Amadou Diouldé Diallo sur le régime Alpha Condé : « je n’enflamme pas, j’interpelle…»

Amadou Diouldé Diallo, journaliste et historien
Doyen Amadou Diouldé Diallo, journaliste et historien

Elhadj Amadou Diouldé Diallo n’a pas oublié les propos qu’il a tenu à la radio Lynx Fm le 21 janvier dernier. Il se souvient même des profondes motivations qui les justifient : « C’est la radicalisation du président de la République (Alpha Condé) depuis 2010 sur la communauté peule qui m’a inquiété et interpellé. On a stigmatisé cette communauté, on a instauré le Manding-Djallon et il y a eu des émeutes à Diarè (Mamou), à Lélouma (…) entre les Roundés et les Missidés. Il y a même eu l’union nationale des roundés pour faire exploser le Foutah. Le président Alpha Condé a dit que les peulhs sont des punaises et des poux… », a notamment dit le célèbre journaliste et historien à la barre.

Jugé le mardi dernier au tribunal de première instance de Dixinn, cette icône de la presse guinéenne a encore dénoncé : « Aujourd’hui, tous les gens qui insultent, qui stigmatisent les peulhs sur les réseaux sociaux sont reçus le lendemain à Sékhoutouréyah. Certains d’entre eux ont même des gardes du corps, des bérets rouges. Vous êtes d’accord avec moi que toutes les victimes qui ont été tuées à Bambéto, Cosa, Wanindara ont quasiment le même patronyme, ils sont de la même communauté, la communauté peule… C’est cette radicalisation qui m’a amené à dire que le président veut exterminer les peulhs. Parce que quand il y a une progression comme ça, c’est inquiétant. Je ne suis pas ethno ; mais, j’essaie d’interpeller au mieux que je peux sur les dangers de la frustration, de la stigmatisation. Je ne suis pas dans la logique de division, d’offense, d’attaque qu’on me prête… ».

Guineematin.com vous propose, ci-dessous, le film de ce procès :

Poursuivi pour « offense au chef de l’Etat », le célèbre journaliste sportif et historien guinéen, Amadou Diouldé Diallo, a comparu le mardi dernier, 13 avril 2021, devant le tribunal correctionnel de Dixinn. A la barre, le journaliste d’une soixantaine d’années a assumé sans complaisance les propos qu’il a tenus le 21 janvier dernier sur les ondes de la radio Lynx Fm et qui lui ont valu les ennuies judiciaires. Apparemment, ses 46 jours de détention à la maison centrale de Conakry n’ont pas réussi à lui faire changer de cap pour espérer une quelconque clémence dans cette affaire. Cependant, il a plaidé non coupable du délit d’offense au président Alpha Condé qui pèse à son encontre, rapporte un journaliste de Guineematin.com qui a suivi ce procès.

C’est peu avant 10 heures 15’ que le procès de ce professionnel de médias a démarré au tribunal de Dixinn. Bien qu’éprouvé par la maladie (surtout depuis son emprisonnement), Amadou Diouldé Diallo est apparu solide et prêt à répondre des faits qu’on lui reproche. Et, à l’appel du juge Aboubacar Mafering Camara, il a tout de suite répondu présent depuis le box des prévenus où il avait pris place.

– « Venez à la barre ! » lui ordonne le juge audiencier.

Vêtu d’une chemise bleue ciel et d’un pantalon noir, le masque tenu par la main gauche, le journaliste et historien guinéen a avancé avec courage et sérénité pour faire face à la réalité du jour (son jugement dans cette fameuse affaire où il est accusé au président Alpha Condé).

  • « Avez-vous un avocat ? », demande le tribunal.
  • « Oui, j’ai des avocats ; et, ils sont là », répond sèchement le prévenu.

Et, le juge a pris le temps de vérifier quelques formalités liées à la constitution des avocats de la défense avant de faire remarquer que ce sont seulement quatre (4) qui ont déposé leurs timbres. Aboubacar Mafering Camara précise que ce sont ces quatre avocats là seulement (parmi les membres du collectif d’avocats qui étaient autour du prévenu) qui sont autorisés d’intervenir dans cette affaire. Ensuite, il procède très vite à l’identification du prévenu, lui notifie les charges qui pèsent contre lui, en demandant : « reconnaissez-vous les faits ? »

  • « Non, je ne reconnais pas », répond Amadou Diouldé Diallo.
  • Et, le tribunal d’ordonner : « dites-nous alors pourquoi vous êtes ici ! »

Comme un maitre qui parle à son élève assis sur le banc, Elhadj Amadou Diouldé Diallo (qui était jusque-là droit débout) se penchent un peu en avant vers le juge et commence sa déposition.

Elhadj Amadou Diouldé Diallo, journaliste et historien

« Bien ! C’est la radicalisation du président de la République (Alpha Condé) depuis 2010 sur la communauté peule qui m’a inquiété et interpellé. On a stigmatisé cette communauté, on a instauré le Manding-Djallon et il y a eu des émeutes à Diarè (Mamou), à Lélouma (…) entre les Roundés et les Missidés. Il y a même eu l’union nationale des roundés pour faire exploser le Foutah. Le président Alpha Condé a dit que les peulhs sont des punaises et des poux. Il (Alpha Condé) a dit aussi que la Guinée appartient aux soussous, aux malinkés et aux forestiers. Quand il (Alpha Condé) est venu au pouvoir en 2010, il a dit qu’il donne la primature à la Basse Côte, l’Assemblée nationale à la Forêt et bien entendu l’exécutif (le pouvoir) à la Haute Guinée. Il a exclu le Foutah. Il pouvait nommer les gens qu’il voulait, mais il ne devait pas dire publiquement son partage de la Guinée qui est un signe d’exclusion des peulhs de la communauté nationale. Alpha Condé a dit ici publiquement que Cellou (le leader de l’UFDG, la principale formation politique d’opposition en Guinée) est le candidat du Foutah. Or, Cellou ne peut pas être un candidat du Foutah, mais de la Guinée ; puisque le Foutah n’est pas un pays… Aujourd’hui, tous les gens qui insultent, qui stigmatisent les peulhs sur les réseaux sociaux sont reçus le lendemain à Sékhoutouréyah. Certains d’entre eux ont même des gardes du corps, des bérets rouges. Vous êtes d’accord avec moi que toutes les victimes qui ont été tuées à Bambéto, Cosa, Wanindara ont quasiment le même patronyme, ils sont de la même communauté, la communauté peule… C’est cette radicalisation qui m’a amené à dire que le président veut exterminer les peulhs. Parce que quand il y a une progression comme ça, c’est inquiétant. Je ne suis pas ethno ; mais, j’essaie d’interpeller au mieux que je peux sur les dangers de la frustration, de la stigmatisation. Je ne suis pas dans la logique de division, d’offense, d’attaque qu’on me prête. Pour preuve, quand il y a eu le problème à Kindia, j’ai dit que le Foutah n’a pas raison, je suis allé présenter des excuses à Elhadj Mamoudou. Donc, je ne suis pas ethno ; mais, je suis du côté de la vérité », a notamment indiqué Amadou Diouldé Diallo avec une bonne dose d’histoire et de sociologie de la Guinée.

« Vous êtes un éminent historien et vous venez de le démontrer ici », admet le juge Aboubacar Maféring Camara sous le regard répressif du ministère public. Ensuite, il informe que la HAC (Haute Autorité de la Communication) a fait une transcription des propos tenus par le prévenu à la radio Lynx Fm à la date du 21 janvier dernier et qui ont conduit à son interpellation. D’ailleurs, le juge prendra le temps de lire cette transcription pour confondre le prévenu qui continue de réfuter le délit d’offense au chef de l’Etat qui lui est reproché. Et, à la suite de cette lecture, Amadou Diouldé Diallo a assumé les propos qui lui sont attribués dans cette pièce versée au dossier de la procédure. Cependant, il a assuré que ces propos n’ont rien d’offensant en vers le président de la République.

« Moi, j’alerte, je n’enflamme pas. Je suis un pompier et non un metteur de feu », a martelé le journaliste.

Et, le ministère public d’affirmer et de questionner : « il n’y a pas un problème peulh. Il y a des difficultés un peu partout dans notre communauté nationale. Mais, pourquoi vous avez donné une connotation ethnique à la fermeture des frontières, qui relève pourtant d’une question de sécurité ? »

En historien aguerri, Amadou Diouldé Diallo s’emploiera alors à expliquer la sociologie de la communauté peule avec des exemples pointus et largement partagés au sein de l’assistance. En tout cas, beaucoup dans la salle d’audience ont remué la tête en signe d’approbation. Et il finira par déclarer : « à ce que je sache, il n’y a pas eu d’attaques djihadistes au Sénégal et en Guinée Bissau. Je ne vois pas de raison pour qu’on ferme la frontière si ce n’est pour agenouiller le Foutah (dont les fils sont majoritaires dans le commerce en Guinée) ».

Seulement, pour le procureur Sidy Soulemane N’Diaye, le prévenu a fait « un rapprochement intolérable ». En ôtant et remettant ses lunettes au nez par moment, le parquetier a aussi qualifié de « trouble à l’ordre public » les propos de Amadou Diouldé Diallo.

« Quand on parle d’extermination, c’est le summum de la violence. En parlant de l’origine ethnique des actuels présidents du Sénégal et de la Guinée Bissau et du Vice-président de la Sierra Leone, et liée cela à la fermeture des frontières, vous avez offensé le président Alpha Condé… Vos propos visent à distendre le tissu social et à opposer les Guinéens. Vous avez fait un rapprochement intolérable », a dit le procureur Sidy Souleymane N’Diaye.

Face à la véhémence des propos du parquet qui condamne son client avant même la fin du procès, Me Mohamed Traoré s’est vu dans le droit de répliquer. « A Dixinn, c’est une question de poursuite, de surdité et de cécité sélective. Le parquet ne voit que ce qu’il veut voir et il choisit ceux qu’il doit poursuivre. C’est grave ! Sinon, le parquet aurait aussi interpellé le chef de file de l’opposition (Elhadj Mamadou Sylla) qui a dit récemment que le président Alpha Condé n’avait jamais géré même un quartier… Mais, le parquet choisi, en tordant le cou au Droit, les personnes qu’il poursuit », a dénoncé Me Traoré.

Après cette intervention de la défense, le juge a repris la parole pour annoncer la clôture des débats et l’ouverture des réquisitions et plaidoiries. Il a ensuite donné la parole au ministère public pour requérir. Et, le procureur Sidy Souleymane N’Diaye, ouvre avec cette épreuve fatidique qu’il adule dans le procès pénal. Il a fait une heure et quinze minutes de gymnastique verbale pour tenter de convaincre le tribunal de la culpabilité du prévenu dans cette affaire. Il finira par demander la condamnation du journaliste et historien, Amadou Diouldé Diallo, à une peine pécuniaire de cinq millions de francs guinéens.

« Les propos tenus par Amadou Diouldé Diallo sont vraiment graves. Ils ont porté atteinte à l’honneur de la fonction que le peuple de Guinée a investi au président Alpha Condé… Dire qu’il (Alpha Condé) veut exterminer les peulhs, c’est créer un sentiment de frustration, ça crée une psychose dans ce pays… C’est pourquoi, nous demandons au tribunal de retenir Amadou Diouldé Diallo dans les liens de la prévention et le déclarer coupable du délit d’offense au chef de l’État. Et, pour la répression, le condamner à la peine d’amende de cinq millions de francs guinéens », a requis le procureur Sidy Souleymane N’Diaye.

De leur côté, les avocats de la défense ont plaidé non coupables. Ils ont ensuite tenté de démonter les arguments du ministère public pour enfin plaider pour le renvoi d’Amadou Diouldé Diallo des fins de la poursuite.

«Nous (avocats de la défense) vous (le tribunal) prions de mettre le dossier en délibéré et de le vider sur siège pour permettre à notre client de rentrer chez lui. Mais, si par extraordinaire vous devez renvoyer cette affaire à une date ultérieure, nous vous prions de libérer notre client, le mettre à notre disposition, en attendant votre décision », a plaidé Me Alsény Aïssata Diallo, au nom des avocats de la défense.

Immédiatement, le procureur Sidy Souleymane N’Diaye a répliqué en exprimant son opposition à cette demande de la défense. Pire, il sollicite un renvoi d’audience de trois semaines et le renvoi du prévenu en prison.

« Intolérable », jugent les avocats de la défense. A tour de rôle, ils s’attaquent au parquet qu’ils qualifient de tous les noms d’oiseaux. Mais, finalement, le tribunal reprendra la parole pour annoncer le « rejet » de la demande des avocats de la défense. Il a mis le dossier en délibéré pour décision être rendue le 28 avril prochain. Amadou Diouldé Diallo a donc été renvoyé en prison, alors que la peine encourue n’est que pécuniaire ! Une autre réalité des tribunaux du régime Alpha Condé.

Mamadou Baïlo Keïta pour Guineematin.com

Facebook Comments Box