Nouvelle loi sur la HAC : « je crois qu’il est très dangereux de vouloir concentrer tous les pouvoirs… »

Aboubacar Camara, secrétaire général de l’URTELGUI et DG du groupe Gangan Radio TV
Aboubacar Camara, secrétaire général de l’URTELGUI et DG du groupe Gangan Radio TV

L’assemblée nationale a adopté la loi amendée sur la Haute Autorité de Communication (HAC). La nouveauté dans cette nouvelle loi est la nomination du président de la HAC par décret alors qu’il était jusque là élu par ses pairs. De nombreux observateurs y voient un affaiblissement de cette institution avec une menace sur la liberté de la presse qui a déjà du plomb dans l’aile.

Pour parler de cette actualité, un reporter de Guineematin.com a donné la parole ce lundi, 6 juillet 2020, à Aboubacar Camara, secrétaire général de l’Union des Radiodiffusions et Télévisons Libres de Guinée (URTELGUI) et DG du groupe Gangan Radio TV.

Guineematin.com : l’assemblée nationale a adopté le vendredi la loi sur la HAC. Une loi qui permet au Chef de l’Etat de nommer trois personnes à la HAC, dont son président. Comment réagissez-vous ?

Aboubacar Camara : il ne faut pas lésiner sur les mots, je crois que ce qui s’est passé, c’est véritablement un recul pour notre jeune démocratie. Je crois qu’il est très dangereux dans un pays comme le nôtre de vouloir concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’une seule personne. Le président de la République est celui qui doit nommer le président de la Haute Autorité de Communication, c’est très dangereux pour notre pays. Nous en tant qu’acteurs du monde de la presse, nous sommes plus choqués. Parce que lorsque vous prenez par définition en substance la Haute Autorité de Communication, c’est cette institution qui doit servir de pont entre les journalistes, c’est-à-dire les médias et les usagers de la presse, c’est-à-dire les populations. La Haute Autorité de Communication évalue et si vous voulez, régule le contenu des médias. Donc, c’est une institution très sensible pour celui qui connaît l’importance d’une presse comme étant un pilier très important dans une démocratie. Aujourd’hui, prendre tout ce pouvoir confier ça à un seul individu, c’est grave. Quand vous prenez les lignes dans cette loi L003 qui vient d’être adoptée, il a été dit que le président de l’institution ou la présidente a plusieurs prérogatives et le président ou présidente de la HAC a plusieurs responsabilités, hormis la gouvernance à l’interne. Donc, quand on prend la responsabilité de nommer ce dernier, ça veut dire que ce dernier restera éternellement reconnaissant au président de la République. Et au lieu de réguler, tout le monde sait que la presse, c’est le 4ème pouvoir comme on le dit, et nous éduquons, nous sensibilisons, mais aussi nous informons la population. C’est inquiétant. Déjà on a vu la gouvernance de madame Martine qui vient de partir, elle a créé toutes sortes de problèmes, malgré qu’elle n’était pas nommée par le président de la République, elle été élue à l’interne à l’occasion d’un vote. Martine Condé a quand-même créé tous les problèmes à la presse. Personnellement, c’est pendant la mandature de madame Martine Condé, les médias ont été fermés pour la première fois en République de Guinée. C’est pendant la mandature de madame Martine Condé que nous avons enregistré l’emprisonnement des journalistes sans condition, en faisant fi de la loi L002 qui dépénalise les délits de presse; les journalistes ont été pris, emprisonnés et rien ne s’est passé, alors qu’on dit que la HAC régule la presse mais aussi, elle doit protéger cette presse, elle doit protéger ces journalistes. Comme je l’ai dit, c’est un recul pour notre démocratie.

Guineematin.com : quelle va être la démarche des responsables de l’URTELGUI dans les semaines à venir par rapport à l’adoption de cette loi par l’Assemblée nationale ?

Aboubacar Camara, secrétaire général de l’URTELGUI et DG du groupe Gangan Radio TV

Aboubacar Camara : vous savez, nous sommes des associations faitières, nous sommes des légalistes, nous sommes derrière la loi après tout. Ce qui est sûr, nous avons fait de notre mieux avant même l’adoption de cette loi. Et ce que les gens ne savent pas, déjà dans le projet de loi, les gens avaient carrément biffé trois places aux cinq places qui revenaient à la presse. C’est lorsque que nous avons appris cette information, les démarches ont commencé auprès des députés mais aussi d’autres personnalités. C’est ce qui a permis que nous soyons rétablis. Sinon, l’autre problème qu’on allait rencontrer est que la presse allait être plus que mélangée parce que quand on te donne 2 places alors qu’il y a 5 représentations… C’est ce que nous avons toujours fait depuis le CNC (Conseil National pour la Communication) maintenant la HAC ; quand on nous dit que c’est deux places, le premier problème qui va venir, c’est que pour la désignation de ces deux places, comment on allait choisir les représentants? Donc, je crois que les députés ont compris ce couac et ils ont fait en sorte que la presse soit rétablie dans ce sens. Mais en ce qui concerne cet autre pan, qui est très important concernant l’élection ou la désignation du président de l’institution, je crois que ça a été tout simplement une erreur. Une loi est amenée à être révisée, je crois qu’il n’est pas encore trop tard. Je profite de cette occasion pour interpeller ces honorables députés qu’ils sachent que c’est une erreur qui a été commise. Nous ne pouvons pas confier dans un Etat démocratique comme la Guinée, la désignation du président d’une institution comme la Haute Autorité de Communication par le président de la République. Je crois que ça ne relève pas des prérogatives du président de la République. Ce que nous pouvons faire, c’est peut-être aller encore pour démarcher ces députés afin qu’ils reviennent, si possible, sur cela.

Guineematin.com : on sait que pour que cette loi puisse entrer en vigueur il faut qu’elle soit promulguée par le président de la République. Est-ce que vous avez un appel particulier à l’endroit de ce dernier dans ce sens?

Aboubacar Camara : ce que je peux dire au président de la République, c’est que la presse en République de Guinée, la presse privée, la libéralisation des ondes a été rendue possible par le Général Lansana Conté. La subvention accordée aux médias, c’est sous Dadis (président de la transition) et à l’époque c’était Kassory Fofana qui était ministre de l’Economie et des Finances. Aujourd’hui, il est Premier ministre. Donc, je profite de l’occasion pour m’adresser et au président de la République et au Premier ministre ; je crois que le président de la République, quoi qu’on dise, est au soir de sa gouvernance de notre pays. Donc, il est très important en tant que président de la République qu’il puisse donner quelque chose de propre à la génération future. Aujourd’hui la presse, ça c’est à travers le monde, ce n’est pas seulement la Guinée, comme étant un pilier incontournable dans la consolidation mais aussi la préservation des acquis. Et fragiliser cette presse, c’est fragiliser la démocratie. J’ose croire, en faisant profiter le bénéfice du doute au Chef de l’Etat, je pense que ce n’est pas lui qui a pris le temps de rédiger tout ce truc… le ministre en charge des institutions (Mohamed Lamine Fofana, ndlr) est derrière tout cela. Donc, je profite de l’occasion pour lancer un appel, il n’est pas trop tard pour rectifier le tir. Il n’est pas bien aujourd’hui de confier la désignation du président de l’institution, la HAC, qui doit réguler les médias, au président de la République. Parce que toutes les décisions qui seront prises, et on sait que la voix du président de la Haute Autorité de Communication est supérieure aux autres voix lorsque le vote est paritaire, on dira tout simplement qu’il y a la main noire de la présidence, il y a la main noire du président et qui relèverait de la présidence de la République parce qu’il a été nommé par le président de la République.

Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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