Les mots et les maux du ministre

Habib Yembéring Diallo

Mon très cher honoré maître,

Une fois n’est pas coutume, je m’adresse à vous pour vous expliquer une situation à laquelle je suis confronté et solliciter vos sages conseils pour l’attitude à adopter face à cette situation. Tout d’abord, et pour votre information, j’ai eu l’honneur de faire partie du très prestigieux conseil scientifique de mon pays pour faire face à la pandémie à laquelle l’humanité entière est confrontée. Comme indique son nom, ce conseil est chargé entre autres de suivre, d’évaluer et de conseiller les décideurs de mon pays dans la riposte contre cette crise sans précédent.

Au départ, j’étais motivé d’apporter ma modeste contribution dans la lutte contre ce mal planétaire. Mais au fil du temps, ce que je percevais comme un honneur est en passe de devenir plutôt un véritable cadeau empoisonné. A ce jour, cet honneur est devenu un os coincé dans ma gorge. Comme vous le verrez plus loin, la crise sanitaire est mise à profit pour occulter une autre crise. Et c’est cela qui me met mal à l’aise.

Pour votre information, et à titre de comparaison, le nombre total de malades de mon pays ces six derniers mois représente à peu celui de morts pendant 48 heures dans les deux pays les plus touchés. Et celui de morts pour la même période est comparable au nombre de morts pendant 30 minutes dans les mêmes pays. Du moins pendant la pire période qu’ils ont connue. Raison pour laquelle, je rends grâce à notre Créateur. En épargnant un pays comme le mien, notre Créateur nous invite à une méditation profonde. Notamment sur le verset dans lequel il nous exhorte de le prier de ne mettre sur nous que ce que nous pouvons supporter.

Et, c’est là que je viens précisément à l’objet de ma lettre. D’un côté notre Créateur nous a préservés de l’hécatombe prédit et prévue par certains de ses créatures mais de l’autre nous sommes en train non pas de lui être reconnaissant mais de prendre le chemin inverse. Or, je ne vous apprends pas, mon honoré maître en théologie, un autre verset dans lequel Dieu dit « si vous reconnaissez mes bienfaits, je vous les augmente ». Je sais que vos occupations ne vous laissent que très peu de temps pour suivre l’actualité. Et que, probablement, vous n’avez pas suivi tout ce qui a été dit depuis le début de cette crise sanitaire. Entre autres, le Directeur général de l’organisation qui s’occupe de la santé dans le monde avait averti que l’Afrique devait se préparer au pire. Pour sa part, le secrétaire général de l’organisation qui regroupe tous les Etats du monde avait déclaré sur une chaine de télévision très prisée sur notre continent qu’il y aurait des dizaines de millions de morts sur ce continent.

Si les prévisions apocalyptiques de ces personnalités s’étaient réalisées, les survivants n’auraient pas pu enterrer tous les morts à cause de leur nombre élevé. Mais comme on dit, l’homme propose, Dieu dispose. Et il dispose bien. C’est pourquoi, nous devons lui être profondément et sincèrement repentir et reconnaissance. Paradoxalement, nous sommes en train de faire tout le contraire. Sinon comment peut-on comprendre et expliquer qu’avec près de 7 000 malades pour 50 décès en six mois, les moquées soient toujours fermées. Voilà, mon cher maître, l’inquiétude de votre élève. Car j’ai été associé à cette longue fermeture.

Pendant ce temps, les marchés sont bondés du monde. Les activités politiques se déroulent comme d’habitude. Mais je vous épargne de parler de la politique. Les vols commerciaux ont repris. Or, comme vous le savez, un avion peut prendre près de 500 passages. Tous enfermés dans cet engin hermétiquement fermé. Là, on ne parle pas de risque de propagation. Par contre, dans une mosquée, qui contient dix fois moins de fidèles, avec portes et fenêtres largement ouvertes, on estime qu’il y a un risque de propager le virus.

Pour toutes ces raisons, je suis désormais hanté voire très anxieux à cause de ma participation dans cette décision. Je commence à m’interroger si je n’ai pas été associé à un projet dont l’objectif est inavoué. En l’occurrence le maintien de la fermeture des lieux de culte. Et plus particulièrement les moquées. Je voulais vous épargner de parler de la politique. Mais pour que vous puissiez comprendre les véritables enjeux et surtout les véritables dangers de cette situation, je me dois de vous expliquer un certain nombre de choses. Notamment l’antagonisme chronique entre ceux qui veulent avoir le pouvoir et ceux qui le détiennent actuellement. Les premiers manifestent contre les seconds. Mais à cause de la pandémie, il y a une trêve. Il me semble que cette crise sanitaire fait l’affaire de mon ancien patron.

Mais là n’est pas le problème. C’est la fin qui justifie les moyens. Là où il y a le problème, c’est de se servir du conseil auquel je fais partie pour justifier et maintenir la fermeture des lieux de culte. Je voudrais donc savoir, dans pareil cas, quelle doit être mon attitude. Faut-il rester au sein de ce conseil, auquel on attribue toutes les décisions relatives à la crise sanitaire, donc dont la fermeture des mosquées ou plutôt jeter l’éponge ? Et si je devais opter pour la deuxième solution, faudrait-il dire les vraies raisons ?

Cher maître, sachant que c’est toujours avec un immense plaisir que je m’adresse à vous, je ne voudrais pas m’arrêter. Mais je dois le faire. Je vous prie donc de bien vouloir me répondre dans les meilleurs délais afin de dissiper mon angoisse et surtout orienter ma décision.

Votre dévoué ancien élève, Habib Yembering Diallo

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