Les mots et les maux du ministre

Habib Yimbering Diallo
Habib Yembering Diallo


Cher ami,

Comme tu le sais, le suspens a pris fin avec la nomination de la personne qui me remplace à tête du département ministériel que j’ai dirigé jusqu’ici. Désormais je suis devenu un simple citoyen. Je suis à la fois triste que cette aventure se termine comme ça. Mais aussi heureux de m’être enfin libéré. Même si plus personne ne peut me croire quand je parle de soulagement. Y compris toi d’ailleurs.

Peu importe qu’on me croie ou pas. Je me suis libéré. En dépit de ce que les gens pensent je suis heureux de cette libération. Surtoutsoulagé d’avoir fait ce que des millions d’autres personnes n’auraient jamais fait : décliner un poste ministériel. C’est d’ailleursle reproche que tout le monde me fait. Particulièrement certains membres de ma famille. Lesquels estiment que je n’aurais jamais dû faire cela.

Outre la famille et les amis, l’opinion publique s’est largement prononcée sur la question. Notamment à travers les désormais incontournables réseaux sociaux. Mais dans un pays où les gens suivent l’opinion de la majorité, les réactions ont été largementnégatives. Le plus souvent ironiques. Particulièrement de la part de tous ceux qui n’avaient jamais pardonné ma collaborationavec le pouvoir. Cette catégorie de personnes estime que c’est bien fait pour moi. Sachant que les opposants, auxquels je faisais partie,n’ont jamais toléré mon choix, sachant qu’ils me considèrent comme un « collabo », ces gens-là ne pouvaient que se féliciter de mes déboires. Leur réaction n’est donc pas surprenante.

En revanche, ce qui est surprenant c’est le silence de certains des miens. Dans un premiertemps, ils m’ont appelé pour me dire d’accepter n’importe quel poste qu’on me propose. D’autres allant jusqu’à me dire que même un poste de chef de cabinet ou de secrétaire général d’un département ministériel est enviable à plus forte raison celui du chef du département. Tous m’ont supplié d’accepter toute proposition qui me sera faite. Mais tout cela c’était avant la nomination de ma remplaçante.

Après cette nomination, qui met fin au suspenset à l’espoir, tous ont pris leur distance vis-à-vis de moi. Plus de coups de fils. Encore moins de déplacement à la maison. Sans doute qu’ils estiment que les carottes sont cuites. La solitude commence dès maintenant. Mais je suis prêt à l’affronter. Par contre, je ne suis pas prêt à accepter n’importe quoi. En particulier ce que les médis d’ici appellent le garage.

Le plus dur sera la raillerie de mes anciens alliés de l’opposition. Lesquels se frottent les mains depuis mon acte suicidaire. Selon certaines informations que mon réseau d’informateurs m’a rapportées, les opposants m’attendent de pied ferme. Pour savoir notamment si je vais faire un pas vers eux. En ce moment-là ils pourraient me répondre. Mais ce qu’ils ne savent pas c’est que je suis un homme averti. Même si mon dernier acte tend à prouver tout le contraire.

Ceci étant, je pense que je pourrais passer des moments peu enviables dans les mois qui viennent. Non pas à cause de la rupture des avantages et privilèges auxquels je me suis habitué. Mais à cause de ma future orientationpolitique. A moins que le vieux ne me trouveun point de chute acceptable. S’il ne fait rien, je m’opposerai à nouveau farouchement à lui. Mais comment m’opposer à lui sans être avec ceux  qui s’opposent à lui ? Et surtout comme faire comprendre à l’opinion publique que c’est qui était bon hier est mauvais aujourd’hui ?

Pour te dire la vérité, j’ai besoin d’une pause. D’un grand recul pour réfléchir et observer. Car pour le reste de ma vie, je ne vois pas ce que je peux faire en dehors de la politique. C’est pourquoi, je me mords les doigts pour n’avoir pas été opportuniste en jetant l’épongeau moment où mon collège de l’enseignementsupérieur l’avait fait. Je viens d’apprendre à mes dépens que tous les départs d’un gouvernent n’ont pas la même valeur ni le même symbole. Les uns partent la tête haute. Les autres la tête basse.

Habib Yembering Diallo

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence

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