In memoriam Dr Mamadou Kaba Bah

El Béchir et le Dr Mamadou Kaba Bah (de la gauche vers la droite)

Par El Béchir : Un homme extraordinaire, qui ne s’était jamais départi de son humour, s’en est allé, rassasié de jours. Le Dr Mamadou Kaba Bah, gynécologue, nous a quittés à 94 ans. J’ai perdu un ami cher. Je le vénérais, malgré son incroyable simplicité, son abord facile et la familiarité qu’il me montrait.

Un symposium a été organisé aujourd’hui en sa mémoire au Palais du peuple, à Conakry, avant son inhumation.

Descendant par du grand conquérant Elhadj Omar Foutiyou Tall, le « prophète guerrier », il était l’oncle de feu Bâ Mamadou, homme politique guinéen, dont il était un lieutenant tout aussi impavide. Ils avaient tous les deux le caractère trempé. Leur participation à l’implantation de la démocratie guinéenne était servie par un courage physique exceptionnel et un langage sans détours face au terrible et inébranlable général-président Lansana Conté.

J’adresse mes condoléances les plus émues à la famille éplorée, aux habitants et aux ressortissants de Dinguiraye, ainsi qu’à toute la Guinée, servie et bien servie par le Dr Bah Kaba aux plans professionnel, politique et social.

Je connus l’homme à travers Tibou Kamara. Il nous emmenait parfois couper le jeûne du ramadan chez le vieux médecin, à Donka, après une journée harassante de travail et de pénitence à L’Observateur, son hebdomadaire. Par la suite, je rendis assidûment visite au Dr Bah jusqu’à mon expatriation temporaire pour des raisons familiales.

On avait lié amitié dès le premier contact. Il appréciait, disait-il, mes articles au Lynx, puis à L’Indépendant et ensuite à L’Observateur. J’eus l’honneur de rencontrer à son domicile l’illustre professeur Ghouddouss, un sorbonnard à la retraite qui enseigna longtemps dans les universités guinéennes. J’avais plaisir à converser avec tous les deux et à apprendre d’eux.

J’eus l’occasion de connaître le fils Baïdy Kaba Bah, un ingénieur, avant son établissement en Allemagne. Je n’ai pas connu les autres membres de sa fratrie, et notamment celui (ou celle, je ne sais plus) qui est dans l’administration de l’Onu à New-York.

Le Dr Bah fut le créateur de l’école nationale de santé et le principal formateur des premières sages-femmes guinéennes sous le président Sékou Touré, dont il devint ministre de la Santé et médecin personnel de son épouse Mme Andrée.

Outre sa solide instruction, il avait une vaste culture générale et une connaissance approfondie de l’histoire (guinéenne, africaine et mondiale). Il avait été témoin ou acteur de faits historiques allant de la seconde Guerre mondiale à nos jours.

La baraka du Dr Mamadou Kaba Bah 

Il était franc et direct, il exprimait parfois ses désaccords sur certains points en conseil ministériel. Cette tendance était extrêmement risquée sous la Révolution. Par bonheur, il fut suspendu de ses fonctions par le président Sékou Touré deux mois avant la mort du tyran. Suspendu, mais pas limogé ni emprisonné.

À la prise du pouvoir par les militaires, le 3 avril 1984, tous les membres du gouvernement révolutionnaire furent arrêtés et jetés en prison. Le Dr Mamadou Kaba Bah ne fut guère inquiété. La junte l’oublia. Sa suspension avait été sa baraka.

Quelques rares ministres furent épargnés par les arrestations – comme Sékou Kaba – ou libérés par le régime militaire – comme Denis Galéma Guilavogui, quarante-cinq jours seulement avant le jour fatidique du 4 juillet 1985 ; Galéma gagna immédiatement Abidjan et vécut un temps chez son ami le ministre puis homme politique Bala Keïta, qui connaîtra une fin tragique à Ouagadoudou le 1er avril 2002 avant le déclenchement de la guerre civile en Côte-d’Ivoire.

Quinze mois après le 3 avril 1984, les dignitaires militaires du régime révolutionnaire furent arrêtés à leur tour, suite au nommé « coup Diarra Traoré » (4 juillet 1985). Ils rejoignirent les dignitaires civils à la maison d’arrêt de Kindia pour être exécutés avec eux, nuitamment au mont Gangan.

Le Dr Mamadou Kaba Bah était décidément verni, ainsi que ses deux collègues susnommés. A posteriori, le président Sékou Touré, en l’écartant pour un temps et en mourant peu après, avait sauvé sa vie.

Le Dr Bah redevint ministre de la Santé sous le président général Lansana Conté et ensuite député du parti de Bâ Mamadou, l’UNR, à la législature de 1995-2002.

Une relation particulière entre deux grands médecins 

Dans ma rubrique « Les grands commis de l’Etat », j’avais livré son portrait ainsi que celui du feu Dr Alpha Taran Diallo, son ami et condisciple à la faculté de médecine de Bordeaux, où, après l’école de médecine de Dakar, s’étaient spécialisés les médecins africains, tels que les feus docteurs Gabriel Sultan, Alpha Oumar Barry (le père de Bouba Big-Up), Alpha Oumar Diallo (le père de Halimatou Dalein) et tant d’autres qui prirent valablement la relève des médecins français après l’indépendance et la rupture brutale des relations entre la Guinée et la France.

Le Dr Taran Diallo, éminent chirurgien, doyen de la faculté de médecine de l’Institut polytechnique de Conakry (IPC) – actuelle université Gamal Abdel Nasser –, ne fit malheureusement pas de vieux os. Il signait régulièrement dans l’organe officiel Horoya. Il pensait bien faire en contribuant par l’écriture à une Révolution éclairée par l’esprit démocratique. Influencé par le trostkisme, il prônait la démocratie et le libre débat au sein du Parti unique.

Le Dr Bah, pour sa part, sentait bien le danger que courait son ami à « faire étalage de connaissances » dans l’organe de propagande du Parti-État, où ne s’exprimait que la pensée unique du Grand Timonier guinéen. Il lui disait souvent à peu près ceci : « Taran, ne t’expose pas à ce point. Garde pour toi tes idées sur la Révolution, fais le mort pour vivre, t’occuper de ta femme et élever tes enfants. » Mais l’homme était passionné par l’écriture, l’intellectuel galvanisé par ses éditos. Il aspirait à faire avancer les idées dans le Parti, le PDG, croyant servir la Révolution, la vraie et bonne Révolution. Malheureusement, à l’époque, « la République n’a pas besoin de savants », comme avait dit le président du tribunal révolutionnaire de la Convention nationale française quand il condamna à mort le grand chimiste Lavoisier en 1794. L’Académie des Sciences, dont Lavoisier était membre, venait d’ailleurs d’être supprimée par la même Convention.

Le Dr Alpha Taran Diallo fut arrêté, torturé au camp Boiro, fusillé en octobre 1971 au mont Kakoulima et jeté dans une fosse commune avec plusieurs autres cadres. La Guinée n’en regorgeait pourtant pas. Le régime révolutionnaire, sans doute horrifié par les pendaisons publiques du 25 janvier 1971, avait opté pour la forme classique, le passage par les armes de tous ceux qu’il accusait, à tort ou à raison, de complot.

Un homme exceptionnel

Malgré son grand âge, le Dr Bah était relativement solide et n’avait rien perdu de son humour. La dérision et l’autodérision étaient les traits les plus frappants chez ce grand personnage. Elles expliquaient peut-être, en partie, son excellente santé physique et mentale, mais aussi sa longévité. Sa mémoire était étonnamment intacte.

Il avait bon pied bon œil, lisait sans lunettes, même sous une faible lumière, faisait chaque matin les cent pas dans le secteur du Bloc des professeurs du quartier Donka et décochait aux passants un trait d’humour.

Premier gynécologue guinéen, il avait continué à travailler à temps partiel jusqu’à ses 90 ans.

Assisté par la ponctuelle sage-femme Mata, infirmière au besoin, il recevait les patientes à son cabinet médical installé dans une annexe de sa maison. Réglé comme une horloge suisse, il arrêtait les consultations à 14h. Ensuite, il montait au premier étage, priait, prenait le déjeuner et redescendait aussitôt. Il s’asseyait à la terrasse et recevait les visiteurs. À 17h, il remontait dans son appartement.

Devenu nonagenaire, il aimait à prendre l’air au balcon, l’air vivifiant des vieux moringas plantés le long du mur qui sépare sa maison de la ruelle menant chez feu Jean-Marie Doré, avec qui il avait bataillé dans les années 1990 et 2000 pour le multipartisme et la démocratie sous le président Lansana Conté. Leurs compagnons de route étaient, entre autres, Bâ Mamadou, Alpha Condé, Siradiou Diallo, Charles Diané, maître Momory, Bah Oury, Mansour Kaba, Facinet Touré, Mohamed Diané, pour ne pas tous les citer.

J’avais lu des articles sur le moringa, appelé aussi par les Indiens arbre miraculeux ou arbre de vie, pour ses nombreuses vertus nutritionnelles et sanitaires, mais c’est chez le Dr Mamadou Kaba Bah que je vis pour la première fois ces arbres à la vitalité extraordinaire. Régulièrement émondés, leur diamètre au tronc trahissait leur âge. Le médecin en consommait quotidiennement les feuilles séchées et pulvérisées, me disait-il. Il m’en fit cueillir et apporter des fèves. J’en semai les graines un peu partout à Conakry et à Kindia.

J’ai une pensée particulière pour son épouse, accueillante et attentionnée. Elle veillait sur lui, elle tenait à lui comme à la prunelle de ses yeux. Elle doit se sentir bien seule, avec leur fils souffrant.

Allah fasse miséricorde à l’illustre disparu et l’admette dans l’Assemblée des Justes. Amina.

El Béchir

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