LA FINANCE ISLAMIQUE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET DE LA LUTTE CONTRE LA MALNUTRITION

Adama Bérété, spécialiste en management des entreprise et des organisations

Al-Salam, une alternative pour financer autrement le secteur agricole et atteindre l’autosuffisance alimentaire en Guinée

Adama Bérété, spécialiste en management des entreprise et des organisations

La Finance islamique (participative) n’a omis ou négligé aucune activité économique qui renferme de bonheurs pour l’humanité entière, l’agriculture en est une.

Lorsque le Prophète (PSL) est arrivé à Médine et il y a constaté que les cultivateurs de datte pratiquaient « Al-salam » pour se préfinancer auprès des nantis pour une durée d’un à trois ans, il a dit : celui qui préfinance (avance dans) quelque chose, il doit le faire avec une mesure connue, un poids connu et pour un délai déterminé (Pr. Wahaba zouhaily, 2002 ; p296).

Par cette manière de préfinancement (Al-salam), les paysans cultivateurs de Médine ont pu éviter l’usure et ont développé la culture de datte et bien d’autres cultures.

De nos jours, il n’est à démontrer que l’Afrique a des hectares cultivables non exploitées, dû à la méthode rudimentaire pratiquée par la plupart des agriculteurs africains, faute des moyens nécessaires. La Guinée ne fait pas exception à cette triste réalité.

En effet, en 2004, les terres cultivables en Afrique étaient estimées à quelques 874 millions d’hectares dont 16 % des sols sont classés dans la catégorie « peu nutritive », contre 4 % en Asie (https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/janvier-2004/lagriculture-africaine-vecteur-de-croissance; 01/09/2020 ;09h10).

Ces terres sont principalement exploitées par des familles. Elles comptent 33 millions d’exploitations avec moins de 2 hectares qui représentent 80 % de l’ensemble des exploitations (NEPAD ;2013 ; p.8). Aussi, « les agriculteurs africains dépendent fortement d’engrais importés qui, combinés à des coûts de transports importants et à l’absence de fournisseurs en milieu rural, les obligent à payer ces engrais deux à six fois plus cher que le coût mondial moyen » (Afrique Renouveau, édition spéciale ; 2014 ; p.17).

Quant à la Guinée, elle a une surface cultivable de 6,2 millions d’hectares (https://www.invest.gov.gn/page/agriculture?onglet=presentation, 08/09/2020, 13h10). Cette surface arabe (cultivable) est sous-exploitée. Cependant, la situation s’améliore à pas de caméléon.

En effet, lors de la campagne agricole 2014/2015, la superficie totale exploitée par la culture vivrière s’élevait à 3 591 141 hectares contre seulement 1 339 846 ha en 2000/2001, soit un taux d’accroissement de 17% (Ministère guinéen de l’agriculture, Avril 2015 ; p.20).

Cette faible productivité est due à l’accessibilité insuffisante des paysans à l’information, aux nouvelles technologies, aux infrastructures de base et aux services financiers ruraux (https://www.ifad.org/fr/web/operations/country/id/guinea; 09/09/2020 ; 11h15).

Tandis que pour permettre aux agriculteurs de continuer à nourrir le monde, il est important de leur permettre d’accéder à diverses techniques agricoles, tel que l’amélioration de la qualité des sols, l’utilisation des engrais, l’accès à des semences de qualité et l’adoption de meilleures pratiques agricoles (https://www.ifad.org/fr/crops; 08/09/2020 ; 14h24).

Pour remédier à cette situation, l’Etat guinéen a commencé à approvisionner les agriculteurs en des intrants subventionnés (40% des dépenses d’engrais et d’herbicides pour les petits agriculteurs, 30% pour les agriculteurs de tailles moyennes et 20% pour les gros agriculteurs). Pour garantir la transparence et la traçabilité des ressources mises à la disposition des paysans, réduire les pertes constatées pendant l’acheminement et la répartition des semences ces dernières années, et pour un meilleur ciblage des bénéficiaires , l’Etat a mis en place le E-Voucher par le biais du Programme de Productivité de l’Afrique de l’Ouest (PPAO) (https://waappguinee.org/uncategorized/e-voucher-on-dit-quoi-en-guinee/ 09/09/2020 ;8h32).

En plus des intrants agricoles, la problématique d’écoulement des produits agricoles et les charges y afférentes doivent être au centre des préoccupations des Autorités guinéennes. Car l’arrivée de la COVID-19 a démontré la nécessité d’avoir des débouchées diversifiées et pérennes pour les produits agricoles guinéens.
En effet, avec la fermeture des frontières, plus de 5.000 tonnes de pommes de terre seraient ainsi en train de pourrir, faute de preneurs (https://www.dw.com/fr/guin%C3%A9e-le-secteur-agricole-grande-victime-de-la-covid-19/a-53499818; 09/09/2020 ;11h57). Ces pertes subies par les agriculteurs pourraient être aussi dues à :
la conservation inappropriée des produits agricoles ;

l’insuffisance des usines de transformation des produits agricoles locaux.

Au regard de la problématique de sous-exploitation des terres cultivables et de pertes culturales constatées, la recherche d’autres moyens alternatifs de financement du secteur agricole pour la création des débouchées pérennes des produits agricoles devient une nécessité impérieuse, les décideurs pourront se servir d’al- salam à cet effet.

Alors qu’est-ce qu’al-salam ? Comment fonctionne-t-il ? et comment les Autorités guinéennes peuvent-elles encourager les hommes d’affaires à l’utiliser ?

Qu’est-ce qu’al- salam ?

Al- salam est un contrat de vente à terme d’un produit avec paiement immédiat, le prix est avancé et le produit est livré ultérieurement, à une date fixée d’avance (Ministère tunisien des finances, note commune n°28/2016). Autrement dit, c’est un contrat de vente à crédit mais à l’envers, le prix étant payé au comptant alors que la marchandise vendue n’est délivrée que plus tard (BID, actes de séminaire No. 37, p.23)
Comment fonctionne-t-il ?

A travers le contrat écrit entre l’agriculteur et le financier :

L’agriculteur (vendeur à terme) et le financier (l’acheteur au comptant) décrivent les caractéristiques et la quantité des produits agricoles, fixent le prix unitaire, la date et le lieu de livraison de la marchandise ;

L’acheteur paie la valeur (en numéraire et/ou en nature) de la quantité convenue à la signature du contrat.

Le vendeur livre la marchandise conformément aux clauses du contrat.

Comment les Autorités guinéennes peuvent-elles encourager les hommes d’affaires à l’utiliser ?

Afin d’attirer les investisseurs vers « Al-salam », l’Etat doit instaurer au moins les mesures incitatives suivantes :

Exiger des agriculteurs désireux un rapport technique établi par un agronome assermenté portant la qualité de la terre à préfinancer, son potentiel rendement ainsi que ses besoins en intrants agricoles avant l’établissement de tout contrat d’Al-salam ;

Exiger aussi des agriculteurs un document authentifié attestant leur droit d’exploitation sur la terre à exploiter avant la signature du contrat d’Al-salam ;

Demander aux agriculteurs demandeurs d’un préfinancement d’avoir au moins un agronome conseil ;

Permettre fiscalement aux investisseurs dans le secteur agricole d’amortir leurs engins de transformation locale au bout de 2/3 de leurs vies économiques, ce en plus des exonérations douanières et fiscales accordées, (Cf. https://apip.gov.gn/code-des-investissement );

S’approvisionner paritairement en des produits agricoles manufacturés localement dans le cadre de la satisfaction des besoins de ses démembrements (Ministères, régions, etc.), sous réserve que ces produits soient de bonnes qualités ;
S’associer aux groupements des jeunes agriculteurs sous forme d’Al-musharaka dégressive, comme nous l’avons évoquée dans notre précédent article (Cf. https://guineematin.com/2020/09/05/la-finance-islamique-une-alternative-pour-la-creation-de-lemploi-et-de-la-promotion-du-partenariat/). Dans ce cas, l’Etat devient actionnaire de référence, ce qui pourrait rassurer les investisseurs à les préfinancer ;

Encourager les établissements mixtes à donner la priorité aux produits agricoles locaux dans leurs achats. Avec l’application d’al-salam et les mesures d’incitation de l’Etat guinéen :

Les groupements agricoles se préfinanceront sans le moindre coût financier et écouleront facilement leurs marchandises ;

Les usines de transformation des produits agricoles locaux fleuriront davantage ;

Le pays atteindra rapidement son autosuffisance alimentaire ;

Les importations en produits agricoles manufacturés diminueront.

Dès lors que les agriculteurs sont préfinancés en numéraire et/ou en nature sans le moindre coût financier, les usines de transformation des produits agricoles sont suffisamment implantées, le secteur agricole fera l’objet de convoitise, le besoin en devise pour l’importation des produits alimentaires baissera, ce qui va renforcer le pouvoir d’achat de notre monnaie, améliorer le panier de la ménagère guinéenne et réduire le taux des malades de la malnutrition et de facto le coût sanitaire.

Mais est-ce que les Autorités guinéennes attireront- elles les investisseurs vers « Al-salam » afin de réaliser son ambition de l’autosuffisance alimentaire et de combattre la malnutrition en guinée ?
Écrit par Adama BERETE
Spécialiste en management des entreprises et des organisations, chargé de cours de l’économie islamique à l’Université Al-Eamar de Guinée et Trésorier Général de l’Association Guinéenne pour la promotion de la Finance Islamique (AGFI)
Tél. : (+224) 622 99 49 12/662 62 21 01
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