Dubréka : les séquelles du « déguerpissement sauvage » chez les populations (reportage)

Il y a un peu plus d’un mois (le 10 mars 2021) les bulldozers du ministère de la ville et de l’aménagement du territoire faisaient leur entrée dans la ville de Dubréka pour « dégager les emprises » de la route. Mais, contre toute attente, cette opération de dégagement d’encombrants physiques sur la route a viré une destruction massive de boutique et autres auxiliaires de commerces, de garage mécanique, d’ateliers de couture et même de maisons d’habitation.

Cette opération bulldozer conduite par le ministre Ibrahima Kourouma a semé la désolation dans cette ville. Elle a fait de Dubréka un champ de ruine, en dépit des pleures et lamentations des pauvres populations qui vivaient cette destruction dans leur chaire.

Nêné Mariama Barry

« Même une armée d’occupation n’aurait pas fait pire », avait commenté un leader politique qui est allé voir les décombres des bâtiments qui ont subi la fureur des bulldozers. Aujourd’hui, les plaies de cette destruction démesurée sont très fraiches chez les victimes. La douleur est toujours intense et les séquelles se font sentir chaque jour. Plusieurs commerçants et hommes de métier qui ont été déguerpis dans cette sombre affaire de libération des emprises de la route (dans la mesure où le Premier ministre Kassory Fofana a dit que ni lui, ni le président Alpha Condé n’a donné l’ordre pour cette destruction) peinent à se reconstruire. Ils arrivent à peine à trouver de nouvelles places dans la ville. Et, ceux parmi eux qui trouvent quelques mètres carrés (m²) pour s’installer ont du mal à faire bouger leurs affaires. Les clients ne se bousculent pas devant leurs portes et leurs revenus ont drastiquement baissé. La vie est devenue dure et ils sont presque asphyxiés par le quotidien. C’est le cas chez cette mère de famille, Nènè Mariama Barry, qui a été déguerpie du Km5 où elle tenait une boutique.

« Nous avons des enfants ; et, c’est grâce à nos petites boutiques qu’on arrivait à les nourrir. Mais, depuis que le président a ordonné de saccager toutes les boutiques, ateliers et maisons qui se trouvaient au bord de la route, rien ne marche chez nous. Nous sommes dans les quartiers avec les petites marchandises sans clients. Si quelqu’un vous dit que ça va à Dubréka, c’est faux. Rien ne va ici. Tous les gens qu’on a déguerpi au bord de la route sont aujourd’hui dans les quartiers avec leurs marchandises. Et, difficilement on gagne de clients. L’état doit vraiment penser à la population, parce que les gens souffrent beaucoup aujourd’hui », se plaint-elle au micro au micro de Guineematin.com ce mercredi, 21 avril 2021.

Bienvenu Lamah, mécanicien

Avec douze (12) bouches à nourrir, ce mécanicien, Bienvenu Lamah, peine encore à trouver une place pour installer son garage. Actuellement, il travaille sous le soleil, mais les clients se font très rares. Sa vie a été bouleversée par ce déguerpissement ; et, il se demande aujourd’hui comment faire pour joindre les deux bouts.

« Depuis que le gouvernement nous a déguerpi, rien ne marche. Et, ce qui m’a surpris dans ce déguerpissement c’est la manière dont-ils ont fait chez nous. Parce que mon conteneur se trouvait derrière la distance de 15 mètres dont qu’ils avaient besoin. Mais, à mon fort étonnement, le jour des opérations ils n’ont épargné ni ma boutique, ni mon atelier. Et, depuis ce jour, nous travaillons sous le soleil ; parce qu’il est très difficile de trouver un endroit approprié pour se réinstaller. Ce n’est pas un seul ouvrier qu’on a délogé, mais tout le monde. Tous les garages, boutiques et ateliers de Dubréka se trouvaient au bord de la route. Il y avait des hangars qui étaient installés pour les ouvriers ; mais, aujourd’hui tout a disparu dans ce déguerpissement. Et, nous n’avons plus d’espoir d’avoir un lieu pour continuer notre petit commerce et installer mon garage. Personnellement, j’ai douze (12) bouches à nourrir, sans compter les frais de loyers et les dépenses imprévus. Actuellement, ma famille souffre beaucoup, difficilement on gagne à manger », a confié ce père de famille.

Tout comme ce mécanicien, cet enseignant chercheur, Alseny Soumah, qui fait le commerce (parallèlement à sa profession d’enseignant) est encore à la quête d’un endroit pour installer son petit conteneur. Mais, pour le moment, les efforts n’ont rien donné encore.

Alseny Soumah

« Ce déguerpissement dans la préfecture de Dubréka a laissé des conséquences néfastes. Moi-même j’ai été victime, je détenais une boutique au bord de la route et jusqu’à présent je n’arrive pas à avoir un autre lieu pour m’installer à nouveau. Aujourd’hui cela joue sur mon économie ; parce qu’après l’école, je venais rester dans ma boutique pour faire mon petit négoce. Et, maintenant que je suis délogé, où je vais aller pour installer mon conteneur ? Chaque fois mes clients me demandent où je vends maintenant. Et, jusqu’à présent je suis à la recherche d’un local pour m’installer. Ces opérations de déguerpissement ont tourné très mal les choses chez moi. Je suis vraiment désespéré et j’ai perdu beaucoup de clients du faite que je ne vends plus dans la boutique. Et, ma crainte est que si je gagne un autre lieu pour installer ma boutique à nouveau est-ce que j’aurais de clients comme avant. Là où je suis actuellement, ça fait plus d’un mois maintenant que je suis assis sans vendre mes produits. Normalement, l’Etat devrait venir en aide aux victimes, parce qu’il ne pourra pas employer tout le monde. Quand on prend plus de cent jeunes commerçants dans le grand Conakry, vous verrez que la majorité c’est des diplômés sans emploi. Parce que la majeure partie des jeunes avaient créé des petites et moyennes entreprises pour se débrouiller, afin de gagner leur pain quotidien. Actuellement, ils sont nombreux ces jeunes dont leurs lieux de négoce ont été saccagés », a indiqué Alseny Soumah avec un ton qui laisse facilement entrevoir sa désolation.

Pour l’instant le dénominateur commun de toutes les victimes de ce déguerpissement est la souffrance. « Ça ne va pas, nous souffrons, il n’y a pas de clients », est l’expression qu’elles ont toutes sur les lèvres. Et, Amadou Sow, commerçant, ne fait pas l’exception. Ses affaires s’effondrent depuis qu’il a quitté les abords de la route.

« Nous sommes actuellement devant une situation très difficile. Parce que depuis ce déguerpissement les affaires ne marchent plus comme avant. On vendait au bord de la route et ce commerce nous permettait d’assurer nos petites dépenses journalières. Et, maintenant nous nous sommes retrouvés dans les quartiers. Comment allons-nous faire pour s’en sortir ? J’ai eu de la place dans le quartier, mais c’est rare de trouver des clients. Il est très difficile pour nous d’avoir même 50.000 francs ici. Nous avons perdu beaucoup de nos clients. L’avantage qu’on avait au bord de la route, c’est que là-bas même les passants pouvaient garer pour acheter. Dans le quartier ici, à partir de quelques voisins, rien ne marche. Ce n’est pas facile maintenant pour nous d’avoir même le prix de la dépense journalière. Nous souffrons énormément à l’heure-là », confie-t-il avec angoisse et exaspération.

De Dubréka, Foko Millimono pour Guineematin.com

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