Combat pour la démocratie en Guinée : le président Alpha Condé a-t-il trahi tout le monde ?

Ibrahim KALLO
Ibrahim KALLO

Par Ibrahim KALLO : Parmi les différents régimes qui se sont succédé au pouvoir depuis l’accession de la Guinée à la souveraineté nationale en 1958, aucun n’a légué une tradition démocratique à la Nation. L’avènement d’Alpha CONDE à la magistrature suprême en 2010 comme « premier président démocratiquement élu » avait suscité beaucoup d’espoir. Cet enthousiasme était consécutif à la fin d’une transition militaire tumultueuse dirigée successivement par le Capitaine Moussa Dadis Camara et le Général Sékouba Konaté. Laquelle s’est in fine essoufflée sous des pressions multiformes ouvrant ainsi la voie au pouvoir civil. Mais cet espoir suscité par l’élection d’Alpha Condé a-t-il tenu toutes ses promesses ou s’est-il effondré comme un château de cartes ? Décryptage !

Reniement aux idéaux de la FEANF et de militant panafricain (l’africain engagé)

Opposant, Alpha CONDE avait fait de la bataille pour la liberté, la démocratie et contre la dictature » en Guinée, voire en Afrique son credo. La lutte contre l’injustice, pour l’unité du continent et la liberté démocratique fut le cheval de bataille de la puissante FEANF (Fédération des étudiants de l’Afrique noire en France) dont l’actuel numéro 1 guinéen fut l’un des premiers chantres et dirigeants. Son attachement à ces mêmes valeurs lui a d’ailleurs valu la condamnation par contumace par le régime du président Sékou Touré après l’agression du 22 novembre 1970 attribuée aux opposants guinéens soutenus par le Portugal.

De même, on se souvient de l’incarcération d’Alpha Condé suivie de sa condamnation après une parodie de justice dans la fameuse « Affaire Alpha Condé », pour ses opinions politiques et son combat inlassable pour la démocratie ou contre le libéralisme sauvage en Guinée sous le règne du général Lansana Conté. Globalement, ses quarante-cinq ans de combat à l’effet de traduire son « socle idéologique » – justice sociale, liberté publique, démocratie, l’Etat de droit, en réalités concrètes dans son pays lui ont attiré la sympathie, au-delà des frontières nationales.

Trahison des idéaux

Cependant, la gestion du locataire du palais Sekoutouréya depuis son accession à la Présidence est aux antipodes des vertus et des aspirations qu’il a lui-même historiquement portées. La déliquescence politique que traverse notre pays en ce moment, notamment le blocage du dialogue politique, des pratiques liberticides, la mascarade électorale, le clanisme, l’instrumentalisation de la justice pour museler les opposants et les manifestants  contre le troisième mandat, réunis sous l’emblème du FNDC, le tripatouillage constitutionnel opéré, donnant la possibilité au chef de l’Etat de briguer des mandats supplémentaires malgré les intangibilités de la constitution de mai 2010, sont entre autres l’illustration de la trahison des idéaux « d’opposant historique » et  de la mémoire de ses compagnons de lutte vivants ou morts. L’homme qui ne trouve pas les chemins de son propre idéal vit d’une vie plus frivole et plus impudente que l’homme sans idéal, dixit Friedrich Nietzsche.

Dans le collimateur de la communauté internationale

L’organisation du double scrutin « référendaire – législatif » du 22 mars 2020 en l’absence de principaux partis de l’opposition confirme le caractère non-inclusif et non-consensuel du processus électoral.  Ce qui enfreint de facto les dispositions du « Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001 au Protocole du mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de la paix et de la sécurité de 1999 de la CEDEOA » qui stipulent que « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».

En outre, l’organisation dudit scrutin contre les avis et en l’absence d’observateurs régionaux et internationaux reconnus en la matière, comme la CEDEAO, l’UA, l’UE et l’OIF, constitue une démarche « cavalière » de la part du gouvernement guinéen. Ce qui remet du coup en cause la crédibilité de l’actuel président au regard des principes et coutumes du droit communautaire et du multilatéralisme dont il se dit fervent partisan de par son parcours.  En effet, le chef de l’Etat guinéen aurait même manqué de décence envers une délégation des chefs d’Etat de la CEDEAO qui devait se rendre à Conakry en février dernier afin d’entreprendre une médiation dans un contexte pré-électoral tendu. En y opposant une fin de non-recevoir, rejetant ainsi les bons offices et les recommandations des organisations internationales et des pays partenaires comme la CEDEAO, l’Union européenne et les Etats-Unis pour ne citer que ceux-ci, par rapport audit scrutin, le président de la République est désormais dans le collimateur de la communauté internationale. Face à un climat d’isolement diplomatique qui a prévalu après ce double scrutin, il apparait difficile pour lui de défendre la légitimité de son agenda politique post-électoral, le mettant par conséquent dans la position d’un contre tous.

Paradoxalement, le premier magistrat guinéen fut médiateur de la CEDEAO dans certaines crises de la sous-région (Togo, Guinée Bissau, Gambie…). Il avait assuré la présidence tournante de l’Union africaine. L’exercice de ces fonctions commande d’être exemplaire. Raison pour laquelle il a ostensiblement prêché des leçons de démocratie, de la prééminence de l’arbitrage de l’organisation sous régionale, du respect de la légitimé populaire ou encore du règlement des conflits par le dialogue. Autant dire que cet homme politique n’est pas conséquent avec lui-même. Deux poids deux mesures quand il s’agit des problématiques de gouvernance en Guinée. Ou encoure quand il s’en donne à cœur joie de basculer dans l’irrationalité dans le même contexte national. En raison donc de sa dérogation aux principes et normes supranationales ainsi qu’aux bonnes mœurs des relations internationales par le fameux double scrutin controversé et emmaillé de violences meurtrières, le président guinéen s’est ipso facto isolé du monde.

Trahison de la confiance du peuple

Ce qui lie un chef à son peuple, c’est le contrat social. Ce dernier ayant accepté de confier ses destinées au premier à charge pour celui-ci de le gouverner conformément aux termes du serment constitutionnel. Ce serment, pris solennellement devant Dieu et le Peuple, engage l’auteur à honorer sa parole donnée, à respecter et faire respecter la loi fondamentale et des autres lois de la République.  Dans ce même registre, le chef de l’Etat a le devoir sacré de protéger ses concitoyens et de défendre l’intérêt supérieur de la Nation, non celui de sa propre personne. C’est tout le sens du pacte social et de l’idéal républicain.

Malheureusement, sous le magistère d’Alpha Condé, les institutions républicaines sont caporalisées, avec en toile de fond l’ultra dominance de l’Exécutif provoquant des pratiques ou des actes réfractaires à la démocratie. Pour laquelle le peuple a payé un lourd tribut : des centaines de martyrs ! A cela s’ajoute les conséquences de l’organisation du scrutin précité en pleine pandémie mondiale de covid-19, décision visiblement actée pour faire son « affaire politique », en profitant de la crise sanitaire prévalant non favorable aux contestations populaires. Aggravant ainsi les facteurs de contamination communautaire du virus en raison du regroupement massif des populations lors du vote. Des manouvres apparemment sans vergogne, notamment le manque de solidarité envers le peuple de même que la manifestation de signes d’irresponsabilité d’un père de la nation en pareille circonstance.

Les fondements du vivre-ensemble sont en train de se déliter par une politique de division orchestrée en premier chef par ce leader à double casquette : « président de la République et président de parti politique ». Tout cela pour assouvir le désir présidentiel insatiable d’un octogénaire devenu atone sous les effets de l’usure de l’exercice boulimique du pouvoir.

A cinq mois de la fin de son dernier mandat présidentiel sur base de la Constitution il a prêté serment, il refuse, par le truchement de manouvres politiciennes, de clarifier officiellement ses réelles ambitions. Mais sur le terrain, lui et ses sbires continuent à poser des actes qui cachent mal son intention de briguer un troisième mandat, plongeant ainsi le pays dans une situation incertaine et inquiétante sans fin. Avec pour corolaire, des cycles de manifestations contre ces velléités et des répressions macabres. A ce jour, il y aurait près de 400 victimes de répression policière impunie, à en croire les rapports des organisations de défense des droits de l’Homme.  Donc, il n’est pas exclu qu’il se mette sur la sellette pour parjure, si d’aventure il venait à s’octroyer, vaille que vaille, un mandat au vu dudit serment.

Liquidation du RPG, déception

Un parti politique qui veut résister à l’épreuve du temps et des hommes se construit autour d’un idéal et non selon la personnalité de son chef. Le culte de la personnalité s’érode avec la chute de la personne. Pour s’en convaincre, citons quelques cas : le PDG-RDA de Sékou Touré et le PUP de Lansana Conté en Guinée, le NDPL de Samuel Doe au Liberia ou encore le MPR de Mobutu en ex-Zaïre et le MESAN de Bokassa en République Centrafricaine, sont tous des partis politiques qui sont morts et enterrés après la chute de leurs leaders respectifs. Simplement parce qu’ils incarnaient la personne de ces derniers mais pas la philosophie ou le projet de société du parti. Le RPG qui ne marche que dans le sillage de la personne du Président Alpha Condé, malgré que les incompatibilités de fonctions imposées par la loi l’interdisent, dérogera-t-il à cette règle ?  En attendant, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Dès lors, les inconditionnels du parti d’Alpha Condé risquent de s’exposer au jugement de l’histoire. Celui de la complicité intentionnelle ou non intentionnelle vis-à-vis d’une gouvernance peu orthodoxe et de déboires dont ce dernier sera comptable devant le Peuple souverain. Les hommes passent mais la nation reste.

A contrario, d’autres formations politiques ont survécu plusieurs décennies même après le départ ou le décès de leurs leaders. Parce que ces partis combattent pour des idéaux. Et non pour l’inverse.  L’ANC de Nelson Mandela en Afrique du Sud ou le SLPP de Siaka Steven en Sierra Leone, pour ne citer que ces exemples, sont des mouvements politiques dont le ressort principal dépassait la personne de leurs fondateurs.

Par ailleurs, durant le combat politique d’antan du président guinéen, il convient de dire qu’il avait fait rêver un grand nombre d’admirateurs tant sur le continent que de par le monde. On se rappelle encore du collectif d’avocats pro bono qui s’est constitué pour assurer la défense de l’opposant Alpha Condé lors de ses démêlées avec la justice guinéenne sous Lansana Conté. Il en est de même, sur le plan international, avec le soutien de l’ex Premier ministre britannique, de la secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright, de l’ex Président français Jacques Chirac et tant d’autres personnalités dont l’intervention avait débouché sur la grâce présidentielle accordée par Lansana Conté. Sans oublier la célébrissime chanson de l’artiste Ivoirien Tiken Jah Fakoly « Libérez Alpha Condé », qui a retenti à travers le continent en prenant fait et cause pour le prisonnier politique d’alors.

De ce qui précède, le désenchantement de tout un chacun se manifeste lorsque l’actuel président guinéen est tenté de renier son idéal. Celui de « bâtir » pour la première fois une véritable fondation démocratique dans son pays, fidèle à sa longue et historique bataille pour l’Etat de droit en phase avec les aspirations profondes du peuple. A partir de ce moment-là, à moins qu’une bouée l’inspire à sortir la tête de l’eau, il est au bord de l’abime. Car un adage de chez-nous enseigne : « si tous les habitants du village imitent le cri de la hyène tandis que tu imites seul celui du caprin, le monstre féroce t’emportera ». Le Président Alpha Condé se doit donc de faire preuve de sagesse et de prendre la mesure des conséquences d’un forcing, au risque de se mettre en mal contre tous. « Dounoyan yé mo janfala lé » : la vie surprend toujours l’Homme, rappelle une légende mandingue.

Ibrahim KALLO

Juriste et Expert en Aide Humanitaire et au Développement International

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