Les mots et les maux du ministre

Habib Yimbering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher cousin,

Comme tu l’as appris, ton cousin est redevenu un simple citoyen. Certains pensent  que c’est la déchéance. Alors que c’est la délivrance. Ces derniers temps, la situation était devenue insupportable pour moi. Je suis donc paradoxalement heureux de ce limogeage. Même si les miens ne partagent pas mon sentiment et mon enthousiasme.

Je ne t’apprends pas le vieil adage selon lequel « La manière de donner vaux mieux que ce que l’on donne ». Si être ministre signifie l’humiliation, je n’en veux plus. Je fais allusion à ces nombreux appels que je recevais après une coupure d’électricité. Pour te dire la vérité, je ne pouvais plus décrocher un appel de mon patron devant ma femme et mes enfants à cause d’un interrogatoire parfois serré auquel je devais répondre.

Lorsque je trouvais refuge dans ma chambre pour répondre au téléphone, ma femme et mes enfants savaient qui était mon interlocuteur. Ils s’exclamaient toujours en disant que le pauvre devra s’expliquer encore ! Surtout lorsque l’appel était précédé d’une coupure d’électricité. Devant une telle situation, que dis-je, une telle humiliation, le limogeage constitue plutôt un ouf de soulagement, une véritable libération.

Tu as dû apprendre aussi qu’après ce décret libérateur, certains jeunes ont manifesté pour réclamer son annulation. Cela m’a fait sourire. Car ces jeunes n’ont pas demandé mon avis avant de manifester.  Ils ne savent pas quel est mon état d’esprit. Quand j’ai appelé quelques notables de notre ville pour leur dire de calmer les esprits et que j’étais plutôt heureux de me libérer enfin, plus personne ne semblait me croire. Le téléphone est passé d’une main à une autre pour entendre mes propos de vive voix.

Quand mes propos ont été rapportés aux jeunes, ils ont émoussé le plus déterminé d’entre eux, arrêtant du coup les slogans hostiles à mon patron. En fait, et, c’est l’autre confidence que je te fais, je n’ai jamais considéré cet homme comme mon véritable patron. Il le savait. Et, il ne me l’a jamais pardonné. C’est pourquoi, il s’est livré à un exercice plutôt stupide et révélateur de sa souffrance et son complexe. Comme celui qui jette des punaises dans la tombe de son ennemi, il a exigé et obtenu de son patron à lui la paternité de mon limogeage a posteriori.

Nous cousins Gaulois appellent cela tirer sur une ambulance. Ce monsieur n’a pas trouvé mieux que de tirer une rafale automatique sur un corbillard. Mais, comme disait l’autre, cabri mort n’a pas peur de couteau. Moi, je suis parti. C’est désormais lui qui devra se battre pour s’accrocher. Or il est sur la corde raide. Parce que tout simplement il a rempli sa mission : celle qui lui avait été confiée en septembre de l’année dernière.

Si tu ne suis pas forcément l’actualité de notre pays, sache qu’il avait une mission de consulter toutes les couches politiques et sociales. L’objectif de ces consultations était d’obtenir ce qui s’est passé le 22 mars dernier. Après cette mission, le plus dur est à venir. D’autant plus qu’il a atteint le sommet. A ce niveau, la seule promotion qu’il puisse avoir c’est de remplacer son patron. Mais cela relève d’une gageure. Même s’il n’est pas interdit de rêver.

Finalement, il risque de connaitre et de subir la déchéance qu’il a voulue pour moi. Par ailleurs, tu as dû apprendre cette histoire de surfacturation en rapport avec un plan de riposte qui n’est rien d’autre que la supercherie du siècle. Je crois que, à défaut de pouvoir sanctionner celle qui l’a défié, je fus le bouc émissaire tout trouvé.

Mais il risque de déchanter. Quand j’ai vu qu’il a voulu s’approprier de la décision qui fait de moi un simple citoyen, j’ai voulu lui écrie pour lui rappeler cette belle citation de Woody Allen : « Dans votre ascension professionnelle, soyez toujours très gentil pour ceux que vous dépassez en montant. Vous les retrouverez au même endroit en redescendant ». Mais ne sachant si cette citation ne s’applique pas à moi-même, je me suis abstenu. On ne sait jamais, peut-être que mes anciens collaborateurs me font le même  procès.

En outre, je me suis dit qu’écrire à ce monsieur est un coup d’épée dans l’océan. Cet homme est un mondain. Il n’est pas un intellectuel au sens du terme d’André Roussin selon lequel « Un intellectuel, c’est quelqu’un qui entre dans une bibliothèque même quand il ne pleut pas ». Or ton gars ne connait que l’argent et le luxe. Même quand il pleut il n’entre pas dans une bibliothèque. Bref, au fur et à mesure que je progresse dans cette lettre, tu te rends compte de ma colère contre cet homme qui m’a sacrifié.

Tu te rends compte aussi qu’avec le temps que j’ai maintenant – et qui me manquait cruellement ces dernières années- je renoue avec une habitude : écrire beaucoup. Je voudrais donc m’arrêter là en te disant enfin l’objet de cette lettre. Je souhaite que tu interviennes auprès de madame pour la persuader qu’il y a une vie après le ministère. Depuis mon départ, elle me pollue la vie, me demandant, ou plus exactement me sommant, d’aller voir le fameux réseau (grâce ou à cause duquel les décrets de nomination et de limogeage sont signés) pour que je redevienne ministre. Même si c’est comme d’autres au garage comme conseiller. Pour elle, c’est une question de prestige.

Pour moi il est hors de question. Sachant que tu as de bons rapports avec elle, je souhaite que tu fasses cela pour moi. Et le plus tôt serait le mieux. Car ses caprices sont pires que la solitude qui est celle d’un ancien ministre je suis.

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

Habib Yembering Diallo

Téléphone : 664 27 27 47

Facebook Comments Box