Me Halimatou Camara sur le respect des droits des femmes : « le combat reste encore à mener »

Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée
Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée

« Les défis sont nombreux ; mais, il faut reconnaître quand-même qu’il y a des avancées, parce que la parole se libère pour parler des violences basées sur le genre, du sexisme au lieu de travail, du harcèlement moral qu’une femme peut subir… Le combat reste encore à mener », a-t-elle indiqué.

Comme annoncé précédemment, depuis quelques années en Guinée, tout le mois de mars est dédié à la célébration de la femme. Et, cette célébration se matérialise sur le terrain par des rencontres de sensibilisation et de réflexion en faveur de la protection et la promotion des droits des femmes. Ce mois est aussi une occasion de faire connaitre à l’opinion les « femmes modèles » ; c’est-à-dire ces femmes qui, à travers le courage et l’abnégation dans le travail, ont réussi à briser le plafond de verre et les préjugés pour se hisser à un très haut niveau de la société guinéenne.

C’est dans ce cadre d’ailleurs qu’un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre de Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée. Avec cette femme- qui livre quotidiennement des combats acharnés dans les cours et tribunaux du pays pour faire respecter la loi- nous avons parlé de la situation actuelle de la femme en Guinée et de son métier d’avocate.

Décryptage !

Guineematin.com : Quelle lecture faites-vous aujourd’hui sur la situation actuelle des femmes dans notre pays ?

Me Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée

Me Halimatou Camara : Il y a beaucoup de choses à dire sur la situation de la femme dans notre pays. La plupart de nos textes de loi, que ça soit les textes nationaux ou internationaux, donnent un certain nombre de droits à la femme de façon générale. Mais, dans notre pays encore, l’application de ces textes laisse encore à désirer sur certains plans. Les défis sont nombreux ; mais, il faut reconnaître quand-même qu’il y a des avancées, parce que la parole se libère pour parler des violences basées sur le genre, du sexisme au lieu de travail, du harcèlement moral qu’une femme peut subir. Ce sont autant de choses aujourd’hui sur lesquelles nous pouvons nous exprimer. Je pense que ça, c’est important. C’est déjà un bon point de départ. Mais, le combat reste encore à mener.

Guineematin.com : Vous vous êtes avocate et vous évolué dans un milieu fortement dominé par les hommes. Comment vous faites pour tirer votre épingle du jeu ?

Me Halimatou Camara : Pour s’en sortir dans la plupart des milieux, il faut rester soi-même. Il faut avoir des principes, des valeurs. On utilise les mêmes armes que nos collègues ou confrères hommes. Ce sont les mêmes textes de loi que nous utilisons sur les éléments. D’ailleurs en général, on dit qu’il n’y a pas de sexe sous la robe. Moi, je n’ai aucun problème en tant que femme d’être avocate. Je le fais en restant moi-même. En étant quelqu’un qui est très à cheval sur un certain nombre de principes, quelqu’un qui ne se laisse pas faire et quelqu’un qui peut avoir de la poigne. Quand il s’agit de taper sur la table, je peux taper sur la table et rester moi-même.

Guineematin.com : On vous voit très souvent dans des dossiers difficiles, notamment dans les cas de viol. Pourquoi vous êtes très combative sur ce plan ?

Me Halimatou Camara : Combattre le viol est une question complètement holistique. Il y a plusieurs niveaux. On se rend compte que nous avons plusieurs textes de loi, un Code pénal qui réprime le viol, qui considère le viol comme un crime. En tant que praticienne du droit, quand je me retrouve dans les juridictions, nous sommes confrontés à un certain nombre de situations, notamment le fait que pour la plus part des cas, les victimes désistent alors que c’est de leur plein droit de venir réclamer justice. D’autre part, on sent aussi une réticence même des magistrats à rendre le Droit tel qu’il le faudrait, même si tous les éléments de preuve sont réunis contre la personne au cours d’un procès. Il est incompréhensible qu’un mineur ou une mineure vienne ici au tribunal pour viol, que tous les éléments constitutifs de l’infraction soient là, qu’on ait des textes de loi qui disent que pour avoir violé un mineur ou une mineure on peut aller jusqu’à 10 ans ou 20 ans d’emprisonnement, et qu’on se retrouve finalement avec 2 ou 3 ans. C’est comme une claque à la figure de la victime. Et, quand c’est des infractions de vol à mains armées, on voit des réquisitions du ministère public allant jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle. Pourtant, le viol est un crime. Donc, il va falloir que dans le conscient et le subconscient même de ceux qui rendent justice nous nous rendions compte que le viol peut causer préjudices à la victime et que c’est à la justice d’être le bras armé dans la lutte contre les violences sexuelles. Mais, de l’autre côté aussi, il va falloir aller dans les familles et dire qu’il est impardonnable qu’un enfant soit violé et que ce n’est pas à cet enfant ou à cette fille, parce que le viol ne peut seulement que du côté des filles, d’avoir la honte. Cette honte doit changer de camp. Dans nos sociétés, je vois souvent des gens qui sont parties civiles dans les affaires de viol et ils te disent : moi je pardonne. C’est incompréhensif et il faut que nos mentalités changent.

Guineematin.com : Vous parlez de changement de mentalité ; mais, ce changement ne saurait s’opérer sans une bonne éducation. Et, à ce niveau ce n’est pas encore gagné. Alors, que dire de l’éducation des filles aujourd’hui dans notre pays ?

Me Halimatou Camara : Si moi je peux être avocate, si je peux plaider des dossiers et si je suis aujourd’hui ce que je suis et comme la plupart des femmes qui ont un certain parcours, c’est grâce à l’éducation. Il faut qu’on éduque et qu’on donne beaucoup plus de chance aux femmes d’aller à l’école, d’y rester et d’être diplômées. Qu’elles restent de plus en plus au niveau des instances de prise de décision pour que ce sentiment de d’inégalité soit complètement brisé.

Mamadou Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

Facebook Comments Box