Cher ami,
Sachant que tu t’intéresses de près à tout ce qui se passe chez nous, tu dois savoir que c’est l’actualité sociale qui polarise l’attention dans notre pays. Avec notamment ledéguerpissement qui prend la tournure de destruction. A dire vrai, je suis triste d’être membre d’un gouvernement qui traite comme ça ses citoyens. Mais solidarité gouvernementaleobligeant, je suis obligé, sinon de soutenir ouvertement, tout au moins de garder un silence total.
Mais ce n’est pas ce drame social qui est l’objet de cette lettre. C’est l’autre actualité. Celle qui constitue pour le moment l’autre aspect du slogan « gouverner autrement ». En l’occurrence, la visite inopinée du grand patron dans les départements ministres et autres services stratégiques de l’Etat.
Tous les membres du gouvernement sont terrifiés voire terrorisés à l’idée de recevoir cette visite. Ceux qui ont déjà reçu l’hôte ont eu pour leur compte. En termes d’humiliation. Lorsque, contre toute attente, un ministre est surpris par l’arrivée à son cabinet de la haute autorité du pays, le visiteur devient encombrant. En plus lorsque celui-ci commence son interrogation, j’aillais dire son interrogatoire devant tous les travailleurs, le chef du département passe un quart d’heure peu enviable.
C’est donc non sans anxiété que j’attends mon tour. Dans la foulée, j’ai changé la position de mon bureau. Me mettant à la fenêtre. De manière à ce que je puisse apercevoir de loin un éventuel cortège du fameux visiteur. Tous mes collaborateursont remarqué ma perturbation. Le chef de cabinet m’a demandé ce qui ne va pas ces derniers temps. Je l’ai essayé de le rassurer que tout va bien sans le convaincre.
En réalité, rien qu’à l’idée que cet octogénaire, que je ne regarde jamais dans les yeux pendant le conseil des ministres, qui d’ailleurs, est une vraie torture pour, rien qu’à l’idée dis-je que cet homme me rende visite, qu’il arpente l’escalier de mon département pour me trouver la haut me hante. Sans compter qu’il pourrait m’humilier devant les travailleurs. Un collègue m’a raconté ce qui s’est passé chez lui.
Quand il arrive, il commence par appeler le ministre par son nom. Le tutoyant devant tout le monde avant de le soumettre, comme je l’ai dit, à un interrogatoire très serré. Et gare à celuiqui fait appel à un collègue pour un éclairage, une précision quelconque. Il va demander au ministre s’il ne maîtrise pas la situation dans son ministère. Mon collègue m’a dit que ce qui s’est passé chez lui était similaire à ce qui se passait en 2009 avec le show de l’autre.
Ce qui, en soi, n’est pas surprenant. Le premier, comme le deuxième cas relevant du populisme pur et dur. Apparemment,la seule différence entre le show de 2009 et ce qui se passe actuellement c’est que, dans le premier cas, la télévision ne censurait rien. Ce qui n’est pas le cas maintenant.
Voilà le décor planté. Tu comprends dès lors que je ne fais pas du boucan. Contrairement à ce que soutient ma femme pour laquelle j’exagère un peu en comparant les deux situations. En ce qui me concerne, et jusqu’à la preuve du contraire, il ne revient pas à un chef d’Etat de contrôler la présence physique d’un travailleur. Partout dans les pays sérieux, il y a des outils de contrôle. Ce qui n’est pas le cas dans notre pays où, comme l’a écrit un éditorialiste, l’administration est encore celle du Moyen Age.
Il ne s’agit pas de contrôler la présence des travailleurs qui n’ont ni bureaux ni matériels de travail. La plupart ne savent pas utiliser un ordinateur. Dans tous les départements quand ils retrouvent c’est pour parler de séries cinématographiques. La réalité dans notre pays est aux antipodes de l’assertion de Georges Clémenceau selon lequel : « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque : les plus haut placés sont ceux qui servent le moins ». Dans notre pays les plus « bas placés » ne font rien à quelques exceptions près comme l’éducation. Les travailleurs sont mal formés mais aussi mal outillés.
Bref, je vais devoir m’arrêter là pour ne pas t’ennuyer. J’ai voulu juste partager avec toi mon angoisse voire mon anxiété pour savoir si, contrairement à ma femme, tu auras de l’empathie pour moi ou si, comme elle, tu vas banaliser. Dans tous les cas, je souhaite que le contenu reste strictement entre nous. Je ne t’apprends rien pour dire que si jamais le contenu de lettre se retrouvait sur la place publique, le messe serait dite.
Ton ami le ministre qui attend la visite de son patron.
Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47
Toute ressemblance entre cette lettre et une autre ne serait que pure coïncidence.