Jean-Célestin Edjangue, journaliste et écrivain panafricain : « mon combat pour les jeunes »

Jean-Céléstin Edjangué
Jean-Céléstin Edjangué

Lu pour vous ! Ce Camerounais d’origine, vivant à Paris, est un panafricain convaincu, remarquable par sa droiture, ses idées et sa conduite. Il parle à la jeunesse du monde, notamment africaine, de tous les sujets de la société de notre temps. Dans son combat intellectuel, sa plume journalistique et littéraire est un outil d’enseignement pour appréhender avec conscience afin d’incarner le leadership du monde. Rencontre.

Le Populaire : Vos deux derniers ouvrages « Jeunes d’Afrique, jeunes du monde. Les combats de tous les espoirs » et « Urgence climatique et développement en Afrique. Les médias en première ligne », parus en janvier 2020 chez l’Harmattan, à Paris, portent sur le sort des jeunes et l’urgence climatique.  Vous évoquez notamment la question du chômage des jeunes, leur mise en retrait du débat politique et sous-représentativité dans la gestion des affaires publiques. En quoi cela constitue-t-il un véritable combat pour la jeunesse ?

Jean-Célestin Ejangué : Merci pour l’intérêt que vous portez à mes publications. Permettez-moi, en guise de préambule à la réponse à votre question, de dire ce qui m’a conduit à m’intéresser à ces deux problématiques qui, bien qu’étant universelles et intemporelles, sont aujourd’hui d’une actualité brûlante. Ma double formation d’historien et de sociologue, avant d’exercer comme journaliste, influence l’auteur qui sommeille en moi et m’oriente à privilégier comme champ d’exploration, des sujets qui m’indignent. Ce qui m’a amené à scruter de près le quotidien des jeunes âgés de 16 à 29 ans, aussi bien en Afrique, en Europe, en Amérique et en Asie, depuis une quinzaine d’années maintenant, tout comme les enjeux liés à la protection de la planète.  Ces études ont été réalisées par le biais des observations sur le terrain ou alors à travers des recherches qui m’ont permis de mieux appréhender la réalité de chaque champ.

Effectivement, plus d’une dizaine d’années de recherche sur des jeunes originaires de diverses régions du monde débouchent sur quelques constances. D’abord, les moins de 30 ans sont victimes deux à trois fois plus de chômage que la moyenne nationale tout pays et continent confondus.  Ensuite, cette tranche d’âge est peu intéressée par le débat politique, probablement par défiance. Enfin, et peut-être faut-il y voir une conséquence de ce précède, tout au moins une corrélation, les jeunes générations sont exclues des instances de prise de décisions et donc sous-représentés dans la gestion des affaires publiques. C’est donc autant de challenges, de défis pour ces jeunes s’ils veulent se frayer une place digne dans la société. Car d’évidence, ceux qui détiennent les rênes du pouvoir, ceux qui sont aux manettes, n’entendent pas le partager avec leurs cadets, encore moins leur confier les clés. Voilà pourquoi je parle de combats de tous les espoirs. Parce que pour cette jeune génération, rien n’est perdu d’avance.

Qu’attendez-vous exactement de la jeunesse africaine sur l’urgence climatique ?

L’Afrique, vaste continent de 30 millions de Km2 de superficie et d’un peu plus d’un milliard d’habitants, représente environ 17% de la population mondiale. Le continent est surtout le moins pollueur de la planète avec moins de 4% des émissions de gaz à effet de serre. Mais, paradoxalement, c’est aussi la région du monde qui souffre le plus des conséquences du réchauffement de la planète. L’érosion côtière, la désertification, la famine, l’exode rural, les migrations… Face à cette réalité, des groupements de jeunes s’organisent, un peu partout dans le monde, pour être à la pointe du mouvement pour la protection de l’environnement au sens large et particulièrement pour l’urgence climatique. Ce mouvement a été lancé par Greta Thunberg, l’adolescente suédoise de 17 ans. C’est elle qui a initié, en août 2018, l’appel à l’école buissonnière le vendredi pour le climat « Friday for climate ». Parti de Stockholm, la capitale de la Suède, le mouvement a gagné la planète entière. Des jeunes Africains y participent énergiquement. Les manifestants demandent, par exemple, la mise à disposition immédiate des budgets carbone contraignants au lieu de 2030 comme le prévoit l’Accord de Paris 2015 sur le climat. Je n’ai donc rien de particulier à attendre des jeunes Africains. Si ce n’est de maintenir la pression du combat qui mène à la victoire.

Vous abordez la question de l’environnement à partir de vos expériences de journaliste et d’observateur de notre monde. N’est-ce pas pour inciter bien au-delà de l’Afrique à une prise de conscience de l’urgence climatique à l’échelle mondiale ?

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », avait dit feu le président Jacques Chirac, en ouverture de son discours devant l’assemblée plénière du IVè Sommet de la Terre à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 2 septembre 2002. Il alertait alors sur le réchauffement climatique, conséquence de l’irresponsabilité et l’inconscience des habitants de la planète terre et sont pourtant les victimes des effets néfastes de cette urgence climatique. Le monde est un village planétaire où chaque individu a une responsabilité indéniable pour la sauvegarde de l’environnement. Chaque geste posé, en bien ou en mal, en quelque lieu que ce soit, nous revient sur la face comme un boomerang. C’est pourquoi le prince de « Pollueur-payeur » doit plus que jamais être observé et appliqué. Il n’est pas concevable que les plus gros pollueurs de la planète, la Chine et les Etats-Unis, qui représentaient 43% du total des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, en 2017, n’assument pas les conséquences de leurs actes en indemnisant les régions comme l’Afrique qui souffre de cette situation alors qu’elle pollue peu.

Pourquoi le journaliste et l’écrivain que vous êtes en fait-il une préoccupation collective ?

Nous n’avons qu’une seule planète Terre. Il n’y a pas de plan B en la matière. Or, on sait aujourd’hui, par le rapport 2019 de l’ONU, que l’augmentation de la température pourrait atteindre + 3,2°C d’ici 2100 si rien n’est fait pour la freiner. Ce qui entraînerait des extinctions de masse et rendrait inhabitables des régions entières de la planète. C’est pourquoi l’Accord de Paris 2015 contraint les pays à limiter à +2°C voire 15°C cette hausse des températures. Le rapport 2020 du GIEC table lui sur un réchauffement situé entre +2,5° C et +4°. Voilà pourquoi j’en fais une préoccupation collective, une affaire de tous.

 

Les défis dont vous faites cas dans vos deux livres, sont-ils à relever par la jeunesse africaine seule ou avec le soutien des politiques ?

Institutions internationales, dirigeants de pays, acteurs politiques, société civile, citoyens… C’est une prise de conscience individuelle et collective, une implication sans réserve de tous les acteurs de la vie quotidienne, dans ce combat noble, qui nous permettront de relever ce défi largement à notre portée.

Vous qui traitez les questions de jeunesse depuis plus d’une décennie à travers vos ouvrages et vos articles de presse, dites-nous comment convaincre la jeunesse africaine à lire pour mieux cerner le monde dans lequel elle vit ?

La question de la lecture et plus généralement de l’alphabétisation, en Afrique, ne concerne pas que les jeunes. Elle interpelle également les adultes. Pour l’Afrique subsaharienne, en 2019, l’estimation de la fréquence de l’analphabétisme, qui désigne le fait de ne pas savoir lire écrire et compter, chez les personnes de 15 à 49 ans mesurée sur la base d’enquêtes auprès des ménages était de 49,5 %, soit pratiquement une personne sur deux de cette tranche d’âge. Alors qu’à l’échelle mondiale, la Banque mondiale situe le taux d’alphabétisation des 15 ans et plus à environ 88% en 2019. L’écart est donc notable entre l’Afrique subsaharienne et le reste du monde même si à l’intérieur du continent africain, il y a bien des disparités. Les pays possédant les taux d’alphabétisation les plus élevés sont l’Afrique du Sud, les Seychelles, Maurice, la Libye, Sao-Tomé-Et-Principe, En revanche, Somalie, Niger, Tchad, Soudan du sud et Guinée, sont parmi les pays à faible taux d’alphabétisation, en dépit des efforts entrepris par les Etats, la société civile et des promoteurs privés pour encourager l’investissement à la lecture. Nos jeunes frères et sœurs doivent absolument se familiariser avec le support livre comme outil de connaissance, de divertissement, de découverte et même de rencontre. Pour ce faire, les gouvernements doivent considérer la culture et l’objet livre en particulier comme moteur du développement.  Ce qui implique qu’ils doivent y consacrer les moyens nécessaires. Faute de quoi, le handicap lié à l’analphabétisme risquerait de perdurer encore et toujours.

Réalisée à Paris par Ahmed Tidiane Diallo pour Le Populaire

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