soi. Ce n’est pas possible parce qu’il n’y a pas de courant 24/24h, il n’y a pas d’eau 24/24h, les gens n’ont pas les moyens de se nourrir tous les jours sans sortir. Il faut que les gens sortent tous les jours pour aller chercher la popote journalière. Il y a très peu de Guinéens qui sont capables de rester trois à quatre jours sans avoir besoin d’aller au marché. Donc, ce ne sont pas les habitants de Conakry qu’on confine comme c’est le cas en Europe, non.

C’est le périmètre de Conakry qui doit être confiné. C’est-à-dire, Conakry doit fonctionner jusqu’à Coyah, et à partir de là, personne ne sort de Conakry pour aller à l’intérieur. Et, le gouvernement prend les mesures nécessaires pour que ceux qui entrent avec l’alimentation puissent entrer de manière bien canalisée. Que les transporteurs qui viennent de l’intérieur et d’autres pays puissent entrer mais en dehors de ça, que personne ne sorte de Conakry pour aller à l’intérieur et personne n’entre. C’est ce qu’on appelle confiner Conakry au minimum pendant deux semaines, un mois, afin de diminuer vraiment la flambée catastrophique du nombre de contaminations par jour.

Guineematin.com : en tant que médecin, qu’est ce vous demandez personnellement aux citoyens face à cette pandémie ?

Dr Ben Youssouf Keïta : il faut que tous les citoyens sachent que le Covid-19 est une réalité, c’est vrai. Cette maladie est dangereuse et elle peut tuer. Il faut tous les Guinéens le sachent, cette maladie ne connait pas l’appartenance politique, ethnique, sexuelle ni religieuse. Donc, tous les Guinéens sont concernés. Et pour cela, tant que vous pouvez rester à la maison sans sortir, mes chers compatriotes, il faut rester. Ne sortez que quand c’est indispensable, c’est-à-dire que si vous ne sortez pas, la famille ne va pas manger ou si vous ne sortez pas, un malade que vous avez va mourir. Tant que vous pouvez rester à la maison manger et dormir, restez en famille. Si vous devez sortir obligatoirement, lavez-vous les mains en sortant, portez le masque, et quand votre rentrez de votre sortie, lavez vos mains avant de faire passer votre main sur le visage.

Quand vous sortez, tant que vous pouvez éviter de vous coller à quelqu’un, tant que pouvez éviter qu’il y ait moins d’un mètre de distance entre vous et votre vis-à-vis, il faut le faire. C’est pour cette raison que je déconseille les bousculades pour monter dans les bus gratuits, je déconseille les bousculades pour lutter dans le train gratuit. Je demande à l’État de renforcer la sécurité au niveau des embarcadères pour les bus gratuits et les embarcadères pour le train gratuit. Il faut que l’État prenne ses responsabilités pour le faire. Enfin, je félicite les soignants, j’encourage les médecins et les infirmiers. Il y a le serment d’Hippocrate que nous avons prêté, faisons notre travail comme ça se doit. Dieu nous payera.

Interview réalisée par Siba Guilavogui pour Guineematin.com

Tel: 620 21 39 77/ 662 73 05 31

Facebook Comments Box