Crise politique en Guinée : l’ambassadeur Thierno Ousmane répond à Emmanuel Macron (interview)

Thierno Ousmane Diallo, ambassadeur de la République de Guinée en Espagne
Thierno Ousmane Diallo, ambassadeur de la République de Guinée en Espagne

Au lendemain de sa nomination au poste d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Guinée près du royaume d’Espagne, l’ancien ministre Thierno Ousmane Diallo a accordé une interview à Guineematin.com, le samedi dernier, 21 novembre 2020. Sa nomination, la crise post-électorale dans notre pays, la sortie du président français sur la situation guinéenne, les déguerpissements à Koporo rails, ont été entre autres les sujets débattus.

 

Décryptage !

 

Guineematin.com : dans un décret publié hier soir, le président Alpha Condé vous a renouvelé sa confiance en vous nommant au poste d’Ambassadeur de Guinée en Espagne. Comment avez- vous accueilli cette nouvelle ?

Thierno Ousmane Diallo : avant de répondre à votre question, actualité oblige, je voudrais me faire le devoir de féliciter le président de la République, Pr Alpha Condé, pour sa brillante réélection à la magistrature suprême de notre cher pays. Vous savez, en 2010, il a été élu avec environ 51% si ma mémoire est bonne. En 2015, il a eu un score un peu plus élevé ; et cette année, il est élu avec 59%. Ça veut que c’est évolutif, le peuple de Guinée lui fait confiance. Je me réjouis de cela, et c’est mon devoir de le féliciter et de lui souhaiter bon courage et beaucoup d’abnégation. Et j’ai été très touché par le fait qu’il a tendu la main à toutes les forces vives de notre pays : l’opposition, la société civile.

 

Parce qu’après tout, l’élection n’est qu’un moyen de choix du président de la République. Mais le travail revient à tous les Guinéens. Donc, j’apprécie beaucoup cette main tendue du président de la République dans le cadre du développement de notre pays. J’espère que cette main tendue sera prise par les autres parce qu’après tout, c’est notre pays. Donc, tout ce que le président de la République actuelle aura fait, ceux qui viendront après ne feront que continuer parce que c’est notre cher pays. Donc, nous allons tous faire en sorte que cette discorde, cette mésentente cesse, et que tous les Guinéens fassent un effort de sursaut patriotique pour faire en sorte que la Guinée se développe.

 

Il faut que les Guinéens changent de mentalité et qu’on se donne la main pour travailler pour ce pays. Ça je le souhaite ardemment du fond du cœur parce que moi, je suis bien placé pour lancer cet appel compte tenu de ma situation. Il faut que les gens changent, que l’on se comprenne pour qu’on puisse léguer à nos enfants un pays en état d’émergence. Et faire en sorte que ça ne soit pas l’éternel recommencement. Que nos enfants ne souffrent pas des mêmes problèmes dont nous, nous avons souffert.

 

Ceci dit, pour revenir à votre question, c’est un grand honneur pour moi d’être nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de notre cher pays, la République de Guinée, près du royaume d’Espagne. Donc ça me fait plaisir. Ça me fait une nouvelle expérience, parce que j’ai connu d’autres expériences : j’ai connu l’Assemblée nationale, j’ai connu l’administration locale, j’ai connu le privé, j’ai été membre du gouvernement pendant 10 ans. Si je couronne tout ça par le poste de diplomate, c’est une expérience dont seront fiers mes enfants et toute la Guinée.

 

Guineematin.com : quelles seront vos priorités dans vos nouvelles fonctions ?

Thierno Ousmane Diallo, ambassadeur de la République de Guinée en Espagne

Thierno Ousmane Diallo : mes priorités, le président de la République en a donné la primeur à l’opinion publique quand il a reçu l’Ambassadeur d’Espagne partant. Il a dit qu’il souhaite développer des bonnes relations avec l’Espagne dans le domaine du tourisme, dans le domaine la pêche. Et il a dit qu’il a un ancien ministre qui est spécialiste de ces domaines et qu’il est sûr que celui-ci mettra en contribution ses compétences pour faire en sorte que la Guinée ait des bonnes relations avec l’Espagne. Donc, mon devoir en tant que grand commis de l’Etat, c’est de faire en sorte que le souhait du président se concrétise dans l’intérêt de notre cher pays, la Guinée.

 

Guineematin.com : les Guinéens qui vivent en Espagne, que comptez-vous faire pour eux ?

 

Thierno Ousmane Diallo : d’abord, je ne sais pas combien ils sont. Quand je vais prendre fonction, je vais chercher à savoir quels sont leurs problèmes et ensuite chercher à les résoudre. Mais d’emblée, je sais que ça, c’est la première mission que le président assigne à tout diplomate. C’est de faire en sorte que les Guinéens se sentent chez eux dans l’ambassade de Guinée. Que l’ambassade s’emploie à régler les problèmes qui sont dans la possibilité d’être réglés par l’ambassade. Vous savez, chaque pays à ses lois, donc je vais demander aux Guinéens de se soumettre aux règlements de ce pays, respecter les lois et faire en sorte que tout se passe bien. Nous pensons être capable, que nous aurons les moyens et la capacité de faire en sorte que tout se passe bien, et que les Guinéens se sentent bien là où ils sont pour le temps qu’ils y passent.

 

Guineematin.com : à l’entame de notre entretien, vous avez salué main tendue du président Alpha Condé à l’opposition guinéenne. Mais, cette main tendue contraste avec les nombreuses arrestations d’opposants qui ont eu lieu ces dernières semaines dans le pays. N’est-ce pas deux choses contradictoires ?

 

Thierno Ousmane Diallo : vous avez raison de soulever cette question. J’ai dit que le président a tendu la main, et je trouve ça comme une bonne chose. Ce n’est pas une boutade mais c’est un peu comme. Personnellement, j’ai été en prison quand on était dans l’opposition. Je considérais que j’avais raison parce qu’on est venu casser Kaporo rails. Malheureusement, ceux qui appuyaient en ce moment, qui se précipitaient pour nous envoyer en prison, c’est eux qui sont en train de se victimiser actuellement. Ça ne veut pas dire que je suis content, je ne suis pas content de cela. Surtout, je regrette amèrement qu’il y ait des pertes en vie humaine.

 

Que des jeunes dont la Guinée a besoin pour construire ce pays meurent et que cela soit brandit comme un trophée de guerre, c’est très grave. Il faut que les Guinéens se ressaisissent et qu’on arrête de faire en sorte de banaliser la vie des citoyens. Et ça, de part et d’autre. Parce que ce qui s’est passé cette année, ce n’est pas que des civils seulement qui sont morts. Il y a beaucoup de militaires et de gendarmes qu’on a fait descendre du train pour les tuer, on a vu les corps. C’est très grave pour nous. Même si c’est un poulet qu’on tue, c’est regrettable à plus forte raison une vie humaine.

 

Donc, il faut qu’on se ressaisisse, qu’on ne croit pas que c’est en comptant le nombre de morts qu’on est célèbre. C’est très grave pour notre pays. Donc, la main tendue dont je parle, il faut coûte que coûte, quelle que soit ce que cela va être, que les Guinéens s’asseyent autour d’une table et discutent de nos problèmes. Il faut qu’on lègue un pays gérable à nos enfants et ceux qui viendront après nous parce que nous aussi, nous avons hérité un pays. C’est parce que le pays existe que nous avons été ministre, ambassadeur. Mais s’il n’y avait pas la Guinée, il n’y aurait pas eu tout ça.

 

Donc, nous devons avoir en vue que ce n’est pas le nombre de morts qui est important. Tout le monde se victimise. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on arrête cette scène infernale. Il faut que les Guinéens se réveillent, se parlent. Et, c’est ce que le président a compris. Il a tendu la main à l’opposition, à la société civile, pour qu’on s’asseye et qu’on parle. Parce que même les guerres les plus atroces ont fini par être réglées autour d’une table. Nous sommes tous égaux pour ce pays, et je dis que ce sont les politiques qui sont en train de diviser la population. Les soussous, les malinkés, les peuls, personne n’en veut à l’autre à tel point.

 

Mais ce sont des politiciens en mal de popularité qui montent la moutarde dans les narines des citoyens qui ne comprennent pas grand-chose, qui se mettent à s’entretuer. Ce n’est pas normal. Il faut qu’on ait honte de brandir des trophées de guerre en termes de morts. Vingt morts, trente morts, cimetière des martyrs, tout ça c’est une honte pour nous. Il faut que ça s’arrête au niveau de la classe politique. C’est pourquoi le président de la République, avec son expérience, a tendu la main à l’opposition guinéenne, à la société civile, au FNDC, à tout le monde, pour qu’on s’asseye et qu’on parle.

 

Guineematin.com : pensez-vous que l’opposition va accepter cette main tendue pendant que plusieurs de ses responsables et militants sont arrêtés et envoyés en prison ?

 

Thierno Ousmane Diallo : écoutez, je ne suis pas là pour faire le débat à la place de la justice. Si la justice a arrêté des gens, c’est parce qu’elle a ses raisons. Et la justice est indépendante de l’exécutif. Moi, je parle au nom de l’exécutif. Je vous rappelle seulement que moi qui suis devant vous, j’ai fait 5 mois de prison. Et au fond de la cellule à la sûreté, j’étais conscient du fait que je n’avais rien fait. J’ai été condamné à 5 mois avec Ba Mamadou, Mamadou Barry et tous les imams de Kaporo rails, parce qu’ils sont venus casser sans nous demander même de sortir. On a dit de résister parce que c’est notre droit. C’était ça. J’espère que justice sera faite, les innocents vont sortir et ceux qui sont coupables vont répondre de leurs actes.

 

Les précurseurs de la démocratie en Guinée, qu’on le veuille ou non, c’est Ba Mamadou, Alpha Condé, Siradiou Diallo, Jean Marie Doré et évidemment Lansana Conté. J’entends certains dire c’est nous les démocrates, c’est des histoires, ils en ont bénéficié. Donc, on a soutenu Alpha en 2010. Ba Mamadou était parti, Siradiou Diallo était parti, Jean Marie Doré était Premier ministre, il ne pouvait donc pas être candidat. Il ne restait qu’Alpha Condé comme candidat. Si on avait choisi un autre, notre choix n’aurait pas eu de sens, de cohésion. Parce qu’à l’UPR, si on choisissait Cellou Dalein Diallo, la seule explication ça allait être c’est parce qu’il est Diallo et moi je suis Diallo.

 

Et la politique, on ne doit pas laisser ça à vous nos enfants. La politique, c’est une question de conviction, ce n’est pas une question de famille ou de parenté. Nous avons pris notre décision, les yeux fermés, nous avons soutenu Alpha Condé qui avait 18% au premier tour. Heureusement pour nous, c’était le ticket gagnant. On est partis de 18% à 51%. Donc, on a eu raison. Et on n’a posé aucune condition pour dire qu’on va être ministre ceci ou cela. Ce qui nous guidait en ce moment, nous les cadres de l’UPR, c’était montrer à la face de la Guinée, qu’on ne s’unit pas par ethnie mais par conviction politique. Parce que si on avait rejoint UFDG, on aurait rien prouvé. On nous aurait peut-être même oublié, parce qu’on se noie dans la masse.

 

Quelqu’un qui a eu 0%, si tu vas ajouter à 44%, même s’il a 58% après, ton apport est léger. Alors que si tu t’ajoutes à celui qui a 18%, tu réussis à le pousser jusqu’à 51%, tu auras montré que tu es un homme. Donc, les peuls ne sont pas racistes, tout comme les soussous, les malinkés, les forestiers. Toute une ethnie ne peut pas être raciste. Mais, il y a des individus qui sont racistes, qui sont mauvais. On avait dit que le peul trahit mais nous, nous avons démontré que c’est faux. Et depuis ce temps, on est avec Alpha. On le soutient contre vents et marées. Et, c’est sans regret.

 

Guineematin.com : au cours d’une interview qu’il a accordée au journal Jeune Afrique, Emmanuel Macron a évoqué la situation en Guinée. Une situation que le président français juge grave, déplorant la décision de son homologue de changer la constitution pour rester au pouvoir. Que pensez-vous de cette sortie ?

 

Thierno Ousmane Diallo : je suis un peu surpris de la réaction du président français qui traite la situation guinéenne de grave. Ça dépend de ce qu’il appelle grave. Mais pour rappel, au Cameroun, le président est au pouvoir depuis de longues années, on n’en parle même pas. Là-bas, la situation n’est pas grave. Il y a une partie du pays qui est en guerre, mais la situation n’est pas grave. Tout près de chez nous ici, en Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara s’est présenté à un 3ème mandat. Emmanuel Macron l’a félicité. Mais ce n’est pas possible.

 

On ne peut pas accepter ce deux poids deux mesures. Pourquoi à Abidjan tout va bien et à Conakry ça va mal. Je ne sous-estime pas le nombre de morts en Guinée. Mais pour les élections, il y a eu plus de morts en Côte d’Ivoire qu’en Guinée. Donc moi, je m’insurge contre cette situation. La France est un pays ami de la Guinée, que nous respectons. C’est vrai, on a été colonisé par ce pays. Mais en 1958, on leur a dit de partir, ils sont partis. Nous sommes un Etat souverain, le président français, il est jeune d’accord, mais il ne faut pas qu’il dise du n’importe quoi.

 

Guineematin.com : tout à l’heure, vous avez évoqué le déguerpissement de Kaporo rails en 1998. On vous a alors mis en prison parce que vous vous êtes opposé à cette situation. Lorsque vous êtes arrivé au pouvoir, le gouvernement dont vous étiez membre a mené une opération similaire dans cette même zone. Pourquoi cette fois vous avez été silencieux face à cet autre déguerpissement ?

Thierno Ousmane Diallo : je n’ai pas été silencieux. On ne m’a pas demandé. Même ma maison était menacée. Donc, vous vous trompez, je ne suis pas resté silencieux. Ce sont les gens qui ont mal interprété. Voilà ce qui s’est passé : il y a des petits malins dans le quartier qui considèrent que je suis leur adversaire politique, qui se réveillent un beau matin et qui se mettent à raconter des histoires. Je suis l’ami du président Alpha Condé, ça c’est vrai. Mais, c’est faux de dire que si j’avais dit à Alpha de ne pas casser il ne l’aurait pas fait, alors que ce n’est même pas Alpha qui a cassé.

 

Parce que ce n’est pas Alpha qui a mis ici zone réservée. C’est venu avant. Moi, en 1998, on a cassé ma maison. Mais c’est parce que ceux qui ont cassé en ce moment ont été irresponsables qu’il y a eu cette dernière casse. Donc je ne suis pas resté tranquille, je ne suis pas resté indifférent. Mais c’est une réserve foncière de l’Etat, on ne peut que négocier. Si on négocie et que ça ne marche pas, l’Etat est la force publique qui a le droit d’user de la force.

Entretien réalisé par Saïdou Hady Diallo et Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

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