Gestion de l’argent des collectivités à Boké : « On a eu des parfums de malversations », alerte Dr Alpha Abdoulaye Diallo

Dr Alpha Abdoulaye Diallo, président de la Coalition nationale « Publiez ce que vous payez »
Dr Alpha Abdoulaye Diallo, président de la Coalition nationale « Publiez ce que vous payez »

Dans un entretien accordé à un reporter de Guineematin.com le lundi dernier, 04 janvier 2021, Dr Alpha Abdoulaye Diallo, le coordinateur des organisations de la société civile dans le cadre de l’ITIE (initiative de transparence dans les industries extractives) a fait un bref bilan des activités minières au cours de l’année 2020 en Guinée. Et, aux dires de cet observateur, malgré la pandémie de COVID-19, la production minière est restée légèrement à la hausse (comparativement à l’année 2019). Et, comme on pouvait le redouter, Dr Alpha Abdoulaye Diallo a déclaré que la production guinéenne de la bauxite est toujours basée sur la quantité. Car, le pays est encore dépourvu d’unité de transformation de cette matière première.

S’agissant de l’impact de cette production minière sur les populations des zones minières, le coordinateur des organisations de la société civile dans le cadre de l’ITIE, par ailleurs président de la coalition nationale ‘’Publiez ce que vous payez’’ a loué la création de l’ANAFIC (agence nationale de financement des collectivités) et le FODEL (fonds de développement local), même s’il recommande plus de rigueur dans la gestion de ces fonds. Car, Dr Alpha Abdoulaye Diallo annonce « des parfums de malversations financières » dans les communes de Boké et de Dabis.

Décryptage !

Guineematin.com : Que peut-on retenir de l’exploitation minière et du respect du contenu local en Guinée au cours de l’année 2020 ?

Docteur Alpha Abdoulaye Diallo : ce qu’il faut dire dans le cadre de l’exploitation minière pour l’année 2020, malgré qu’il y a eu la COVID-19, l’exploitation minière n’a pas été affectée sur le plan de la production. La production est restée légèrement élevée par rapport à 2019. Ce qui donne une note positive dans le cadre de la production. Mais, ce qu’il faut dire justement en liant cette production minière au respect du contenu local, c’est que c’est le brut qu’on exploite. Aujourd’hui, le secteur minier contribue à 70% dans le cadre de l’exploitation des produits. Et, à chaque tonne de bauxite que nous exportons, nous exportons à la fois le travail et tout le contenu local. Puisque ces minerais ne sont pas transformés sur place. Donc, le véritable challenge, c’est réussir également la transformation de la matière première chez nous. Aussi longtemps que nous allons produire de la quantité, ça peut générer des revenus ; mais, le maximum de revenus recherchés dans le cadre de l’industrie extractive, nous ne l’aurons pas. Puisque la chaîne de valeur ne s’aurait être respectée dans sa plénitude sans vraiment la phase de transformation en produit fini ou semi-fini de nos minerais. Là, nous sommes en train de servir de tremplin pour d’autres pays qui profitent encore beaucoup plus de notre bauxite, de nos diamants, de notre or.

Guineematin.com : vous parlez d’une légère augmentation de la production cette année ; mais, est-ce que les populations vivant dans les zones impactées ont bénéficié des retombées de cette production ?

Dr Alpha Abdoulaye Diallo : l’année 2020 a connu quand-même trois dispositions majeures pour l’appui aux communautés à savoir l’effectivité de la taxe superficielle (la taxe qui est versée sur la superficie du permis de l’exploitant ou celui qui fait la recherche), il y a aussi l’ANAFIC avec l’article 145 et il y a le FODEL dans son article 130 qui sont aujourd’hui des mécanismes de financement des collectivités. Sur le plan fiscal, aujourd’hui nous pouvons dire que les collectivités sont dotées de ressources. Mais, j’avoue que toute la batterie n’est pas encore terminée. Il y a un défi aujourd’hui dans le cadre de l’impact au niveau des collectivités. L’article 144 du Code minier à savoir la création d’un fonds fiduciaire. Vous savez, toute société en phase d’exploitation doit créer un fonds fiduciaire ; mais, les modalités, le décret qui fixe cet article n’est pas encore pris, encore moins l’arrêté conjoint qui va être pris par le ministère des mines, le ministère de l’Environnement et le ministère des finances. Cet arrêté fixe normalement les modalités de fonctionnement de ce fonds et il va permettre de restaurer les sites dévastés. Sans cela, vous avez les conséquences de ce qui se passe aujourd’hui sur le terrain. Les populations perdent leurs espaces agricoles, perdent leurs espaces sur le plan de l’élevage, leur espace vital, etc. Il y a des sites qui sont déplacés, des villages qui sont déplacés et il y a des sites d’exploitations qui ne sont pas totalement restaurés. Tout ça a des conséquences sur les cours d’eau et sur la qualité de vie. J’avoue que comme le législateur a prévu l’article 144, il est important et urgent que cet article soit mis en application pour que l’arsenal, pour la protection et l’aide de la population locale soient au complet.

Guineematin.com qu’en est-il de la dégradation de l’environnement dont se plaignent souvent les populations de Boké et de Fria ?

Dr Alpha Abdoulaye Diallo : justement, je parlais de cet article 144 par rapport à la restauration des sites dévastés. Il y a également le plan de gestion. Chaque société en phase d’exploitation a normalement un plan de gestion de l’impact environnemental. Donc, il faut un suivi régulier pour que ce plan soit respecté. C’est dans ce cadre que l’article 144 permet de créer un fonds pour aider à restaurer tous ces dégâts. Ça, c’est fondamental. J’avoue qu’avec l’ANAFIC et le FODEL on peut dire aujourd’hui que les collectivités disposent des fonds ; mais, le vrai défi au compte de ces fonds, c’est la bonne gestion. Il faudrait que les élus locaux, les acteurs au niveau local gèrent de manière transparente ces fonds, parce qu’il y a la loi sur la lutte contre la corruption qui est au-dessus de tout le monde. Cette loi a été votée en 2017 ; et nous, nous sommes en train de vulgariser actuellement cette loi au niveau des collectivités pour que les gestionnaires de ces fonds sachent que la loi est là. Une fois qu’ils sont coupables de malversations ou bien de détournement, ils vont subir la rigueur de la loi. La bonne gestion de ces ressources au niveau de ces collectivités est un gage de développement dans ces localités. Aussi longtemps que les ressources ne sont pas mobilisées de façon conséquente et que ces ressources ne sont pas gérées de manière à impacter la vie des citoyens, on ne peut pas parler de bien-être au niveau local. Donc, ce sont les deux qu’il faut coupler. On se réjouit de ces ressources ; mais, de l’autre côté, il faut faire de la veille citoyenne et accompagner ces collectivités en renforçant leurs capacités pour que ces ressources soient gérées à bon échéant.

Guineematin.com : Justement, puisque vous parlez de corruption et de détournement, est-ce que votre structure a pu découvrir des cas de détournements de fonds ou bien de corruption au cours de l’année 2020 dans les collectivités qui reçoivent des fonds issus de l’exploitation minière en Guinée ?

Dr Alpha Abdoulaye Diallo : grâce à l’appui d’OSIWA, nous avons pu mettre en place des comités de veille citoyens dans certaines collectivités à Boké, à savoir : Sangarédi, Kamsar, Kollaboui, Tanéné, Malapouya et la commune urbaine. A Kindia aussi nous avons pris la commune urbaine, Mambia et Friguiagbé. Dans ces communes, nous avons installé des points focaux et au jour d’aujourd’hui, nous avons eu des parfums, des suspicions de malversations au niveau de la commune urbaine de Boké, de cas similaires à Dabis et nous sommes en train de travailler avec l’Agence nationale de lutte contre la corruption. Nous allons informer la cellule d’alerte de cette agence pour qu’elle puisse se saisir de l’affaire. S’il y a des cas de suspicions, il faut ouvrir une information judiciaire et ça c’est le domaine de justice. Nous, notre rôle c’est de faire la veille citoyenne, mais aussi alerter auprès des autorités compétentes -comme l’Agence nationale de lutte contre la corruption- pour que l’agence soit saisie et qu’elle saisisse le procureur qui doit ouvrir une information judiciaire. Pour le moment, nous sommes à la phase de suspicion et d’alerte. Maintenant, la suite va suivre, parce que les fonds du FODEL doivent être audités d’ici le mois d’avril pour voir comment les fonds ont été gérés. L’audit c’est aussi identifier les écarts et les imperfections, chercher à formuler des recommandations pour que cela soit corrigé. Mais, parallèlement à ça, l’Agence nationale de lutte contre la corruption doit faire son travail. Il faut qu’il y ait de la bonne gouvernance au niveau local pour que ces fonds puissent impactés les citoyens.

Guineematin.com : qu’est-ce que vous souhaitez voir changer dans ce domaine au cours de cette année 2021 ?

Dr Alpha Abdoulaye Diallo : si je prends le cas du FODEL qui est un fonds d’affectation, il est prévu que 20% doivent aller aux organisations de jeunes, 20% aux femmes. Ensuite, il y a un pourcentage qui doit servir pour le développement de la localité à travers des projets structurants et un fonds doit aller au développement social. Mais, ce qui nous intéresse, c’est le pourcentage qui doit aller aux jeunes et aux femmes. Nous souhaitons que ces quotas soient respectés ; et, qu’au bout de l’évaluation, que ces quotas soient revus à la hausse, parce que nous estimons que les jeunes et les femmes constituent des couches vulnérables. Ils doivent bénéficier le maximum d’accompagnement pour que leur condition change et qu’ils participent au développement local.

Guineematin.com : votre mot de la fin ?

Dr Alpha Abdoulaye Diallo : c’est vrai que nous avons reçu le rapport ITIE pour l’année 2018. Un rapport qui donne beaucoup d’informations sur les revenus de 2018. C’est un rapport qui va nous aider à aller sur le terrain pour informer les populations sur leurs revenus. Mais, ce que nous demandons à l’ITIE c’est d’accélérer la production des rapports. Normalement, on devrait avoir le rapport 2019 : mais, puisque ce sont des normes et la Guinée n’est pas en retard ; mais, il faut faire de l’effort pour aller au-delà des normes parce que l’information est périssable. Une information qui concerne deux ans en arrière, il y aura peu d’engouement. Donc, il est important que l’effort soit fait au niveau de l’ITIE pour qu’on ait des rapports au moins à chaque année. Cela va nous permettre de mettre à jour nos informations au fur et à mesure.

Interview réalisé par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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