C’était il y a 62 ans, le 28 septembre 1958, les Guinéens changeaient le cours de l’histoire. Ce jour-là, ils ont voté massivement Non à la communauté franco-africaine proposée par le Général De Gaulle (alors président de la France). Une décision historique qui a permis au pays d’accéder à son indépendance, ouvrant ainsi la voie aux autres pays africains qui étaient encore sous le joug colonial. Mais depuis quelques années, la belle image qu’avait cette date a été écorchée par le massacre du 28 septembre 2009.
Au moins 157 personnes furent tuées ce jour, de nombreuses autres blessées et des femmes violées au stade du 28 septembre de Conakry, où étaient rassemblés des opposants qui réclamaient le départ de la junte militaire alors au pouvoir. Pour parler de cette date, ayant désormais un double sens pour les Guinéens, un journaliste de Guineematin.com est allé à la rencontre du doyen Elhadj Biro Kanté, compagnon de l’indépendance et dignitaire du régime Sékou Touré (le premier de la République de Guinée).
Décryptage !
Guineematin.com : il y a 62 ans jour pour jour que les Guinéens votaient NON au référendum du 28 septembre 2020. Ils rejetaient la communauté proposée par la France et optaient pour l’indépendance. Que vous rappelle cette date ?
Elhadj Biro Kanté : la date du 28 septembre 1958 rappelle des souvenirs d’un moment où j’étais encore jeune, âgé de 30 ans, mais responsable. Cette date du 28 septembre 1958 a ébranlé toute l’Afrique et tout l’empire colonial français. Seulement trois discours ont ébranlé le système colonial français et créé l’enthousiasme dans toute l’Afrique. Le 28 septembre 1958, il fallait être à Conakry pour comprendre cet enthousiasme. Après le 26 août, après le passage du président De Gaulle, le PDG a organisé le 14 septembre 1958, une conférence nationale pour consulter l’ensemble des structures du parti pour savoir oui ou non si on devait aller aux élections (au référendum). C’est le 14 septembre donc que s’est joué le destin de la Guinée et non le 28 septembre.
C’est ce jour-là que nous avons décidé que nous devons voter NON. Le 28 septembre 1958 a été une journée de gloire, non pas pour le peuple de Guinée, mais pour les peuples d’Afrique. Parce que comme l’a dit Lansana Conté (deuxième président de la Guinée), Sékou Touré a libéré la Guinée et même l’Afrique. C’est vrai, c’est le vote du 28 septembre qui a permis à l’Afrique de recouvrer son indépendance. Mais le Général De Gaule avait dit qu’on subirait les conséquences de notre décision. Les conséquences, on les a subis : des complots, des agressions, mais nous avons résisté. C’est pour cette raison que je suis fier d’être là aujourd’hui pour parler à la jeunesse. Cette jeunesse doit être fière du référendum du 28 septembre et fière des leaders qui y ont contribué, notamment de Sékou Touré.
Guineematin.com : est-ce que vous regrettez aujourd’hui le NON du 28 septembre 1958 ?
Elhadj Biro Kanté : nous ne le regrettons pas. Au contraire, nous sommes fiers parce que nous avons donné l’indépendance à l’Afrique, pas à la Guinée seulement. Lorsque notre camarade Diao Baldé est décédé, le président Alpha Condé était à ses obsèques. J’ai dit au président Alpha Condé qu’il est compagnon de l’indépendance comme moi. Je lui ai dit : vous n’avez pas l’insigne comme moi, mais vous avez combattu dans les campus à Paris. Nous avons la fierté de notre lutte. Je vais vous dire une chose, lorsque le président Ahmed Sékou Touré a fait son apparition aux Nations-Unis, le président Houphouët Boigny était là-bas en tant que secrétaire d’Etat du gouvernement français. Et lorsque le président Sékou Touré est rentré, tout le monde s’est levé pour le saluer.
Guineematin.com : pourtant, beaucoup de guinéens pensent aujourd’hui que le retard de la Guinée en matière de développement est dû au NON du 28 septembre 1958. Que leur répondez-vous ?
Elhadj Biro Kanté : je dis que ce n’est pas vrai. Le retard de la Guinée est parti du 3 avril 1984, après le coup d’Etat crapuleux de Facinet Touré. C’est lui qui a fait le coup d’Etat, d’abord à l’armée puis au peuple de Guinée. Sinon, nous étions en avance sur tous les Etats de l’Afrique de l’Ouest. Cela sur le plan économique, social, culturel. Qui n’était pas fier d’être guinéen à l’époque-là ? Mon frère Alpha Condé était fier d’être guinéen lorsqu’il était opposant. Pourquoi ? Parce que la Guinée avait une valeur. Moi, j’ai été ambassadeur de la Guinée en Yougoslavie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, j’étais fier.
Guineematin.com : le 28 septembre nous rappelle aussi le massacre qu’il y a eu au stade du même nom en 2009. 11 ans après ces événements, les victimes attendent encore que justice leur soit rendue. Comment est-ce que vous observez ce dossier ?
Elhadj Biro Kanté : le dossier du 28 septembre 2009 est un autre tournant. Le peuple de Guinée ignore encore les véritables raisons de ce massacre ou soi-disant massacre. Comment ce massacre est parti ? Qui sont les responsables ? Ce n’est pas Dadis (le chef de la junte militaire alors au pouvoir) seulement qui en est responsable. Il y a aussi ceux-là qui ont invité les gens. On vous dit : ne venez pas, n’organisez pas la manifestation, mais vous vous entêtez, vous faites sortir les enfants dans les rues. Depuis 2014, j’ai écrit au président de la République et à tout le monde pour demander de libérer Toumba Diakité (l’ancien aide de camp de Moussa Dadis Camara, incarcéré à la maison centrale de Conakry), de libérer de Dadis Camara, puisqu’il est en prison déguisé là-bas au Burkina Faso).
Je l’ai dit parce qu’ils sont responsables autant que ceux qui ont organisé la manifestation. On leur a dit de ne pas organiser la manifestation, ils l’ont fait. Bah Oury (l’actuel président du parti UDRG, un des organisateurs de la manifestation du 28 septembre 2009) l’a dit lors d’une de ses déclarations qu’ils ne pouvaient plus contenir les manifestants. Le massacre du 28 septembre 2009, c’est un autre problème. Je vais faire une lettre au ministre de la Justice pour demander la libération de Toumba Diakité et de faire venir Dadis Camara parce qu’ils ne sont pas les seuls responsables de ces massacres.
Moi, je pense que c’est tout le peuple de Guinée qui en est responsable. Tout le monde a dit que Dadis est un messie, il y en a qui ont dit qu’il venait du ciel, ça l’a gonflé. Tout le monde est sensible à la flatterie. Après ces malheureux évènements, Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo et tous les autres leaders qui étaient au stade, chacun d’eux a eu 2 milliards. Et ceux qui sont morts, qu’est-ce qu’on va leur donner ? Le peuple de Guinée doit payer à ces gens-là qui sont morts à 500 millions à chacun, donc à leurs familles.
Entretien réalisé par Ibrahima Sory Diallo pour Guineematin.com
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