Les mots et les maux du ministre : cas des prisonniers politiques en Guinée

Habib Yimbering Diallo
Habib Yimbering Diallo

Cher ami,

Comme tu as dû l’apprendre, le pays s’agite encore. L’opposition avait prévu de manifester le 8 de ce mois. Devant l’intransigeance de certains de mes collèges, elle a dû reporter sa manifestation pour le 20 du même mois. C’est pour te dire que cette nouvelle crise risque d’être mon véritable baptême du feu.

En effet, si une simple manifestation de protestation contre la tenue ou les résultats d’une élection fait des morts et des blessés, que va-t-il se passer dans une autre manifestation dont l’objectif est, selon ses organisateurs, de demander le départ du président. Le moins que l’on puisse dire est que ces gens-là veulent franchir la ligne rouge.
En attendant ces événements, qui hantent tous les esprits, même si mes collègues et moi faisons semblant d’une sérénité à toute épreuve, je me retrouve déjà avec un autre dossier entre les mains. C’est en l’occurrence celui d’un ancien du parti au pouvoir qui a rejoint l’opposition. Le nouvel opposant a été arrêté dans des conditions peu défendables. Ses nouveaux amis parlent de kidnapping. Son avocat dit ne pas connaître sa destination.

Or, si cela s’avère vrai, c’est inacceptable pour moi. Et, je le ferai savoir à qui de droit. Je ne peux pas accepter aujourd’hui ce que j’ai refusé hier. Je ne peux pas défendre un opposant hier et enfoncer un autre aujourd’hui. Je tiendrai donc à ce que la procédure soit respectée. A défaut, je tirerai toutes les conséquences. Et, aucune hypothèse n’est exclue. Y compris celle d’emboîter le pas à un de mes prédécesseurs.

Le jeune homme serait accusé d’escroquerie. Mais, il aura fallu qu’il quitte le parti pour qu’on lorgne dans sa gestion. C’est pour dire qu’il suffit qu’il ait un bon avocat pour démonter tout ça. J’attends de pied ferme que ce dossier arrive au niveau de mon département pour agir. Il est certes hors de question de m’immiscer dans une procédure mais il est tout aussi hors de question de laisser condamner un innocent.

L’impression que j’ai c’est qu’il y a un groupe qui est en train de se substituer à la loi pour faire sa propre loi. Cela ne se passera plus. Du moins si je suis en poste. Comme tu le vois, je me retrouve déjà dans un véritable dilemme. Avec d’un côté l’obligation de solidarité gouvernementale et de l’autre le souci de la défense et de la protection des droits humains. Mais, si je devais faire le choix entre les deux, je n’hésiterai pas un seul instant à opter pour la seconde.
Toi qui t’intéresses à toutes les activités présidentielles, je sais que tu as dû suivre l’intervention du président à l’occasion de la disparition de l’ambassadeur américain dans notre pays. Il avait dit en substance que le défunt ambassadeur se félicitait qu’il n’y ait pas de prisonniers politiques dans notre pays. Mais, en réalité, le diplomate devait ajouter prisonnier VIP. S’il est vrai que le pouvoir a évité depuis 10 ans d’arrêter et d’emprisonner les poids lourds de l’opposition, il est tout aussi vrai que nos prisons sont remplies de prisonniers d’opinion.

Et, c’est cala que je voudrais corriger. Le président est d’accord avec moi. Mais, il fait face à un groupe que je ne qualifierai pas d’extrémistes mais qui n’est pas loin de cela. Ces gens-là sont à la fois la police et la justice. C’est qui n’est pas honorable pour notre pays. Et je tiens à ce que le président le comprenne. Et qu’il choisisse entre ces gens-là et moi.

Voilà cher ami, à peine nommé, je suis déjà confronté aux difficultés. Mais, je suis conscient que si je ne veux pas être confronté à des difficultés, je n’avais qu’à faire comme mon grand-père : cultiver la terre. Même cela pose problème aujourd’hui avec les multiples et récurrents conflits domaniaux. Mais, ce n’est pas notre sujet. Notre sujet, c’est comment mettre fin à l’injustice dans ce pays. Comment faire en sorte que le partisan et l’opposant soient traités au même pied d’égalité. Voilà le vrai défi pour moi.

Je voudrais donc que tu m’aides à atteindre mon noble objectif. Ton aide consistera à utiliser tes relations directes et indirectes avec le président pour le persuader de l’impérieuse nécessité de laisser la justice, et elle seule, faire son travail. Autrement dit, de dissoudre le groupuscule qui se substitue depuis quelques temps à la justice pour salir celle-ci.

De quel groupuscule, me diras-tu ? Il n’y a pas à réfléchir trente-six mille fois. Peux-tu comprendre, expliquer et justifier qu’un Etat qui se veut respectueux de droits de l’Homme et de la dignité humaine puisse expédier des citoyens dans un camp militaire ? Certains parlent de déportation. Le mot n’est pas fort. Mais, encore une fois, ce n’est pas le sujet. Mais, ma crainte est de voir ce nouveau bagnard subir le même sort que d’autres. C’est pourquoi, je voudrais anticiper. Et, ton concours sera déterminant. J’en fais un point d’honneur.

Je te prie donc d’agir vite. Pour sauver trois personnes : tout d’abord le jeune homme qui a été arrêté et qui pourrait difficilement supporter une telle épreuve. Ensuite, le président dont l’image risque d’être écornée, si ce n’est déjà le cas, à cause de tout ce dont je parlais plus haut. Enfin, moi-même qui suis très attendu dans ce domaine. Les gens se demandent si je vais faire deux poids deux mesures entre un Condé persécuté hier et un autre Condé non moins percuté aujourd’hui.

Il faut que nous parvenions à persuader le président. Mon mot de la fin sera cette citation de Pierre Dac : « On dit d’un accusé qu’il est cuit quand son avocat n’est pas cru ». Il faut donc que nous soyons crus pour éviter que l’accusé ne soit cuit. Même si nous ne sommes que ses avocats occultes.

Ton ami, le ministre des causes justes, Habib Yembering Diallo

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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