Guinée : voici pourquoi les huissiers de justice sont partis en grève

Me Sory Daouda Camara, président de la chambre nationale des huissiers de justice de Guinée
Me Sory Daouda Camara, président de la chambre nationale des huissiers de justice de Guinée

Arrêt total des travaux des huissiers de justice de Guinée. Depuis le 12 avril dernier, ces auxiliaires de justice ont entamé une grève générale et illimitée sur toute l’étendue du territoire nationale. Ils protestent ainsi contre le refus du procureur général de délivrer des réquisitions aux forces de sécurité (gendarmes et policiers) pour que celles-ci prêtent main-forte aux cabinets d’huissiers dans l’exécution des décisions de justice, a appris Guineematin.com à travers un de ses reporters.

Ce n’est pas la première fois que les huissiers de justice vont en grève pour dénoncer les difficultés qu’ils ont à faire exécuter les décisions. Mais, cette fois-ci, ils tiennent à aller jusqu’au bout pour obtenir « un règlement durable » de cette situation. D’ailleurs, ils demandent l’abrogation de la réquisition, conformément au traité de l’OHADA. Car, à en croire Me Sory Daouda Camara, le président de la chambre nationale des huissiers de justice de Guinée, la formule qui consiste à délivrer des réquisitions aux huissiers de justice est devenue une pratique sans laquelle aucune exécution forcée n’est possible.

« Depuis l’entrée en vigueur du traité de l’OHADA en Guinée, dans les conditions normales, c’est ce texte majeur qui devrait s’appliquer. Mais, il se trouve qu’en Guinée, la formule qui consiste à délivrer des réquisitions aux huissiers de justice est devenue une pratique sans laquelle aucune exécution forcée n’est désormais possible. Parce que la force publique, que ce soit la gendarmerie ou la police, ne bouge en aucun cas, sans que cette réquisition ne soit versée au dossier. Ce qui veut dire que sans réquisition, vous n’avez pas l’assistance de la force publique.

Nous avons accepté cet état de fait jusqu’au moment où le procureur général aussi reçoit l’interdiction formelle de nous délivrer ces réquisitions. Nous avons dit que nous n’avons pas compris. Il nous a dit non, on est dans l’espace OHADA, et l’OHADA voudrait que vous exécutiez les décisions, sans réquisition. Parce qu’il est dit dans l’article 29 de l’acte uniforme portant procédé simplifié de recours par voie d’exécution, que la mention exécutoire apposée au bas des décisions de justice vaut réquisition directe de la force publique.

Nous avons dit d’accord, mais puisque dans la pratique chez nous la force publique n’est mise en mouvement qu’à travers cette réquisition, si nous devons abandonner cette pratique, faites appel aux services de sécurité concernés pour un entretien, on va faire une table ronde pour que tout le monde soit informé que désormais une réquisition n’a plus son sens dans une procédure d’exécution. Cette réunion a été programmée plusieurs fois sans jamais se tenir. Donc, nous n’avons ni la réunion, encore moins un écrit qu’il aurait pu adresser aux services de sécurité pour leur dire qu’elles n’ont désormais pas besoin d’une quelconque réquisition pour prêter main-forte à un cabinet d’huissier de justice », a confié Me Sory Daouda Camara.

Il ajoute que c’est le président Alpha Condé en personne qui aurait instruit le procureur général de ne plus délivrer des réquisitions pour l’exécution des décisions de justice. « Ce qui est encore regrettable, l’instruction aurait été donnée à M. le procureur général, ce n’est pas de son vouloir de refuser de nous donner des réquisitions. Mais, selon ses dires, il aurait reçu des instructions de la plus haute autorité du pays de ne plus délivrer de réquisitions aux huissiers de justice pour procéder à l’exécution forcée des décisions de déguerpissement et d’expulsion. On a dit qu’on ne comprend pas, parce que cette plus haute autorité est le premier exécutant, nous tenons cette mission de lui.

Le pouvoir d’exécution des décisions de justice appartient au pouvoir exécutif. Et le premier exécutant, c’est le président de la République… Donc, nous n’avons qu’une mission de concession de service public. Ce n’est pas nous qui exécutons. On le fait au nom du peuple de Guinée. Donc, il n’y a pas de raison que des décisions soient rendues, qu’il y ait à côté des officiers publics et ministériels que sont les huissiers de justice dont la mission principale est l’exécution des décisions de justice, mais qui sont finalement inopérants…

Mais, au-delà de cette instruction donnée au procureur général, plusieurs cabinets d’huissiers de justice détiennent déjà des réquisitions auparavant signées, donc en phase d’être exécutées. Mais, les autorités de la gendarmerie et de la police nous déclarent à leur tour avoir reçu des instructions de la plus haute autorité à ne plus prêter leur concours à l’exécution des décisions de justice. On est vraiment embarrassés, on est perplexes et on ne sait pas par où donner la tête », a dit le président de la chambre nationale des huissiers de justice de Guinée.

Face à cette situation, un couloir de négociation est déjà ouvert entre la chambre nationale des huissiers et le ministère de la justice. Mais, selon Me Sory Daouda Camara, le ministère cherche tout simplement à les contenter en esquivant le fond du problème.

« Ce n’est pas la première fois que nous débrayons pour cette même question. Mais, cette fois-ci, nous tenons à un règlement durable. Nous voudrions désormais que la réquisition soit abrogée conformément au traité de l’OHADA. Ensuite, que les forces de sécurité (gendarmerie et la police) reprennent à prêter leur concours. Que ces forces soient désormais autorisées à accompagner, à assister les huissiers de justice dans le cadre de la mise en exécution forcée des décisions d’expulsion et de déguerpissement, toutes les fois que les huissiers concernés sont munis d’un fond de dossier complet avec une décision de jugement ou arrêt revêtus de la mention exécutoire… Il y a un couloir de négociation avec le ministère de la justice, mais la manière dont ils souhaitent que la question se règle, je ne suis pas favorable. Parce qu’ils voudraient qu’on procède comme on a l’habitude de le faire.

C’est-à-dire, nous tenir des promesses et amener le procureur à signer pour un petit temps, et deux mois après, on suspend. Nous ne voudrions pas ça cette année. Nous voulons avoir une solution durable. Nous voulons que quand l’exécution reprend, autant que les juridictions continuent à rendre des décisions, autant que les huissiers devraient continuer à exécuter eux aussi les décisions de justice rendues. Sinon nous continuons notre grève pour une durée illimitée et sur toute l’étendue du territoire national », a laissé entendre Me Camara.

Saïdou Hady Diallo pour Guineematin.com

Tel: 620589527/664413227

Facebook Comments Box