Sortie de crise en Guinée : Taran Diallo propose un dialogue sincère et un gouvernement d’union nationale

Alpha Oumar Taran Diallo, président du parti Alliance Démocratique pour le Renouveau (ADR)
Alpha Oumar Taran Diallo, président du parti Alliance Démocratique pour le Renouveau (ADR)

« Il faudrait qu’on mette en place un gouvernement d’union nationale de transition qui va s’atteler à toiletter les textes, restaurer la constitution qui a été profanée, améliorer les textes qui régissent le fonctionnement des institutions et surtout mettre en place une loi électorale permettant d’aller à une élection qui va amener une stabilité et surtout qui va amorcer un développement économique pour notre pays ». C’est la proposition de monsieur Alpha Oumar Taran Diallo, président du parti Alliance Démocratique pour le Renouveau (ADR) pour une sortie de crise en Guinée. C’était à l’occasion d’une interview qu’il a accordée à Guineematin.com ce mardi, 7 juillet 2020. L’opposant a abordé plusieurs autres sujets d’actualité, dont le chronogramme de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020.

Décryptage !

Guineematin.com : la semaine dernière, la CENI a présenté le chronogramme de l’élection présidentielle du 18 octobre, qui prévoit notamment une révision exceptionnelle des listes électorales pour une durée de 15 jours. Comment avez-vous accueilli ce calendrier électoral ?

Alpha Oumar Taran Diallo, président du parti Alliance Démocratique pour le Renouveau (ADR)

Alpha Oumar Taran Diallo : c’est avec surprise et en même temps inquiétude. Vous savez, les élections, surtout quand il s’agit des élections présidentielles, c’est un événement d’enjeu national qui parle de l’avenir de la Guinée et de sa stabilité. Cette CENI a toujours brillé par ce One man show. Elle fait toute seule toutes les activités, sans partie prenante. Ce qui conduit souvent à des contestations des résultats issus des élections. Or, la situation de la Guinée est aujourd’hui telle qu’on n’a pas intérêt à aller vers une autre crise, puisqu’on s’est enlisés dans la crise. Nous sommes sortis des élections communales jusqu’à présent inachevées, ça a amené des tensions.

Les législatives et le référendum sont passés. Puisque ce n’étaient pas des élections consensuelles, vous savez où ça a amené la Guinée avec beaucoup de morts, beaucoup de dégâts matériels, et jusqu’à présent la crise politique est là. Mais à côté de cela, nous avons la crise sanitaire et la crise économique. Donc, si la CENI ne prend pas garde, elle va être celle qui amènera la Guinée vers la faillite. Ce que nous ne souhaitons pas. Nous aurions aimé qu’il y ait d’abord un débat inclusif pour aller vers une élection inclusive et consensuelle permettant d’avoir un changement de régime ou une alternance démocratique dans notre pays pour une amorce du développement économique.

Guineematin.com : par rapport à cette présidentielle à venir, quelle est la position du parti ADR ?

Alpha Oumar Taran Diallo : écoutez, un parti politique est créé pour compétir, pour participer aux élections. Mais, nous n’allons pas participer à des élections pour juste faire la figuration ou surtout pour être un faire-valoir pour quelqu’un qui ne se soucie pas de l’avenir de la Guinée. Nous sommes en train d’observer, nous verrons au moment venu, lorsque les élections seront inclusives, nous allons nous engager. Si les élections ne sont pas inclusives, je pense que le parti prendra la décision qu’il faudra, comme nous l’avons fait en toute responsabilité lors des élections législatives passées.

Guineematin.com : dans l’arène politique, le sujet qui fait surtout débat, c’est la candidature ou non du président Alpha Condé à un troisième mandat. Qu’en dites-vous ?

Alpha Oumar Taran Diallo : je dis qu’au niveau de l’ADR, nous avons réfléchi, on s’est dit qu’à un moment donné, il faudrait qu’on améliore la stratégie jusque-là utilisée par l’opposition et toutes les forces qui s’opposent à un troisième mandat pour le président Alpha Condé. Je pense qu’il y a beaucoup de cas qui peuvent nous inspirer. Le premier, c’est le cas du Burkina Faso ; le second, c’est celui du Sénégal. Dans le cas du Burkina Faso, toute la population s’est levée et elle a décidé que Blaise Compaoré ne puisse pas continuer à diriger le pays parce qu’il ne respectait pas les dispositions légales. Nous avons la même situation en Guinée.

Aujourd’hui, nous ne savons pas quelle est la constitution qui préside la destinée de la Guinée. Il y a la constitution légitime de 2010 que l’opposition et une bonne partie de la société civile ont voulu qu’on conserve. Mais aussi, il y a le projet de constitution qui a été soumis au référendum et il y a la constitution qui été falsifiée et promulguée. Donc, tout ceci montre que le gouvernement et le président de la République ne sont pas des hommes d’honneur, ne sont pas des personnes respectueuses des lois, de leurs paroles et de leurs engagements donnés.

Mais à côté, nous avons l’exemple du Sénégal : lorsque le président Wade a voulu modifier la constitution pour se pérenniser, comme un seul homme, tout le Sénégal s’est levé, ils l’ont battu. Et aujourd’hui, la démocratie se porte mieux au Sénégal. Ici aussi, nous devons réfléchir puisque la bataille intellectuelle il faut la gagner, il faut approfondir les réflexions, faire intervenir les personnes ressources capables de nous faire sortir une stratégie gagnante pour voir comment faire en sorte qu’à partir de 2021, on ait un autre gouvernement, un autre président à la tête de la Guinée.

Guineematin.com : récemment, le président Alpha Condé a fait état de sa volonté d’appeler à un dialogue politique pour aplanir les divergences afin d’aller à une présidentielle inclusive. Mais d’ores et déjà, les grands partis d’opposition ont annoncé qu’ils ne participeront à aucun dialogue sans la dissolution de l’actuelle Assemblée nationale et le retour à la constitution de 2010. Vous à l’ADR, si on vous invite à ce dialogue, allez-vous y participer ?

Alpha Oumar Taran Diallo, président du parti Alliance Démocratique pour le Renouveau (ADR)

Alpha Oumar Taran Diallo : quand on parle de dialogue ou de main tendue, il faut que la main soit visible. Une main est plus grosse qu’une aiguille. Donc, quand une main est tendue, je pense que tout le monde peut voir cette main tendue. Pour l’instant, nous n’avons pas vu de main tendue, premièrement. Deuxièmement, si on se réfère du passé du président avec toutes les mains tendues et les dialogues auxquels il avait invité les gens. Je pense qu’il n’a jamais respecté son engagement, il n’a pas respecté les accords obtenus. Certains peuvent penser qu’ils sont plus malins que d’autres, donc quand ils vont dialoguer, ça va être appliqué.

Mais toujours est-il que nous devons tous, toute la population guinéenne, toutes les composantes de notre nation, nous devons être vigilants, nous devons exiger que s’il doit y avoir dialogue, qu’il soit un dialogue sincère. Mais d’abord, il faut commencer par mettre en place un gouvernement d’union de transition parce qu’aujourd’hui, le mandat du président est pratiquement terminé. Donc, si nous devons engager un dialogue, c’est dire qu’il va y avoir révision de toutes les dispositions qui permettent d’aller vers une élection inclusive, libre, transparente et crédible. Mais pour cela, il faudra du temps.

Pour ne pas qu’il y ait un glissement électoral non consensuel, il faudrait qu’on mette en place un gouvernement d’union nationale de transition qui va s’atteler à toiletter les textes, restaurer la constitution qui a été profanée, améliorer les textes qui régissent le fonctionnement des institutions et surtout mettre en place une loi électorale permettant d’aller à une élection qui va amener une stabilité et surtout qui va amorcer un développement économique pour notre pays.

Guineematin.com : quel est votre regard sur la gouvernance actuelle du pays ?

Alpha Oumar Taran Diallo : elle est lamentable, elle nous met dans des difficultés. Regardez nos infrastructures routières aujourd’hui. Prenez le carrefour Constantin, c’est ce carrefour qui était l’exemple de réussite des ingénieurs guinéens parce qu’il n’y avait jamais d’embouteillage. Mais aujourd’hui, ils l’ont complètement détruit, ils l’ont inondé. Prenez toutes les routes de la capitale, allez à l’intérieur du pays, vous verrez comment les gens souffrent. Nos infrastructures sont en lambeaux.

Allez dans nos écoles publiques, c’est comme des porcheries, c’est des endroits où on ne peut imaginer qu’on peut parquer une personne. Notre système sanitaire, les difficultés qu’on a aujourd’hui à maîtriser cette pandémie alors que la Sierra Léone et le Libéria à côté étaient prédisposés à résister à cette pandémie parce qu’on vient de sortir d’Ebola. Normalement, ça nous aurait enseigné, on aurait tiré les leçons. Mais malheureusement, comme ce n’est qu’un gouvernement vertueux, un gouvernement qui ne tire pas les leçons et qui ne privilégie pas la compétence, voilà où on est.

Guineematin.com : avez-vous un dernier mot pour clôturer cet entretien ?

Alpha Oumar Taran Diallo : le mot de la fin, c’est d’interpeller le peuple de Guinée, toutes les composantes, toutes les corporations, les médias, les syndicats, dire à tout le monde que dans une dictature, il n’y a pas un groupe qui est épargné. Le dictateur n’a pas d’amis, il a juste des partenaires pour faire passer une étape de son projet. Vous avez vu lorsque le combat a été engagé pour défendre la constitution de 2010, certaines corporations n’avaient pas compris. Mais aujourd’hui, nous nous rendons compte avec l’Assemblée qui a été mise en place, cette Assemblée est fantôme, qu’on est tous en danger. Il faut que tous, on se donne les mains, on se lève et qu’on en fasse un problème personnel puisque les enjeux sont énormes.

C’est l’avenir de la Guinée qui est en jeu, il ne s’agit pas d’être alarmiste, c’est d’être pragmatique et réaliste. Ce qu’on est en train de vivre maintenant, c’est quelque chose d’extrêmement dangereux pour nous. Il nous avait dit qu’il prenait la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée. Il ne pouvait pas la prendre là-bas, mais il peut la ramener là où Sékou Touré l’a laissée. Au temps de Sékou Touré, il n’y avait pas de liberté d’expression. Aujourd’hui, on est en train de retourner vers là. Et c’est vraiment dommage pour un pays comme le nôtre avec beaucoup d’acquis, beaucoup d’étapes franchies, qu’on revienne en arrière. Il faudrait qu’on apprenne à faire une marche vers l’avant.

Interview réalisée par Siba Guilavogui et Mohamed Doré pour Guineematin.com

Tel : 620 21 39 77/ 622 07 93 59

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