Al-istissinaa : un instrument efficace pour la promotion et le développement des écoles professionnelles guinéennes

Adama BERETE, Spécialiste en management des entreprises organisations, chargé de cours de l'économie islamique à l'Université Al-Eamar de Guinée

LA FINANCE ISLAMIQUE AU SERVICE DES ECOLES PROFESSIONNELLES

Adama BERETE, Spécialiste en management des entreprises organisations, chargé de cours de l’économie islamique à l’Université Al-Eamar de Guinée

Libre Opinion : En Finance islamique (participative) le travail licite est l’un des moyens d’acquisition légale des propriétés. Ce travail doit être bien fait. Le prophète (PSL) dit : Allah le plus haut aime quand quelqu’un d’entre vous fait un travail qu’il le fasse bien (Pr. Wahaba zouhaily, 2002 ; p139). La formation solide est l’un des outils le plus sûr qui permet à l’Homme de bien s’acquitter de ses devoirs.

C’est pourquoi, le premier verset du Saint Coran révélé au Prophète (PSL) est « lis au nom de ton seigneur qui a créé » (Sourate Al-Alaq, verset 1). Aussi, le Prophète a demandé à certains prisonniers mécréants issus de la guerre sainte « Al-badr » d’apprendre aux enfants musulmans à lire et à écrire, en contrepartie de leur libération (Dr Houssine Cheurfa ; juin 2017 ; p.92).

Pour que la formation porte ses fruits, elle doit être en adéquation avec l’environnement économique et social. Aussi, le suivi du degré de son assimilation par les apprenants ne doit pas seulement être basé sur les connaissances théoriques, un accent particulier doit être mis sur les pratiques (leurs savoir-faire et savoir-être).

Un proverbe chinois dit : ce que j’entends, je l’oublie ; ce que je vois, je m’ensouviens ; ce que je fais, je le comprends (http://peresblancs.org/formation_professionnelle_afrique.htm, 04/12/2020 ; 8h4).

En République de Guinée, l’enseignement technique et la formation professionnelle (ETFP) constituent l’une des priorités affichées du Gouvernement. Il a pour vocation essentielle de fournir au marché de l’emploi des agents qualifiés et compétents, grâce à la formation initiale, la formation continue, un apprentissage modernisé et performant, l’appui au secteur informel. A ce titre, l’ETFP est déclaré deuxième priorité après l’éducation de base élargie au premier cycle du secondaire (« 2020 – 2029 » ; version 03 octobre 2019 ; p.26).

Mais ce secteur est confronté entre autres, l’implication trop limitée du secteur économique privé, au financement insuffisant et peu diversifié de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, à une faible capacité pour la mise en œuvre d’une gouvernance partenariale (multi-acteurs et multi-niveaux) du dispositif de l’enseignement technique et de la formation professionnelle et à la difficile insertion des diplômés.

La difficile insertion des diplômés pourrait être due d’un côté à une faible adéquation des formations par rapport aux besoins socio- économiques du pays et au manque de l’expérience dû à l’insuffisance des formations pratiques d’autre côté. Aussi, elle pourrait s’expliquer par leur inaccessibilité aux sources de financement leurs permettant d’acquérir les instruments de travail, de surcroît créer leur propre structure.

Pour remédier à ces lacunes, le Gouvernement a projeté un Programme Décennal de l’Education en Guinée, qui a pour principale stratégie, l’identification des besoins du marché d’emploi et l’adaptation des formations techniques à ces derniers, (« 2020 – 2029 » ; version 03 octobre 2019 ; p.50). A mon humble avis, ce programme ambitieux du Gouvernement mérite d’être amendé.

En effet, à la lecture de ce programme, on se rend compte que la stratégie de concomitance des formations théoriques et pratiques durant les années scolaires » n’y figure pas, surtout pour les apprenants de la dernière année. Alors que les écoles professionnelles devraient se distinguer des autres établissements de formation par la prédominance des pratiques en leur sein. Pour ces pratiques, les opportunités ne manquent pas. C’est la stratégie cohérente et réaliste qui fait défaut.

En matière d’opportunités par exemple, on a l’existence d’appuis des partenaires de la Guinée dans la construction, reconstruction et/ou réhabilitation des établissements de l’enseignement Guinéen. Pour rappel, selon un rapport d’étude préparatoire élaboré par l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA) et relatif au projet de construction d’écoles primaires et de collèges en zones urbaines phase II en République de Guinée, 4 464 tables-bancs devraient être fabriqués pour certaines écoles de la ville de Conakry.

En plus de ces tables-bancs, le projet incluait 19 salles de classe, 41 latrines, 8 blocs administratifs, 186 bureaux classes, 1 305 portails et autres mobiliers scolaires (JICA, octobre 2017, p.8).

A l’analyse des composantes de ce projet, il ressort que pour sa réalisation il fallait au moins des maçons, menuisiers, électriciens, plombiers, peintres, carreleurs, et ferrailleurs. Or tous ces métiers sont enseignés dans les écoles professionnelles guinéennes. C’est pourquoi l’implication des apprenants dans ces genres de projets leur permettrait de lier les théories à la pratique et de faciliter leur insertion socio-économique.

A cet effet, l’Etat guinéen peut utiliser le produit financier islamique « Al-istissinaa ». Mais qu’est-ce qu’Al-istissinaa ? Comment fonctionne-t-il ? Comment l’Etat guinéen peut-il l’utiliser ? Et quels seront ses avantages pour l’Etat et les apprenants ?

Qu’est-ce qu’Al-istissinaa ?

Al-istissinaa est un contrat passé entre le fabriquant et l’acheteur à terme afin de fabriquer pour ce dernier un objet avec les caractéristiques connues, un prix déterminé et les matières primaires fournies par fabriquant (Pr. Wahaba zouhaily, 2002 ; p303). Pour Professeur Munzir Quahf (2011 ; p.102), Al-istissinaa est un contrat de financement comme le contrat « Al-salam », sauf que pour le premier, le paiement immédiat du prix à la signature du contrat n’est pas obligatoire et l’objet du contrat ne doit concerner que les choses à fabriquer.

Comment fonctionne-t-il ?

A travers le contrat écrit entre le fabriquant et le demandeur (l’acheteur) de l’objet :

· Le fabriquant (vendeur à terme) et le demandeur (l’acheteur à terme et/ou au comptant) s’accordent sur les caractéristiques et le prix de l’objet à fabriquer et sa date de livraison ;

· Le fabriquant fournit les matières premières ;

· L’acheteur peut payer la totalité ou une partie du montant ou le différer suivant le contrat après sa signature ;

· Le fabriquant (le vendeur) livre l’objet conformément aux clauses du contrat.

Comment l’Etat guinéen peut-il l’utiliser pour qualifier la formation professionnelle ?

Il n’est secret pour les Hommes avertis que les sortants des institutions guinéennes de l’enseignement (professionnelles y compris) sont plus théoriciens que praticiens, faute de non concomitance des formations théoriques et des travaux pratiques réels sur le terrain (même pour un stage pratique), chose qui rend difficile leur insertion socio-économique.

Je pense que cette situation pourrait être corrigée si l’Etat mettait en place une politique permettant aux écoles professionnelles d’avoir accès aux marchés de rénovation et de réhabilitation des locaux administratifs régionaux et les écoles publiques au travers Al-istissinaa comme suit :

· Encourager la création des groupes de projet dans les écoles professionnelles composés des apprenants et des enseignants de la dernière année et par spécialité interdépendante dans chaque région administrative ;

· Faciliter l’accès aux marchés publics locaux à ces groupes de projet, en leurs assouplissant les conditions d’éligibilité stipulées à l’article 10 du code des marchés publics de 2013, notamment aspect « ressources humaines, capacités techniques et financières nécessaires à l’exécution d’un marché public » et les conditions relatives à la fourniture d’une garantie exigées à l’article 53 du même code.

Aussi, prendre en compte la situation économique des groupes de projet en allotissant des marchés en plusieurs lots pour des raisons économiques, financières ou techniques afin de leurs attribuer des unités autonomes séparément suivant le même code des marchés publics notamment à sa page 6.

· Préfinancer les groupes de projet adjudicataires du marché.

· Préciser la clé de répartition des gains tirés des contrats réalisés entre les apprenants, les encadreurs et l’école.

Quelques avantages de l’accès des groupes de projet dans les écoles professionnelles aux marchés publics.

L’accès des groupes de projet dans les écoles professionnelles au marchés publics à travers le contrat « Al-istissinaa » sont énormes tant pour l’Etat que pour les apprenants et leurs encadreurs.

Pour l’Etat guinéen, ce contrat lui permettra de qualifier davantage la formation professionnelle à l’aide de la concomitance des formations théoriques et pratiques réelles sur le terrain. De même, il aidera le Gouvernement à promouvoir les apprenants sortants des établissements techniques et professionnels et à favoriser leur employabilité.

Pour les apprenants, la réalisation de ces genres de contrats enrichit leurs compétences et leurs apporte au moins le capital minimum pour leur auto-emploi.

En ce qui concerne les encadreurs, les retombées de ces contrats peuvent leur permettre d’améliorer les conditions d’apprentissage, de surcroît, d’attirer un bon nombre des bacheliers vers les écoles techniques et professionnels.

Mais est-ce que les décideurs guinéens se serviront-ils d’« Al-istissinaa » pour promouvoir et développer les établissements d’enseignements techniques et professionnels afin de faciliter l’insertion socio-économique des jeunes guinéens ?

Ecrit par : Adama BERETE
Spécialiste en management des entreprises et des organisations, chargé de cours de l’économie islamique à l’Université Al-Eamar de Guinée et Trésorier Général de l’Association Guinéenne pour la promotion de la Finance Islamique (AGFI)

Tel 🙁 +224) 622 99 49 12/662 62 21 01

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