Nomination du gouvernement, combat de l’ANAD, dialogue politique : Dr Edouard Zoutomou à Guineematin

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, président de l'Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès (UDRP)
Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, président de l’Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès (UDRP)

« Si vous devez aller simplement au dialogue parce que vous avez des gens en prison, ça veut dire que vous avez déjà capitulé et que vous êtes en train de reconnaître effectivement la victoire de monsieur Alpha Condé. On ne peut pas y aller pour dire : bon, on est venus, il faut d’abord libérer nos gens. C’est une position de faiblesse. Si on le fait, ça veut dire que de facto, le combat est perdu ». C’est en substance ce qu’a déclaré Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, le président du parti Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès (UDRP) dans un entretien avec un journaliste de Guineematin.

L’opposant, dont la candidature à la présidentielle du 18 octobre 2020 avait été recalée par la Cour constitutionnelle, répond ainsi à ceux qui appellent à un dialogue entre le pouvoir et l’opposition pour mettre fin à la crise postélectorale. Il indique que la priorité de l’UFDG (Union des Forces Démocratiques de Guinée) et son allié de l’ANAD (Alliance Nationale pour l’Alternance et la Démocratie) reste et demeure la reconnaissance de la « victoire » de Cellou Dalein Diallo à l’élection présidentielle du 18 octobre, à l’issue de laquelle le président Alpha Condé a été investi pour un 3èmemandat à la tête de la Guinée. Dans cet entretien, l’opposant a évoqué plusieurs autres sujets d’actualité.

Décryptage !

Guineematin.com : plus de trois mois après la présidentielle du 18 octobre 2020, la Guinée vit toujours dans l’impasse. Le président Alpha Condé peine encore à nommer son gouvernement au complet, alors que le coût de la vie devient de plus en plus cher. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : vous savez très bien que les conditions dans lesquelles les élections se sont déroulées sont des conditions quand même qui ne sont pas acceptables au plan de la démocratie. Il y a eu d’abord le référendum couplé aux législatives. Et, vous savez que c’est que c’est au forceps que les choses ont été acquises. Nous voyons ici des députés qu’on a pratiquement nommés parce que moi, je n’appelle pas cela une élection. C’est regrettable que nous soyons à ce point dans un pays où on parle de démocratie surtout avec des gens qui ont lutté pendant près de 40 ans pour faire asseoir effectivement la démocratie.

Mais, on se rend compte que cela était plutôt un slogan, et que nous sommes en train de régresser. C’est malheureux de constater qu’il n’y a aucune disposition de démocratie dans notre pays. Aujourd’hui, Alpha Condé peine à nommer un gouvernement, c’est parce qu’à l’intérieur même de son camp, les choses ne sont pas au beau fixe. Il y a une contradiction même au sein du RPG. On l’a su parce qu’on voit des gens qui contestent. C’est tout simplement dire qu’il n’y a pas d’entente quelque part. Nous ne sommes pas dans les secrets de ces négociations ; mais, ce qui est clair, c’est que s’ils s’entendaient, il n’y aurait pas eu de problème.

Moi, j’avais des problèmes même avec la structure du gouvernement. C’est un gouvernement pléthorique. Un pays comme la Guinée n’a pas besoin d’une trentaine de ministres. On parle de 36 ministres, avec quel budget ? Comment est-ce qu’on va s’occuper des problèmes, des préoccupations réelles du peuple ? On ne peut pas. Dans un pays comme les Etats-Unis, ils ont 13 ministères alors qu’ils ont plein de moyens. Ici, on n’en a pas, mais chacun se nourrit des titres.

On pense que quand on appelle quelqu’un ministre, il atteint le summum alors que la population est en train de croupir. Ce n’est pas du tout normal. Mais, on sent que c’était là la préoccupation majeure de monsieur Condé. Son problème n’était pas comment faire pour que la Guinée se développe, mais comment faire pour que lui, il se maintienne au pouvoir. Tout le calcul c’était autour de ça et rien d’autre.

Guineematin.com : malgré la prestation de serment du président Alpha Condé et son installation pour son 3ème  mandat, vous les membres de l’ANAD, l’alliance qui a soutenu la candidature de Cellou Dalein Diallo à la présidentielle du 18 octobre 2020, vous ne reconnaissez toujours pas sa réélection. Où en êtes-vous aujourd’hui avec votre combat pour la reconnaissance de la « victoire » de votre candidat ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, président de l’Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès (UDRP)

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : comme vous le savez, on nous a volé notre victoire. C’est connu de tous et nous pouvons le démontrer. Nous avons gagné ces élections et nous le dirons devant n’importe qui, n’importe quand et n’importe où. La victoire a été volée. Maintenant, les gens vont commencer à confesser parce que quand vous rentrez dans les secrets de ce qu’il s’est passé, ils savent que nous avons gagné. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas l’effectivité du pouvoir parce que nous n’avons pas l’armée, nous n’avons pas l’administration, nous n’avons pas les services militaires et paramilitaires et nous n’avons pas les institutions financières en Guinée.

Or, ce sont les fondements du pouvoir. Quand on va distribuer de l’argent aux militaires et un peu partout, il va de soi que ceux-là sont alliés avec le désir de l’exécutif. A l’ANAD, nous savons une chose : il est très difficile d’abandonner quelque chose que vous avez pu acquérir dans la douleur. Nous avons travaillé dur pour la victoire de l’ANAD et on l’a obtenue. Tous les chiffres le disent. Quand on vient nous dire que parce que la CENI a proclamé les résultats et que la Cour constitutionnelle est venue les valider, mais le fait que cette Cour valide ou que la CENI même proclame ne fait pas de ces résultats les vrais résultats. On est en train de nous imposer cette décision institutionnelle, mais on n’est pas prêt à abandonner. Nous, nous allons nous battre par tous les moyens légaux pour obtenir notre victoire qui est acquise dans les urnes. Nous allons continuer à nous battre dans ce sens.

Guineematin.com : pour décrisper la situation politique du pays, beaucoup d’acteurs politiques et sociaux appellent à l’ouverture d’un dialogue politique pour aplanir les divergences entre le pouvoir et l’opposition. Personnellement, quelle est votre position sur cette question ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : vous savez, si la main tendue est réelle, ça se voit. Mais, vous ne pouvez pas tendre la main à quelqu’un pour dire venez on va négocier quand vous prenez des gens pour les mettre en prison, quand vous allez imposer un blocus à leurs bureaux, quand vous persécutez tous ceux qui sont de l’opposition. On a l’impression ici que dès qu’on dit opposition, c’est terminé pour tout le monde. C’est comme si ce mot ne devait pas être prononcé. Donc, ce n’est pas une main tendue. Et, c’est la raison pour laquelle nous, nous disons que nous allons exclure complètement le concept même de pouvoir nous asseoir et dialoguer.

Guineematin.com : ne pensez-vous pas qu’il faille quand même aller à un dialogue pour pouvoir rapprocher les positions et décrisper la situation ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : si ça arrive à ce niveau, oui. De toutes les façons, on peut aller à un dialogue ; mais, dialogue pour dialogue, c’est ce qu’il ne faut pas. Alors, comme je l’ai dit à l’entame, on ne peut pas vous demander de venir à un dialogue alors qu’on est en train d’enfermer vos enfants. De quoi vous allez dialoguer ?

Guineematin.com : pour obtenir la libération de détenus politiques peut-être.

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : c’est possible, mais il faut d’abord que ces gestes soient là. On ne devrait même pas emprisonner les enfants des autres simplement parce qu’ils sont de l’opposition. Donc, ça ne devrait pas être même un sujet de discussion. Quand une main est tendue, si c’est une main tendue, vous le saurez. Voyez au Sénat ou au Congrès américain, c’est des gens qui sont toujours à couteaux tirés quand ils discutent. Mais, vous sentez quand même qu’ils sont en train de discuter pour quelque chose de concret. Chacun a son approche et vous différez dans vos approches. C’est quelque chose que vous pouvez réconcilier. Mais, si du point de vue objectif vous ne pouvez même pas vous entendre, ça va être très difficile de dialoguer.

Guineematin.com : beaucoup pensent aujourd’hui que pour obtenir la libération de ces collaborateurs et ses partisans détenus, Cellou Dalein Diallo n’a pas d’autre choix que de négocier avec le pouvoir. Que leur répondez-vous ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : cela ne devrait pas être parce que ça sera une position de faiblesse. Si vous devez aller simplement au dialogue parce que vous avez des gens en prison, ça veut dire que vous avez déjà capitulé et que vous êtes en train de reconnaître effectivement la victoire de monsieur Alpha Condé. On ne peut pas y aller pour dire : bon, on est venus, il faut d’abord libérer nos gens. C’est une position de faiblesse. Je pense qu’on ne peut pas le faire. Si on le fait, ça veut dire que de facto, le combat est perdu.

Guineematin.com : comment la Guinée va sortir alors de cette crise s’il n’y pas de dialogue entre les deux parties ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : de toutes les façons, si dialogue doit y avoir, chacun ira dans sa position. Nous, nous pensons que nous avons gagné ; et ce qui nous intéresse, c’est maintenir le cap pour effectivement traduire cette victoire dans les faits. Nous sommes dans les dispositions pour faire accepter cette victoire. Je sais que de l’autre côté, ils pensent qu’ils ont gagné, mais nous verrons très bien ce qu’il va se passer. Nous sommes dans les dispositions, dans la logique de faire valider notre victoire par tous les moyens légaux.

Guineematin.com : cela veut dire que ce bras de fer va continuer longtemps entre vous et le pouvoir ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : le bras de fer, ce n’est pas nous qui sommes en train de nous manufacturer. Tout ce que nous avons demandé, c’est que notre victoire soit reconnue. Si monsieur Condé reconnaît notre victoire aujourd’hui ou demain, il n’y aura pas de bras de fer. Ce que nous savons, c’est que nous avons gagné. Quand on nous dit qu’Elhadj Mamadou Cellou Dalein s’est autoproclamé vainqueur, c’est des histoires. N’importe qui pouvait avoir accès à cette information parce que c’était publié. Alors, le bras de fer ne va pas continuer et nous sommes sûrs que les gens reviendront à de meilleurs sentiments et reconnaîtront la victoire d’Elhadj Mamadou Cellou Dalein Diallo.

Guineematin.com : mais, vous l’avez bien dit, le président Alpha Condé a toutes les institutions, et il est reconnu un peu partout comme étant le président de la Guinée. Quelles sont alors vos chances de réussir dans votre combat ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou, président de l’Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès (UDRP)

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : quand je parle des institutions financières, je parle de celles qui sont ici en Guinée. Je parle de la Banque centrale où c’est lui (Alpha Condé) qui décide de tout ce qui se passe. Aucun centime ne peut sortir de la Banque sans lui. Quand vous prenez l’administration, c’est lui ; les services militaires et paramilitaires et jusqu’aux milices, c’est lui. Mais, les grandes institutions internationales se rendent compte effectivement que le climat actuel n’est pas propice, même pour les investissements. Alors, il va arriver un point où si les contradictions sont accentuées, ils seront obligés d’intervenir d’une manière ou d’une autre.

Monsieur Condé va peut-être faire ce qu’il peut pour se maintenir au pouvoir parce que ce qui l’intéresse c’est ça. Tout le reste n’est pas son problème. Si aujourd’hui les gens se battent autour de lui pour se positionner, ce n’est pas ce qui est son problème. Mais, comment se maintenir. Alors, je crois qu’autour de lui il y a beaucoup plus de problèmes et il va falloir qu’il prenne les dispositions pour régler cela. Vous avez vu le ministre Mouctar, il y a eu pas mal de réunions autour de lui parce qu’il a dit qu’il n’est pas content. C’est ce qui met en exergue effectivement le fait que dans la campagne, il y a eu trop de promesses.

Maintenant, le partage est devenu très difficile et il ne sait plus où aller parce que quand tu donnes ici, on va revendiquer de l’autre côté. C’est ce qui est en train de se passer, et c’est la raison pour laquelle le gouvernement se forme au compte-goutte. Aujourd’hui, on essaie de satisfaire deux ou trois, demain on fait la même chose. Mais, qui sait si ces deux qu’on a satisfaits là, on n’a pas créé des problèmes au niveau des deux autres qui ont été oubliés. C’est ce qui se passe. Or, un gouvernement ne devrait pas être comme ça.

Guineematin.com : si on comprend bien, vous attendez que la situation pourrisse pour pouvoir récupérer votre « victoire » ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : si la situation doit pourrir, ce n’est pas de notre fait. Ce n’est pas nous qui ferons pourrir cette situation. Monsieur Condé est la seule solution à ce problème. C’est lui qui a le nœud, la solution à ce problème. Sinon, les enfants d’une même famille peuvent s’entendre si l’objectif c’est de pouvoir faire en sorte que ce pays sorte de l’ornière, c’est très facile. Mais, quand on veut imposer  quelque chose alors que vous connaissez très bien les résultats que nous avons eus avec toutes ces personnes qui sont mortes dans l’opposition à une imposture, moi je crois que quelque part, monsieur Alpha Condé doit être un peu mal à l’aise parce que je ne pense pas que ses calculs étaient qu’il y ait ce genre de choses dans un pays surtout pour lui qui a lutté pendant de 40 années. Moi, je crois que ça ne lui fait pas honneur.

Guineematin.com : pensez- vous qu’avec la crise qui perdure, le président Alpha Condé va finir par renoncer à son pouvoir ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : il peut ne pas renoncer, mais les faits sont têtus. Il peut ne pas renoncer parce qu’il faut bien que même s’il doit céder quelque chose, qu’il le fasse la tête haute. Et pour ça, même l’ANAD et l’UFDG étaient dans les dispositions de pouvoir le trouver le contexte qu’il faut.

Guineematin.com : quand vous dites « renoncer à quelque chose », de quoi voulez-vous parlez au juste ?

Dr Edouard Zoutomou Kpoghomou : la chose, c’est qu’il abdique et qu’il reconnaisse la victoire de notre candidat élu, parce que c’est l’élu du peuple.

Interview réalisée et décryptée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

Facebook Comments Box