Déguerpissement à Kouriah : « l’Etat veut nous voler nos terres pour les donner aux étrangers »

Mamadou Samba Diallo, propriétaire d'un domaine

Après Kaporo-rails et Dar-Es-Salam, les autorités guinéennes veulent procéder à un nouvelle casse de maisons. Lors du conseil des ministres du jeudi, 3 décembre dernier, le gouvernement a annoncé le déguerpissement prochain de plusieurs habitants du district de Bangouyah, relevant de la sous-préfecture de Kouriah, dans la préfecture de Coyah. Au lendemain de cette annonce, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre de certains citoyens concernés par cette opération. Ils dénoncent la volonté de l’Etat de les exproprier de leurs terres « légalement acquises ».

Inquiétude et consternation, ce sont les sentiments qui animent plusieurs habitants de Bangouyah, au lendemain de l’annonce du gouvernement relative au déguerpissement en perspective dans cette localité. Une opération qu’ils jugent illégale, assurant que cette zone n’appartenait pas à l’Etat lorsqu’ils y ont acheté leurs terres. Thierno Oury Bah, maçon, un des occupants des lieux, dit avoir tous les documents qui prouvent qu’il a légalement acquis son domaine, y compris le titre foncier et le plan de masse.

 

« Depuis 1992, nos parents ont payé des domaines ici. Et, en 2007, nous nous sommes associés aussi : des maçons, des ferrailleurs, des menuisiers, pour acheter un hectare ici qu’on s’est partagé par la suite. Mais, avant d’acheter ces domaines et construire ici, on s’est assurés d’être en possession des documents légaux, signés par les autorités de la sous-préfecture et délivrés par l’habitat de Coyah. Lorsqu’on est arrivés sur les lieux, il n’y avait aucune trace qui prouve que c’est un domaine de l’Etat », a-t-il expliqué.

Selon ce citoyen, il y a seulement trois ans qu’il leur a été dit que cette zone appartient à l’Etat. C’était le début de leurs soucis. « Quand cette histoire a commencé, on s’est tournés d’abord vers les personnes qui nous ont vendu les lieux pour être rassurés davantage. Donc, on est partis vers l’imam de Bangouyah puisque c’est eux qui nous ont vendu ici. Cet imam nous a fait comprendre que ce lieu n’appartient pas à l’Etat. Il a dit que ces terres appartenaient à leurs parents depuis le temps de Sékou Touré.

Par la suite, on a décidé de mobiliser nos documents et aller se voir avec l’ancien maire de Kouriah, Koumila. Ce dernier avait demandé à l’ancien préfet de Coyah, Barboza Soumah, de l’aider à récupérer ces domaines pour les revendre à d’autres et ils vont se partager l’argent. C’est de là que nous nous sommes associés pour aller à la rencontre du préfet avec nos documents signés et préparés par le maire de Kouriah et le chef de secteur Naby Soumah. Lorsque le préfet a vu les documents, il a appelé le maire pour lui faire comprendre que ce sont ses signatures qui sont sur les documents.

 

Il lui a posé la question de savoir comment cela s’est passé, mais on ne sait pas qu’est-ce que le maire lui a répondu. Parce que le préfet ne nous a rien dit après leur conversation. Les jours suivants, le préfet a fait venir un libanais qui voulait construire une usine sur les lieux. On lui a fait comprendre que ça ne peut pas être possible, parce qu’on a payé ces terres dans la légalité. Quand on a refoulé ce libanais, le préfet a convoqué une réunion avec les responsables de la commune de Kouriah et nous les occupants. Mais bien avant, le préfet avait demandé à l’habitat de Coyah de lui faire parvenir un document qui prouve qu’ici c’est une zone réservée.

 

Le jour de la réunion, le préfet a réclamé le document à l’habitat, mais ceux-ci ne l’avaient pas. Du coup, le préfet s’est adressé à nous pour dire que si on détient le plan de masse et le titre foncier, c’est que les lieux nous appartiennent. Mais pour avoir une clarification, nous nous sommes tournés aussi vers le gouverneur de Kindia, qui a effectué un déplacement à Kouriah. Il a convoqué l’habitat, les responsables de la commune, les occupants et ceux qui ont vendu les terres. Mais en ce moment, ils ont fait venir le ministre Boubacar Barry (alors ministre de l’industrie) pour visiter la zone et lui demander de faire en sorte que des usines soient installées ici. Donc, il n’y a pas eu de suite avec l’intervention du gouverneur », a dit Thierno Oury Bah.

Mamadou Samba Diallo, propriétaire d’un domaine

De son côté, Mamadou Samba Diallo, un autre occupant de la zone à déguerpir, estime que l’Etat use tout simplement de la force pour leur retirer leurs terres. « Normalement, si l’Etat veut récupérer le domaine, il aurait pu venir nous sensibiliser d’abord au lieu de venir brusquement et nous dire de dégager. Donc, ceci nous amène à dire que l’Etat est venu avec force pour nous voler nos terres. Si on a pris notre argent pour acheter ces terres, c’est parce qu’on savait que c’est une zone d’habitation. Donc, ce nom de zone industrielle a été inventé tout récemment. Si tel était le cas, l’habitat et la justice n’auraient pas autorisé le lotissement de la zone. Donc, on nous vole pour donner aux étrangers, et ceux-ci viennent s’imposer sur nous », déplore ce citoyen.

Ben Madi Bangoura, président de la commission de finance

A la mairie de Kouriah, on soutient le contraire de ce que disent ces citoyens. Ben Mady Bangoura, le président de la commission finances de cette collectivité, indique que cette zone est passée dans les mains de l’Etat en 1997. « Ça fait un bon moment que ce site est occupé par des personnes qui disent être les propriétaires des lieux. Mais la partie était sous contrôle de l’Etat depuis 1997. Donc, à notre arrivée à la mairie, il y a trois ans de cela, l’Etat nous a envoyés effectuer des missions sur le terrain pour alerter les gens », a-t-il laissé entendre.

A noter qu’un PA a déjà été installé sur le terrain pour sécuriser le site. On constate également la présence de panneaux solaires autour du domaine appelé zone industrielle.

Ismaël Diallo pour Guineematin.com

Tél. : +224 624 69 33 33

Facebook Comments Box