Les mots et les maux du ministre ! Par Habib Yembering Diallo

Habib Yimbering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher cousin,

Comme tu as dû suivre en direct les derniers développements de l’actualité dans notre pays, ce que je redoutais tant s’est produit. Notre principal adversaire a fait une véritable démonstration de force dans notre ville. Sans aucune exagération, à l’exception du bref retour du capitaine dans cette ville, aucun autre évènement n’avait mobilisé autant de monde. Or le succès de cet homme constitue de facto mon échec. J’allais dire notre défaite.

Je ne t’apprends rien en te disant que ma nomination avait pour principal objectif l’adhésion des miens pour deux objectifs : La nouvelle constitution et la victoire de mon bienfaiteur à la présidentielle qui devait suivre. Si le premier challenge est gagné, ce n’est pas encore le cas pour le second. Or, tu le sais mieux que quiconque, mon département a été taillé sur mesure pour le besoin de cette cause. C’est un marché gagnant-gagnant. A moi ce département. Et à mon patron sa nouvelle constitution et le premier mandat de la quatrième République que nos adversaires qualifient de troisième mandat.

Dans tous les cas, ce que nous avons vu ces derniers jours chez moi est plus qu’inquiétant. L’adversaire a été plus qu’opportuniste. Il varie désormais son discours selon le lieu, le contexte et la préoccupation de son auditoire. Chez nous, il a parlé peu ou pas de routes, d’eau et d’électricité. Il a abordé la question qui taraude tous les esprits. Celui du retour de l’enfant prodigue de la région dans le pays. Et son discours a trouvé un écho très favorable.

Après son passage dans cette ville, la réaction du comité d’orientation et de stratégie de notre campagne ne s’est pas fait attendre. Il a décidé d’apporter la réponse du berger à la bergère. En l’occurrence le déplacement dans notre région de celui que l’autre prétend être fatigué. Ce dernier n’a plus le choix que de mettre fin à une campagne virtuelle pour affronter les dures réalités du terrain. C’est la fin qui justifie les moyens.

Si je me réjouis de cette décision, j’ai une crainte tout de même. Ou plusieurs. Tout d’abord, quel est le message que nous devons faire passer à la population. Sachant que, pour la troisième fois, nous ne pouvons pas leur promettre le retour de l’enfant de la région. Après avoir tenu ce discours à deux reprises, celui-ci ne tient plus la route. Il va falloir trouver un autre. Lequel ? J’aimerai bien avoir ton avis. Cette situation n’est pas sans rappeler l’adage que mon grand-père me racontait souvent : il est plus facile de mentir et passer que de mentir et rester.

La deuxième crainte qui m’empêche de fermer les yeux, c’est le moyen de déplacement qui sera utilisé par mon patron pour aller chez moi. Si jamais il le fait par un vol, cela risque d’être contreproductif. Ce sera une preuve qu’il est coupé de la population. Or je le vois mal faire comme l’autre l’ai fait. Il n’a ni la volonté ni la capacité de le faire. Alors que sa venue par vol ne sera pas très différent de sa vidéo conférence. Venir en avion dans une région où les vols se sont arrêtés depuis son avènement au pouvoir pourrait être une preuve supplémentaire qu’il cherche à sauver les meubles.

Certains nous proposent qu’il vienne jusqu’à un endroit donné et qu’il abandonne l’engin volant pour prendre un engin roulant. De manière à ce que la population ne réalise pas qu’il a fait le déplacement par vol. Mais puisque l’appareil ne peut pas être égaré dans la jungle, il va falloir atterrir quelque part. Et quel que soit l’endroit où l’appareil sera, les gens sauront qui est son passager.

L’autre source d’anxiété pour moi, c’est la mobilisation. Je n’aurai pas droit à l’erreur. Il est inimaginable de mobiliser moins que l’autre. Pour le besoin de la cause, je souhaite que tu me viennes au secours pour sensibiliser les nôtres afin qu’ils m’honorent. Leur dire qu’après tout le chef c’est le chef. Quel que soit ce qu’on peut lui reprocher il n’en demeure pas moins le chef. Mon avenir et mon devenir en dépendent. D’abord la mobilisation. Ensuite le vote. Si mon ancien allié fait un raz-de-marée chez moi, les carottes seront cuites. Si ce n’est déjà le cas.

Outre mes deux missions dont j’ai parlé plus haut, j’avais une troisième mission : celle saboter toutes les actions de mon ancien allié. Or au regard de ce qui vient de se passer dans ma propre ville, cette dernière mission est un cuisant échec. Ce phénomène de foule continue à mobiliser partout. Y compris là où il est censé avoir moins de militants et de sympathisants.

Ma situation actuelle est celle de la plupart de mes collègues apportent un bémol à cette citation de Georges Clemenceau « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque : les plus haut placés sont ceux qui servent le moins ». Si chaque ministre devait être occupé comme je le suis en ce moment, je te parie que cette fonction aurait été moins convoitée. Ce n’est pas du tout repos. Et chaque fois que mon téléphone sonne, j’ai la peur au ventre. Quand mon patron m’appelle je ne peux pas décrocher devant femme et enfants. Tant l’interrogatoire est serré. Surtout après la démonstration de force, j’allais dire cette parade dans mon fief comme en territoire conquis par celui-là même qui me donne de l’insomnie.

Quand j’ai vu les images de chez moi, et quand j’ai eu les échos que cela a suscités au palais, j’ai pensé à cette autre citation de Stendhal dans le Rouge et le Noir : « Soupçonner qu’un rival est aimé est bien cruel, mais se voir avouer en détail l’amour qu’il inspire par la femme qu’on adore est sans doute le comble des douleurs ». Ici il ne s’agit pas d’amour mais la citation s’adapte bel et bien au contexte. Parce que soupçonner que le concurrent est aimé est déjà bien cruel. Mais voir l’admiration de la population pour ce concurrent est pour nous le comble.

Bref, tu te rends compte que je sors de mon sujet. Pour revenir à celui-ci, je te prie de préparer le terrain pour moi. Aller voir les uns, appeler les autres pour leur dire de sensibiliser largement pour que les gens sortent massivement pour sauver mon poste. Voire me sauver tout simplement.

Comptant sur ton engagement habituel, je te dis à bientôt.

Ton cousin, le ministre Habib Yembering Diallo

Téléphone : 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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