Vide constitutionnel en Guinée : Pourquoi une transition politique est impérative !

Bah Oury, président du parti UDRG (Union des Démocrates pour la Renaissance de la Guinée)
Bah Oury

Par Bah Oury : Le peuple guinéen durant ces deux dernières décennies a exprimé sa combativité et sa détermination pour l’affirmation de la démocratie dans notre pays. Nulle personne ne peut contester que le tribut payé a été à cet effet excessivement lourd. Plusieurs centaines de personnes tuées ou handicapées à vie. Toutefois, jusqu’à présent, un sentiment d’inachevé domine les esprits car la Guinée n’est pas encore parvenue à asseoir une gouvernance vertueuse et tournée vers la consolidation des bourgeons de la démocratie. Il est dès lors essentiel et impérieux dans le contexte actuel d’exiger une grande clarté des objectifs assignés à la lutte actuelle dont le FNDC est le principal creuset.

La nécessité de la clarification politique

En effet, des partis membres de la plateforme déclarent « avec ou sans Alpha Condé, nous irons à l’élection présidentielle de 2020 » pendant que d’autres égrènent leurs conditions pour participer à la compétition électorale. L’élection présidentielle en 2020 devient ainsi l’alpha et l’oméga des préoccupations politiques. Tout se passe comme si la revendication centrée sur « la défense de la constitution de 2010 affirmée par le FNDC » devient une variable d’ajustement dans le cadre de deals politiques souterrains. Ce comportement amène légitimement à douter de la cohérence et surtout de la constance des acteurs politiques signataires de la plateforme qui font preuve de frilosité pour condamner les dérives de l’exécutif et pour dénoncer le vide juridique de fait constaté en Guinée. Les autorités guinéennes ont fait publié dans le journal officiel de la République de Guinée de janvier 2020, la proposition d’une nouvelle constitution qui est ainsi le seul document juridiquement soumis au peuple pour le « référendum du 22 mars 2020 » a l’issue duquel, un autre texte a été promulgué dans le journal officiel du mois d’avril 2020. Conséquemment, cette forfaiture acte de fait le vide juridique en Guinée, car il n’y a plus un texte valide pour servir de loi suprême du pays. De facto, un régime d’exception est instauré. Ainsi, en l’absence d’une constitution valide, l’Etat guinéen ne peut plus fonctionner comme un Etat où règne la primauté du droit. En effet tous les actes gouvernementaux et parlementaires comportent dans leur introduction l’expression « vu la constitution… ». Cette situation inédite dans le monde contemporain augure l’instauration d’une gouvernance hors-la –loi. Hormis cet aspect à caractère politique, le vide juridique inaugure la nécessité absolue de la transition politique en Guinée pour restaurer d’abord l’ordre constitutionnel et ensuite rectifier en profondeur la gestion du processus électoral par la refonte totale du recensement électoral. Le fichier électoral actuel ayant fait l’objet d’ores et déjà d’un rejet de la classe politique et de la communauté internationale dont la CEDEAO et l’OIF. Il est évident aujourd’hui qu’il ne pourra pas y avoir une alternance démocratique apaisée, susceptible d’ouvrir une ère de prospérité et de stabilité sans la mise en force d’un processus électoral inclusif, transparent et doté d’un fichier électoral sécurisé prenant en compte l’ensemble de la population électorale de la Guinée de l’intérieur comme de l’extérieur.

La transition politique est de facto une nécessité

La transition est devenue incontournable pour trois principales raisons à savoir :

  • La remise en cause des dispositions d’intangibilité de la constitution de 2010 qui consacrent de façon on ne peut plus clair que « Le Président de la République est élu au suffrage direct. La durée de son mandat est de 5 ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. Le « référendum du 22 mars pour une nouvelle constitution » est ainsi un coup d’Etat conformément à l’article 23 de la charte de l’Union Africaine relative à la démocratie à la gouvernance et aux élections que notre pays a ratifiée ;

 

  • La falsification du texte proposé au « référendum du 22 mars » par la promulgation d’un autre texte qui n’a jamais fait l’objet d’une approbation quelconque par la population. Les constitutionnalistes sont mieux qualifiés et outillés pour apprécier la gravité de cet acte qui est un coup de poignard porté au cœur de la République ;

 

  • La crise guinéenne s’est élargie par la mise en place d’une assemblée nationale dont l’élection a été marquée par la négation manifeste des règles élémentaires du code électoral en vigueur. Le boycott qui en a résulté ôte ainsi la légitimité minimale à celle-ci pour « représenter le peuple guinéen ».

 

Alors, au regard de tous ces faits, il est paradoxal que des partis dits de l’opposition refusent d’intégrer dans leurs réflexions stratégiques cette situation gravissime qui illustre encore la double illégitimité dont le pouvoir exécutif épaulé en cela par la cour constitutionnelle est responsable. Il est étonnant que des oppositions prétendant agir pour la cause de la démocratie participent peu ou prou à la banalisation de l’infraction pénale que représente la falsification d’un texte constitutionnel. L’argument qui consiste à déclarer « nous ne nous prononçons pas sur un texte que nous ne reconnaissons pas » n’est pas suffisant car l’indifférence affichée est une aide précieuse au pouvoir en place pour masquer sa duplicité. C’est pourquoi, il est impératif que chacun et chaque entité dans son combat qu’il revendique au nom et pour le peuple clarifie sa position politique face à cette forfaiture et au fait qu’elle induit afin d’indiquer sans faillir le cap au peuple guinéen qui endure depuis très longtemps les conséquences désastreuses de la mauvaise gouvernance aussi bien politique qu’économique des affaires nationales.

Eviter de répéter les fautes du passé

Cette interpellation se justifie en souvenir des fautes du passé qu’il faut absolument éviter de rééditer. Un bref regard par le rétroviseur nous permet de mettre en lumière deux d’entre elles.

  • Aux lendemains du massacre du 22 janvier 2007, Elhadj Bâ Mamadou et moi-même pour le compte de l’UFDG avions préconisé aux responsables des mouvements sociaux et syndicaux d’établir une short-liste de deux personnalités politiques, crédibles à proposer au Général Lansana Conté afin que ce dernier choisisse le premier ministre, chef du gouvernement parmi eux. Le peu d’intérêt que notre proposition suscita auprès de nos alliés sociaux, amena le Général L. Conté a désigné M. Eugène Camara, un de ses fidèles à la tête du gouvernement. Cette décision unanimement rejetée par les forces sociales et politiques mis le feu aux poudres sur l’ensemble du territoire occasionnant des morts et la destruction de plusieurs édifices publics et privés ;

 

  • En juin 2009, au moment où les relations entre le CNDD du Capitaine Dadis Camara et les Forces Vives Nationales étaient sous haute tension, un comité paritaire de 22 personnes (forces vives et CNDD) issues des différentes composantes des deux parties fut mis en place afin de parvenir à rétablir un climat de confiance et d’entente entre les protagonistes. Contre toute attente ce comité ad hoc décida d’inverser l’ordre des élections pour privilégier selon lui une sortie rapide de la transition par l’organisation en premier lieu des présidentielles au détriment des législatives. Cette inversion de l’ordre des élections eut pour effet immédiat de susciter la polarisation des positionnements entre le CNDD d’une part et les partis politiques d’autre part. Désormais ; la junte tenait à présenter son propre candidat à ces élections, reniant ainsi ses engagements initiaux « d’organiser rapidement une transition pour restaurer l’ordre constitutionnel et assurer son retrait de la vie politique ». Ces tiraillements sont à l’origine de la rupture définitive du CNDD du Capitaine Dadis Camara d’avec les Forces Vives dont le porte-parole était le regretté Jean Marie Doré. Les conséquences de cette inversion inaugurèrent un autre cours politique à la Guinée en approfondissant la déchirure sociale du pays. Or l’organisation des législatives en premier lieu aurait atténué les clivages ethniques, car l’émergence de nouveaux leaders politiques locaux, jouissant d’une réelle légitimité dans le territoire aurait fait émerger des partis en effaçant l’identification uniquement aux premiers responsables des dits partis. Cette dynamique aurait renforcé l’esprit pluraliste et démocratique et aurait engagé le pays dans le droit fil de la réalisation des aspirations des forces vives nationales par une sortie de crise durable pour la Guinée.

Le déficit stratégique, le refus de clarifier les positions politiques, la roublardise qui est érigée en principe et enfin le manque d’empathie à l’égard des souffrances des populations expliquent les difficultés récurrentes de faire aboutir les revendications démocratiques et les aspirations sociales de tous guinéens. Ces deux rappels historiques militent désormais en faveur de la clarification des objectifs et des stratégies dans le contexte actuel pour nous permettre de sauver notre pays du désastre. Le peuple guinéen instruit par les dures épreuves du passé, attend de son élite politique la clarté et la responsabilité afin d’actualiser enfin ses immenses espoirs qu’il rêve depuis longtemps. Nous n’avons pas le droit de faillir ou de se laisser complaire à de petites combines politiciennes qui ne nous honorent nullement. Les guinéens rêvent de grandeur pour leur pays. Il est possible d’y parvenir maintenant !

Bah Oury

Ancien ministre de la Réconciliation Nationale

Leader politique

Facebook Comments Box