Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo


Cher
cousin,

Comme tu le sais bien, la date de l’élection présidentielle a été fixée pour le 18 du mois prochain. En prélude à cette importante échéance, des membres du gouvernement se sont retrouvés pour envisager la stratégie de la campagne électorale. Tu auras remarqué que je dis des membres et non les membres. Car, comme tu le sais, la différence est de taille. Mais l’objet de cette lettre n’est pas de parler de la subtilité d’une langue. Loin de là.

D’entrée de jeu, et par rapport à cet importantrendez-vous démocratique, l’équipe à laquelle j’appartiens est composée et partagée en trois catégories : il y a ceux qui, comme d’habitude, sont en première ligne. Ceux-ci font preuve d’un zèle jamais égalé. Estimant entre autres que, quoiqu’il arrive, l’élection est purementformelle. Selon eux, aucun de nos concitoyensne peut et ne doit remporter une victoire face à notre patron. Pour cette première catégorie,c’est la victoire de notre candidat ou le chaos.

Il y a une deuxième catégorie. Celle-ci est plus pernicieuse. Ce sont tous ceux qui vont à la direction du vent. Ils sont prêts à rejoindre n’importe quel groupe majoritaire. Bien évidemment ils font semblant d’être pour le président. Mais si jamais ce dernier est en difficulté, ils seront les premiers à l’abandonner. Ces hommes caméléons qui disent une chose devant le président et une autre devant l’opposant. Ceux-là aussi font partie de notre équipe.

Il y a enfin un troisième groupe. Ce sont ceux qui se disent technocrates. Ceux-là estimentqu’ils ne sont pas politiques. Ils seraient dans le gouvernement uniquement pour aider celui-ci. Eux ne mouillent généralement pas le maillot. Sauf que cette fois, on leur demande de le faire. Un de nos collègues, qui appartient à la première catégorie, a mis tout le monde en garde. Disant en substance que l’attitude et le comportement de chaque membre du gouvernement seront suivis à la loupe. Qu’aucun d’entre n’a droit à l’erreur. Ajourantqu’il y va de notre maintien ou de notre départ du gouvernement après l’écrasante victoire de notre candidat. Nous avons trouvé ce comportement, j’aillais dire ce chantageagaçant.

Mais tout cela n’est que le décor que je voulais planter pour toi. Je reviens donc à l’objet de ma lettre. A savoir la campagne électorale à laquelle je fois impérativement et activementparticiper. Dans la foulée, notre terrible collègue nous a dit que chacun de nous est un directeur de campagne. Notamment dans la préfecture dont il est originaire. Du coup, je dois bien prendre mon bâton de pèlerin pour aller voir les miens. Pour demander dire de nous accorder une nouvelle fois leur confiance. Et c’est cela qui me pose problème. Et profondément.

Et pour cause, il était plus facile de faire cet exercice il y a cinq voire dix ans. Après une décennie de gestion de mon patron, je me demande quel est le discours que je vais tenir vis-à-vis des miens. Et d’ailleurs comment accéder à ces citoyens. Je pense qu’organiser une élection aussi importante que la présidentielle, pendant la saison des pluies et dans le contexte actuel marqué par une dégradation sans précédent de nos routes, est un cadeau offert à l’opposition. Mais si et si seulement l’élection se déroulait comme elle se déroule sous d’autres cieux. Tu te rends compte que je m’écarte de mon sujet.

Je revins donc au discours qu’il faudrait tenir à mes interlocuteurs. A deux reprises, le candidat avait promis à la population des routes, des écoles, des hôpitaux, de l’eau et de l’électricité. Arès dix ans de gestion de notre pays, je dois avouer que celui-ci se portait nettement mieux il y a dix ans. Se rendant compte que parler à la population est un véritable casse-tête pour nous, un de nos collègues a suggéré de rappeler à cette population qu’il a fallu l’évènement de notre patron au pouvoir pour que beaucoup de préfectures et même de sous-préfectures bénéficient de l’électricité. En l’occurrence les panneaux solaires dont bon nombre de localités sont désormais does. Mais un autre nous a conseillés de ne surtout pas faire allusion à ces poteaux. Parce qu’ils sont devenus tout simplement une décoration pour la journée. A l’heure actuelle, la plupart d’entre eux ne servent qu’à attacher chèvres et moutons pour les citoyens.

Devant les difficultés à trouver et à prouver un bilan défendable, et surtout une promesse réalisables, un autre collègue a suggéré de parler de la construction d’hôtel dans la capitale. Un autre l’a vite stoppé. Arguant que pour nombre de nos compatriotes de l’intérieur, hôtel rime avec dépravation. Surtout qu’un chef traditionnel opposé à notre maintien au pouvoir vient de parler non pas d’hôtels mais de motels. C’est tout dire. Bref, il faut creuser ses méninges pour trouver un bilan et surtout des promesses à faire aux citoyens.

En définitive, nous avons décidé d’observer la décision qui sera prise par notre principal concurrent. S’il se présente à l’élection, il va falloir affuter les armes, j’aillais dire les arguments pour mener la campagne. Et si, par bonheur, il n’abstenait, ce serait un cadeau tombé du ciel. En ce moment-là la campagne ne deviendra qu’une simple promenade de santé. Une équipe de foot qui sait que l’adversaire a signé forfait n’a point besoin de s’entrainer. Nous attendons non sans anxiété cette décision.

En attendant, je souhaite obtenir ta précieuse aide pour préparer un argumentaire de campagne. L’objectif pour moi est, dans un premier temps, de prouver à mes collègues que non seulement je suis engagé mais aussi doté d’outils nécessaires pour jouer pleinementmon rôle. Même si, bien entendu, il est probable voire sûr que le discours de campagne soit harmonisé, je voudrais apporter ma contribution. Et ce sera la tienne.

J’attends donc ce document dans les plus brefs délais. Inutile de te dire que je souhaite que tu gardes strictement et intiment entre nous tout ce que je viens de te raconter.

Ton cousin, le ministre Directeur de campagne improvisé

Habib Yembering Diallo

Téléphone : 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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