Gouvernance économique : Politique fiscale grippée, développement en panne

La situation économique de la Guinée a de quoi désespérer. Malgré ses richesses et nombreuses potentialités, le pays peine à prendre son envol. La gouvernance économique est de plus en plus dénoncée par les citoyens. Dans une série de 7 articles, Le Lynx vous propose de creuser quelques sujets liés à cette gouvernance. Des enquêtes réalisées avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).

Avec une assiette fiscale mal évaluée, la Guinée a l’un des taux de pression fiscale les plus bas au monde (13%). Le bled peine à mobiliser les ressources internes pour faire face à ses obligations. Quelles sont les faiblesses de la politique fiscale guinéenne, sa force et son potentiel pour atteindre le maximum possible sans asphyxier le contribuable ?

Quand le taux de pression fiscale moyen en Afrique subsaharienne est 18%, en Guinée on vise 15% ou plus, le minimum requis par l’OCDE pour amorcer le développement, ce n’est pas demain la veille. La Loi de finance initiale 2021 soumise aux dépités prévoit 13%. La mobilisation des ressources internes, la gestion et l’investissement, voilà le trépied du développement. La Guinée où la corruption, le riquiqui de l’assiette fiscale, la mauvaise gestion des ressources relèvent de la seconde nature, la Guinée se voit condamnée à dépendre du financement extérieur, à l’instar des pays pauvres. Les aides de l’Union européenne et de la France via l’AFD par exemple, pèsent 504 millions d’euros (2008 – 2020) : secteur des transports (83 millions). Santé et lutte contre les épidémies (72 millions), sécurité et justice (60 millions), administration et finances publiques (49 millions), consolidation de l’État ou appui budgétaire (30 millions), élections et institutions démocratiques (26 millions), eau et assainissement (16 millions), agriculture et sécurité alimentaire (15 millions), autres (7 millions). Certains projets sont en cours, d’autres en attente, le décaissement est soumis à certaines conditions.

Le Code général des impôts adopté en février 2004 est composé de cinq titres : Fiscalité directe, Fiscalité indirecte, Autres impôts, redevances, droits et taxes; Enregistrement et Timbre, Procédures fiscales. Ce Code est amendé chaque année par une loi de finance. Le problème, c’est celui de l’application de ce Code.

Corruption, détournements, fraude fiscale

La corruption gangrène notre économie. Les agents, corrompus, les contribuables contournent les règles. Des agents des impôts nous ont avoué que la corruption était intense avec le paiement en espèce, mais néant depuis la digitalisation du système de paiement. « Nous, nous recouvrons. Les dossiers sont connus, tout le monde sait combien telle entreprise doit. Le système aussi a intégré un paiement Orange-Money pour éviter que l’argent passe par les agents. Mais à l’intérieur, les services déconcentrés ne sont pas informatisés, donc la corruption est possible là-bas. Mais ici, l’argent en espèces n’est plus accepté. Le contribuable envoie le reçu de la banque prouvant qu’il a payé et on lui donne la quittance. Donc, l’argent en espèces ne passe plus par les agents recouvreurs. Même les chèques sont interdits maintenant ». Quelques fois, les agents recevraient des appels d’en haut pour demander de baisser la pression sur tel ou tel autre contribuable, d’accorder à Mamadou ou Amadou des jours de grâce. Dans ce cas, les agents mettent le dossier en « veille », ne sachant s’il faut relancer le dossier ou non.

Autre façon de corruption, selon Dr Hamidou Barry, enseignant chercheur, économiste : « des entreprises présentent des faux bilans à l’administration fiscale et les Impôts n’ont aucun moyen de les vérifier. A se demander, d’ailleurs, s’il y a un dépôt systématique de bilan aux impôts ». Multiforme de la corruption : « Une entreprise qui devait payer 15 millions par exemple, il suffit qu’elle négocie avec l’agent qu’elle lui donne 3 millions, elle paie 7 millions, ce qui fait 10 millions, et elle garde les 5 millions restants. Avec la corruption, cela n’ira pas très loin, les autorités n’en prennent pas conscience et c’est là le vrai problème. Les gens négocient les impôts », explique l’économiste.

L’État là-dedans ? Le 27 juin 2018, à l’Assemblée nationale, le PM Don Kass lors de sa déclaration de politique générale déclarait que le volume des pots-de-vin « avoisine en moyenne 600 milliards » de francs gluants par an, que 75% des entreprises disent faire des cadeaux pour obtenir des contrats. Et de déclarer la guerre à la corruption : « Rétablir l’autorité de l’état, c’est mener une lutte sans répit contre la corruption, promouvoir la bonne gouvernance ». Trois cadres, Paul Moussa Diawara directeur de l’OGP, Office guinéen de publicité et Lansana Chérif Haidara, ancien directeur général de la Loterie Nationale de Guinée et Sékou Camara, ancien directeur de l’OGC, Office guinéen des chargeurs seront épinglés. Diawara sera condamné à 5 ans de prison en avril 2019, et au remboursement des 39 milliards Gnf. Il siège aujourd’hui à l’Assemblée nationale et bénéficie de ce fait de l’immunité parlementaire. Le procès de Chérif Haidara est en cours, le procureur avait requis le paiement des 27 milliards. Sékou Camara, ancien directeur de l’OGC, Office guinéen des chargeurs a été condamné à 5 ans de prison avec sursis et au paiement de 20 millions de francs guinéens. Le 26 novembre dernier, Guineenews a révélé un « détournement » de plus de 200 milliards de francs guinéens par Djénab Nabaya Dramé, ministre de l’Enseignement technique, Formation professionnelle, Emploi et Travail. Le gouvernement nie le vol et la soutient.

En 2019, la Guinée rejoint le Forum mondial et s’engage à respecter les normes de transparence fiscale et d’échange de renseignements. Elle bénéficiera d’un programme d’accompagnement pour renforcer la mobilisation de ses recettes nationales par la lutte contre l’évasion fiscale et d’autres flux financiers illicites. Mon œil ! Et dire qu’il y a eu l’adoption en juillet 2017 de la loi anti-corruption. La Cour des comptes censée certifier les comptes publics, où es-tu ? Depuis sa mise en place, ce machin n’a pondu que le rapport d’activité de l’année 2016, rendu qu’en 2019.

La fraude fiscale, elle change de visages, disent nos sources. Comme les contribuables changent d’adresse pour semer les services fiscaux. « Le temps qu’on les retrouve, ils ont déjà accumulé beaucoup d’autres mois ». Il y en a aussi qui font six mois sans payer la TVA, « c’est une forme de fraude, ces cas sont assez fréquents ». Il y a des sociétés qui ne sont pas assujetties au paiement de la TVA, celle qui sous-traitent avec une autre société : « On prélève 10%, quand elle est payé, elle réverse directement au fisc. Si elle ne reverse pas, c’est une fraude ». Un ancien comptable d’une grosse boite de la place nous a révélé deux astuces classiques de fraude tranquille : Primo, ne pas déclarer partie des factures de vente ; deuxio, gonfler les dépenses de l’entreprise.

Un problème systémique

La corruption et la fraude fiscale expliquent qu’une partie du faible taux de pression fiscale, elles n’expliquent pas tout. La Guinée en vise 20% conformément aux critères de convergence de la CEDEAO. On demande à voir. Le Document de programmation budgétaire pluriannuelle 2019-2021, produit par le ministère du Budget est sibyllin : « Les recettes fiscales sont projetées à 17 952,40 Mds en 2019 ; 21 574,73 Mds en 2020 et 24 794,65 Mds en 2021, soit un total de 64 321,78 Mds sur les trois ans. Rapportées au PIB, les recettes fiscales représentent 14,7% en 2019 et 15,5% pour 2020 et 2021. Il convient de préciser que les taux de pression fiscale du cadrage budgétaire 2019-2021 sont en dessous de 20% requis dans le cadre des critères de convergence CEDEAO ».

Pour la mobilisation et la gestion des recettes fiscales, le ministère avait proposé de rationaliser les exonérations fiscales sur la base d’une revue des dépenses fiscales ; de procéder au recensement fiscal des PME, la base pour la mise en place de la Taxe professionnelle unique ; Introduire une tranche d’imposition supplémentaire de 25% pour l’impôt sur le revenu des particuliers ; renforcer les capacités des structures de contrôle interne des administrations fiscales et douanières; poursuivre et finaliser les textes d’application du Tarif extérieur commun; promouvoir le civisme fiscal par l’amélioration de l’image de l’administration fiscale auprès des usagers… De l’administration fiscale, il prévoit de poursuivre l’informatisation avec les projets RAND et MERCURY pour connecter le paiement de la TVA par les entreprises au réseau de la DNI, Direction nationale des impôts ; renforcer les capacités de la DNI en séparant la gestion des opérations ; renforcer le contrôle fiscal en améliorant l’identification des contribuables ; continuer à recouvrer les arriérés d’impôt auprès des grandes entreprises. Dans cette panoplie, seule quelques mesures ont abouti, l’e-Tax par exemple. Le reste serait en cours.

Diagnostic

La fiscalité guinéenne est la maladie infantile des pays sous-développés où prédomine le secteur informel. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont autour de 16%, 17 %, la Guinée, autour de 13%. Et note Dr Hamidou Barry, enseignant chercheur, économiste : « Dans les pays développés, c’est autour de 60% de recouvrement d’impôt. En Afrique, à peine 20%. En Guinée, même le potentiel fiscal est un peu mal connu. Prenez la fiscalité immobilière, elle est très mal connue. L’assiette fiscale comme telle n’est pas bien définie. Si vous ne savez pas qui doit contribuer, il va de soi que vous allez manquer de personnes qui doivent contribuer. Il y a un gros problème de détermination de l’assiette fiscale et un problème de recouvrement de l’assiette existante ».

Mamadou Baldé, expert fiscaliste, abonde dans le même sens. La fiscalité guinéenne porte essentiellement sur la fiscalité des entreprises, non sur les individus, quand bien même si certains paient à travers la RTS, les retenues à la source sur le capital et le patrimoine : « Il y a beaucoup plus d’imposition sur les entreprises que les individus. On voit des immeubles et des commerces partout, dans le secteur informel, mais il n’y a pas beaucoup de contribuables immatriculés aux impôts ». Ce faible taux de mobilisation des ressources internes entraîne un manque d’investissement dans les secteurs vitaux et une dépendance à l’étranger. Le risque de demeurer dans la pauvreté n’est pas à négliger.

Dr Hamidou Barry note : « Si nous n’arrivons pas mobiliser les ressources internes, nous allons dépendre de l’extérieur. Si vous faites en sorte que le budget national d’investissement dépend du financement extérieur, il suffit d’un choc négatif international pour que l’extérieur ne nous finance pas, nous n’avons plus quoi investir. Si une bonne partie de vos revenus dépende des mines, il suffit d’un choc négatif et il y a tout de suite des problèmes. Or, il y a des sources de financement à l’interne. Je rappelle encore que l’impôt immobilier, partout au monde, est une vraie niche fiscale qui est très mal exploitée en Guinée. Malheureusement les recettes ne sont pas au rendez-vous ». Conséquence, le pays est tributaire des aides extérieures. Ainsi les sources de financement de tous les projets d’envergure du gouvernement sont exogènes. Par exemple, le projet de construction de la route Coyah-Mamou-Dabola, 370 km coûte 357 millions d’euros dont 85% mobilisés par la Chine ; la route Boké-Kébou long de 112 Km est financée par la Banque africaine de développement (BAD) et l’Union européenne (UE) à hauteur de 87 millions d’euros. Le barrage de Kaléta a coûté 446,2 millions de dollars, dont 75 % de China Exim Bank, le barrage de Souapiti, ses 1,4 milliard de dollars proviennent d’Exim Bank (accord de prêt).

D’autres projets vitaux sont en attente, faute de financement. Par exemple, le secteur de l’hydraulique. En 2010, la ville de Conakry avait besoin de 263 000 m3/j, alors que la capacité existante était 164 500m3/j, (déficit de 98 500 m3/j). En 2014, la SEG estimait que moins d’un quart de l’eau parvenait à la clientèle : 73%, dont 41 de fuites, 32% de fraude. Pas de sous pour combler.

Enorme potentiel !

Si le taux est bas, il y a pourtant du potentiel. La plateforme e-Tax, outil de déclaration et de paiement s’avère un atout. Des programmes seraient envisagés au niveau des régies financières, ce pour réduire le rôle des intermédiaires, augmenter la rentabilité et sécuriser les recettes. « Nous avons des réformes en cours, le résultat n’est pas encore visible sur le terrain, mais ça ne va pas tarder. Digitaliser le système, mieux comprendre l’environnement et mettre des process. Le Code NIF-P mis en place l’année dernière a permis aux gens de se faire connaitre aux impôts. Cela implique une interconnexion entre la douane, les impôts et la banque centrale. Beaucoup faisaient des transactions en échappant aux radars du fisc, mais le nombre semble diminuer. Cela a permis de ramener plein de gens aux impôts, même si ce n’est pas suffisant. Il faut aussi du suivi, de la constance et de la rigueur, surtout de la volonté politique ». Mamadou Baldé ajoute qu’il faut miser aussi sur la décentralisation fiscale : aux collectivités locales, donner les moyens d’agir à travers notamment la Contribution foncière unique et la patente. « Au début, je me disais que 18% n’était pas possible à atteindre, mais quand j’ai fait l’état des lieux exhaustif, j’ai compris que nous pouvons aller bien au-delà, à 20%, 25% de taux de pression fiscale sur le moyen terme ».

Le secteur minier qui tire la croissance économique contribue peu, aux recettes fiscales, à tout le moins, loin du ratio observé ailleurs dans la sous-région : Burkina, Mali, Niger. Mamadou Baldé voudrait que l’Etat réexamine la situation de la fiscalité et de l’administration minière : « C’est le poumon de l’économie, mais elle ne représente pas beaucoup en termes de recette publique, par rapport au ratio dans certains pays, nous sommes à moins de 2% du PIB. Dans d’autres pays c’est au moins 10% ». Cela s’expliquerait en partie par les exonérations fiscales accordées à certaines sociétés, le Code minier prévoit des exonérations fiscales et douanières en phase de recherche et d’exploitation notamment sur des échantillons.

Solutions

Pour sortir le pays du trou, il y a une multitude de solutions, toutes dépendantes de la volonté politique. Pour Dr Hamidou Barry, il faut travailler à la fiscalisation du secteur privé informel : « Avoir une approche économique du secteur informel, en montrant l’avantage de se formaliser. Si entre temps, il y a une obligation d’impôt, l’Etat va récupérer son dû. Ensuite, le bassin de l’emploi, ce sont les PME. Elles n’ont pas un gros chiffre d’affaires c’est vrai, mais elles paient, elles sont faciles à contrôler aussi. Avec beaucoup de PME vous avez une économie viable, dynamique qui maintient les emplois ».

Mais, constate Hamidou Barry, on est loin du compte en Guinée et se demande si on fait de la politique dans l’économie ou la politique économique. Pour l’économiste, il manque une vision claire à la Guinée malgré l’existence du PNDES, Programme national de développement économique et social. Au Sénégal, par exemple, il y a une vision : « Ils se sont rendu compte que l’économie était déficitaire et l’un des problèmes était le manque d’infrastructures routières, énergétiques, de productivité agricole, ils ont investi là. Un autre élément, les embouteillages, la congestion de la ville de Dakar d’où l’idée de la ville de Diamniadjo. En Côte d’Ivoire, la vision était d’étendre les infrastructures, pousser vers l’industrialisation. Ils ont mis le paquet là, créé des fonds de garantie pour l’industrie, réduit les impôts, organisé des conventions et des séminaires pour vendre le label Côte d’Ivoire, créé un business agricole. Malgré tous les problèmes, mais il y a un cap. En Guinée, il est où le cap, on va où ? ». Et de recommander de lutter efficacement contre la corruption, éviter de mettre des partisans dans les rouages économiques, recruter sur la base des compétences, punir les fraudeurs.

Pour l’expert Mamadou Baldé, si la plate-forme e-Tax est un outil de paiement, il ne résout pas le problème du contrôle, il faut mettre le paquet sur le suivi et le contrôle. « Il faut tripler les efforts pour sortir la tête de l’eau, on peut y arriver, on a pris le bon chemin. On vient d’achever un programme de sept ateliers sur la thématique de mobilisation des ressources internes, on voit ce qui se fait ailleurs et ce qu’on peut faire pour porter la pression plus haut. Il faut identifier qui doit payer l’impôt. En Guinée c’est moins de 4 000 personnes qui déclarent plus ou moins régulièrement et parmi ceux-ci très peu paient l’impôt contre combien qui exercent et qui devraient payer ? C’est énorme. Le potentiel est énorme entre où on est et où on devrait être. L’administration fiscale semble sur la bonne voie avec l’appui des partenaires techniques et financiers, mais il faut aller au-delà et à un rythme un peu plus accéléré dans un pays où l’incivisme fiscal est la règle ».

Au Sénégal, précise-t-il, les réformes au niveau local par exemple ont impliqué les citoyens dans la mobilisation avec la qualification des dépenses. Au Sénégal, selon notre source au sein de la DGID, Direction générale des impôts et des douanes, le gouvernement a initié en matière d’administration fiscale, plusieurs réformes spécifiques du secteur informel : segmenter les contribuables (particuliers et entreprises) au chiffre d’affaire inférieur à 100 millions de FCFA; créer des centres de gestion agréés (en Guinée aussi) avec concertations périodiques avec les acteurs du secteur informel, la création de comités paritaires, lancé l’application « Mon espace perso » destiné au secteur informel, la télé déclaration et paiement.

Autres recommandations : l’Etat doit mettre l’accent sur les dépenses d’investissement productives : la population doit accéder aux services sociaux de base (eau, énergie, écoles, hôpitaux) cela encourage un bon comportement fiscal. Dr Hamidou Barry soutient l’idée qui obéit à la règle : suivisme budgétaire, suivisme fiscal. « S’il n’y a pas de contrepartie du paiement des impôts, le contribuable ne paiera pas. Il y a le travail de transparence et de bonne gouvernance avant tout ». Sinon, vous aurez beau récupérer bonne partie de l’impôt, cela ne servira à rien, clame Dr H. Barry.

Par Oumar Tély Diallo

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