Les mots et les maux du ministre : dois-je démissionner et me présenter, si « l’autre » n’est pas candidat ?

Habib Yembéring Diallo
Habib Yembéring Diallo

Cher cousin,

Je suis persuadé que tu seras surpris de recevoir cette lettre. Parce que, de nos jours, il y a bien d’autres moyens de communiquer plus rapidement et plus efficacement qu’une lettre. Mais, celle-ci a encore son côté positif. Parce qu’elle reste sous le contrôle de l’expéditeur et du destinataire. Si ni l’un ni l’autre ne divulgue son secret, celui-ci ne sera pas connu.

Si j’ai choisi de t’écrire par la voie postale, c’est bien évidemment pour que le contenu reste strictement entre nous. Ne maîtrisant pas tout le contour d’un mail, je me méfie de cet outil. Qui sait si les gens ne connaissent pas mon mot de passe. Et le téléphone est encore pire. Ce dont je suis sûr, c’est que mon téléphone est sur écoute. Dans un pays comme le nôtre et dans un système comme celui auquel je fais partie, il est illusoire de penser qu’un dignitaire ait un secret. Tu diras que je suis devenu parano. Mais, c’est cela la triste réalité. Je ne dis au téléphone que ce que je peux répéter devant mon patron. Un ministre dans notre pays est un prisonnier non détenu.

Tu comprends donc pourquoi j’ai pris la peine de te faire parvenir mon courrier par la poste. Dans l’espoir qu’il n’existe pas une commission de lecture de courriers postaux, comme il en existe dans bien d’autres secteurs. C’est pourquoi, ce n’est ni mon chauffeur encore moins moi-même qui dépose ce courrier à la poste. Ce sera un jeune qui n’attire aucune attention.

Après avoir suffisamment planté le décor, qui te montre une partie de l’état de notre Etat, je vais devoir passer à l’essentiel. C’est-à-dire mon avenir politique. Ou mon avenir tout court. Car, désormais, les deux sont intimement liés. Il n’existe aucun avenir pour moi en dehors de la politique. C’est pourquoi, je voudrais t’exposer ma situation actuelle, solliciter tes sages conseils et surtout ta précieuse aide.

Comme tu le sais, malgré mon entrée au gouvernement, qui fut le dénouement d’un rude combat entre deux parties de moi-même, je n’ai pas cédé à l’euphorie comme d’autres l’ont fait. J’ai refusé de fondre mon parti dans celui de mon patron. Et, cela en me rappelant le vieil adage de mon grand-père qui disait qu’il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier. Ce refus m’a valu quelques soupçons voire quelques suspicions mais j’y ai tenu.

Je ne t’apprends rien en te disant qu’un parti politique a pour objectif premier de solliciter les suffrages des électeurs. Surtout pour la plus prestigieuse de toutes les élections. En l’occurrence, la présidentielle. A l’approche de cette échéance, j’ai commis une erreur monumentale. J’ai accepté aujourd’hui ce que j’ai refusé hier. C’est-à-dire m’abstenir de me présenter à la présidentielle au profit de mon patron. Il aura fallu le débat actuellement en cours dans l’autre camp pour que je me rende compte de mon erreur. Car, si mon principal concurrent dans mon fief n’est pas candidat, moi, je devrais l’être. Car, c’est lui qui est mon principal obstacle sur le chemin du palais. Du coup, je me trouve à nouveau dans une situation un peu comme celle à laquelle j’étais confronté lorsqu’il était question d’entrer au gouvernement. Autant j’étais déchiré hier entre accepter ou refuser la proposition qui m’était faite, autant je suis déchiré aujourd’hui entre me présenter à la dernière minute ou respecter mon engagement et soutenir mon patron jusqu’au bout.

Si je devais choisir la première option, il va falloir évidemment quitter le gouvernement. Et, c’est là le véritable casse-tête pour moi. Si je démissionne pour me présenter et que je ne réussisse pas, j’aurais lâché ce que j’ai solidement entre les mains au profit de ce que j’ai sous les pieds. Je pourrais perdre les deux. Et, c’est là que je fais appel à ton intelligence, ta pertinence et ta clairvoyance pour m’aider à dessiner les différents scénarios possibles ainsi que l’attitude à adopter.

Si l’échec est plus probable pour moi que la victoire, tout dépendra en réalité d’une autre candidature ou non. Sans doute que tu te souviens de ce qui s’était passé dans un pays voisin au nôtre en 2012. Alors que tous les ténors de l’opposition s’étaient contré sur la lutte contre la candidature du vieux, un jeune a pris une autre option. Il a utilisé cette période pour battre campagne dans les coins et recoins du pays. Et, finalement, il a remporté la victoire. En tant que jeune, je rêve faire comme lui. Mais, il y a une condition de taille : c’est le boycott de l’élection par l’autre. Celui que tu connais et que je ne veux pas nommer.

L’hypothèse que je me suis faite est la suivante : mon principal concurrent dans mon bastion boycotte l’élection. Et à cause du bilan peu élogieux de mon patron, je mène une campagne électorale très agressive contre ce dernier. Je parviens à convaincre les nôtres de se rendre massivement aux urnes. Finalement, leur voix et celles que vais obtenir dans les autres régions me permette d’aller à un second tour. Et, mon cas devient comme celui de Macron contre Le Pen ou celui de Sall contre Wade : toute l’opposition appelle à voter pour moi non pas parce que tous me sont favorables mais pour sortir le sortant du palais.

Voilà mon rêve le plus fou. Et, c’est ce qui m’amène au deuxième sujet. Celui de tout faire pour décourager mon principal concurrent à se présenter. Pour t’avouer la vérité, j’ai engagé un vaste réseau de communicants pour s’indigner pour son éventuelle candidature. L’objectif est qu’il dise prendre en compte l’avis de ses militants exprimé sur les réseaux sociaux et sur les antennes des radios locales. Puisqu’il n’est pas écrit sur le front d’un homme son appartenance politique, ce sont mes militants qui se font passer pour les siens pour le décourager.

Pour conclure, je souhaite que tu t’impliques dans ce jeu de dupes en décourageant personnellement ce phénomène de foule pour qu’il me cède le terrain. En attendant ton avis sur tous ces aspects que j’ai soulignés tout le long de ces lignes, je voudrais te réitérer mon souhait que le contenu de cette lettre soit strictement entre nous deux.

Ton ami, le futur ancien ministre, Habib Yembering Diallo

Téléphone : 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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