Souleymane Camara sur les MGF en Guinée : « en 5 ans on a pu faire décroitre le taux de 97 à 95% »

Souleymane Camara, point focal Mutilations génitales féminines (MGF) au ministère des Droits et de l’Autonomisation des Femmes
Souleymane Camara, point focal Mutilations génitales féminines (MGF) au ministère des Droits et de l’Autonomisation des Femmes

Malgré les efforts fournis par les autorités publics, les ONG et les partenaires techniques et financiers, les mutilations génitales féminines (MGF) constituent toujours un phénomène de société très rependu en Guinée. Les dernières statistiques font état d’un taux de prévalence de 95% en 2018, alors qu’en 2012 cette prévalence était à un taux de 97%. Pour parler de la persistance de ce « phénomène néfaste » qui touche toutes les régions de notre pays, un reporter de Guineematin.com est allé à la rencontre de monsieur Souleymane Camara, point focal Mutilations génitales féminines (MGF) à la Direction nationale du Genre et de l’Equité au ministère des Droits et de l’Autonomisation des femmes. Ce cadre note des avancées dans la lutte contre les MGF en Guinée, même s’il y a encore un très long chemin à parcourir pour arriver à bout de cette pratique fortement encrée dans la société.

Décryptage !

Guineematin.com : quel constat faites-vous des mutilations génitales féminines en Guinée ?

Souleymane Camara : le constat est que la Guinée a une prévalence nationale de 95%, mais il faut préciser que c’est un taux qui s’applique à la tranche d’âge de 15 à 49 ans. Par contre, la tranche d’âge de 0 à 14 ans, la prévalence est de 39%. Ce sont les chiffres de l’enquête démographique et de santé de 2018, donc la dernière enquête en date. Ce taux paraît excessif ; mais, j’avoue qu’il y a une diminution de la prévalence depuis 2012, parce qu’en 2012 on était à 97%. Donc, en 5 ans on a pu faire décroitre le taux de 97 à 95%. Ce qui explique qu’il y a eu beaucoup d’efforts dans ce sens, parce qu’il ne faut pas oublier que c’est un phénomène social qui habite tout le monde. L’exception guinéenne fait que toutes les régions administratives et les régions naturelles, toutes les ethnies, toutes les confessions religieuses pratiquent ou sont adeptes de la pratique de MGF. Comparativement à un pays comme le Niger où la prévalence aussi n’est pas très élevée sur le plan national, parce que le Niger est un grand pays ; mais, l’excision n’est observée que dans une seule région, vers le Sud du pays et où la prévalence frôle les 100%.  Mais, si on extrapole au niveau national, la prévalence va en deçà de 10%. Par contre, en Guinée, c’est tout le monde, qu’on soit chrétien ou musulman, de l’Est ou de l’Ouest, Nord ou bien du Sud. Tout le monde pratique l’excision. Donc, le constat chez nous est un peu amer ; mais, il y a des motifs de satisfaction parce que la prévalence est en baisse et il y a beaucoup d’efforts du côté du gouvernement et des partenaires pour amener les populations à comprendre et à abandonner cette pratique qui n’est que néfaste pour la santé et le bien-être de l’enfant, de la petite fille et de la femme.

Guineematin.com : vous parler d’un taux de prévalence excessif ; cependant, la Guinée est signataire d’un programme conjoint de lutte contre les mutilations génitales féminines. Dites-nous à quoi consiste ce programme et quels en sont ses points forts ?

Souleymane Camara : bien sûr que ce programme conjoint existe depuis 2008 dans 17 pays africains. C’est une initiative du secrétariat général des Nations-Unies implémentée dans 17 pays africains à forte prévalence sur les MGF. Depuis 2008, nous avons bénéficié de ce programme et Dieu seul sait que depuis là il y a eu du chemin qu’on a eu à parcourir. C’est un programme soutenu au départ par l’UNFPA à travers l’UNICEF qui est une agence spécialisée des Nations-Unies par rapport à ces thématiques des MGF. Par la suite, c’est devenu un programme national qui va au-delà du programme conjoint et qui associe tous les partenaires : que ce soit les partenaires sectoriels au niveau étatique, les agences du système des Nations-Unies, les organisations internationales mais aussi les organisations de la société civile. Aujourd’hui, tout le monde est ligué autour de ce programme national et il y a eu beaucoup d’avancées.

Avant la mise en place du programme conjoint, dans les interventions, chacun évoluait de façon un peu isolée. Il n’y avait pas de coordination ou de concertation, ni de stratégies conjointes. Donc, il a fallu le programme conjoint en 2008 pour qu’en 2012 déjà qu’on se positionne pour avoir une vue d’ensemble par rapport à cette thématique. Autrement dit, on a élaboré un plan stratégique, une vision parce que pour adresser un phénomène culturel, il faut évaluer, essayer de se projeter pour voir quels peuvent être nos objectifs. Un objectif général, puis des objectifs stratégiques avec un partenariat. C’est ainsi qu’on a défini les composantes de ce plan stratégique. En 2012, on était très volontaire parce qu’au regard de la prévalence, on a voulu en 5 ans de mise en œuvre du plan stratégique, diminuer de 40% la prévalence. Mais, c’était sans compter sur la survivance de pesanteurs socioculturelles. Après, en 2016 quand on a évalué, on a compris qu’il fallait revoir nos objectifs. Chemin faisant, c’est en 2018 que le plan stratégique qui a été mis en œuvre à travers des feuilles de route a été révisé avec un objectif atteignable. On s’est dit qu’on va essayer de diminuer la prévalence chez la tranche d’âge de 0 à 14 ans qui est la cible la plus exposée qui est de 45% à l’époque de 15%. Voilà l’objectif qu’on s’est fixé à travers la révision du plan stratégique national. Nous avons obtenu beaucoup de résultats tangibles. Sur le plan médical par exemple, il y a de plus en plus la médicalisation de  la pratique, parce qu’avant c’était dans la brousse, dans les cases d’initiation et c’était vraiment autour d’un rite qu’on regroupait les filles pour les faire subir l’excision. Mais, maintenant ce n’est plus le cas. Même à la naissance, on fait recours à un agent de santé. Donc, il y a de plus en plus la marque de la santé par rapport à cette excision. On s’est dit mais qu’est-ce qu’il faut par rapport à cela ? On a essayé d’intégrer la dimension MGF dans le programme de formation des écoles de santé, parce que la plus part des agents de santé qui pratiquent l’excision, c’est les matrones ou les sages-femmes. Puisqu’elles sont sorties des écoles de la santé il faut donc introduire la dimension des MGF et la prise en charge liée aux complications de MGF dans les écoles de santé. On en a fait un module qui se trouve dans 8 écoles de la santé, sans compter que nous sommes en collaboration avec l’association des sages-femmes, le ministère de la santé pour beaucoup plus de conscientisation, de plaidoyer, pour que ces sages-femmes abandonnent la pratique dans les structures sanitaires. Il y a un arrêté signé par le ministre de la santé qui interdit la pratique médicalisée des MGF dans notre pays. A côté de cela, il y a un autre résultat très significatif avec l’implication des religieux qui nous accompagnent, parce qu’on pense que cette pratique a une dimension religieuse et que c’est la religion qui le recommande. Ce n’est pas vrai. Les religieux eux-mêmes ont pris un acte pour faire la démarcation entre la pratique de l’excision et la religion musulmane. Ils sont allés plus loin pour élaborer une intervention spécifique des religieux à l’image du plan stratégique par rapport à leur implication dans la lutte contre la pratique des MGF en Guinée. Au niveau de l’éducation aussi, on a fait des modules sur les violences faites aux enfants à l’école, y compris les pratiques des MGF, les mariages d’enfants… Cela est en train d’être intégré dans le programme scolaire des écoles secondaires.

Guineematin.com : vous parlez des progrès enregistrés certes, mais quel rôle joue votre structure dans la mise en application de ce programme conjoint ?

Souleymane Camara : nous avons un rôle important parce que nous sommes chargés de la coordination de l’ensemble des interventions. A ce titre, on se réunit régulièrement avec l’ensemble des composantes pour impulser les actions de lutte. Nous partons de notre plan stratégique et de la feuille de route pour savoir qui fait quoi, où et à quelle période. Donc, la coordination se réunit régulièrement pour voir quels sont encore les défis à relever. On sait que l’un des défis par exemple, c’est l’application de la loi. Heureusement, la semaine dernière, le ministre de la justice a signé une note circulaire dans laquelle il a appelé les parquets de l’intérieur du pays à appliquer la loi relative à la pratique des mutilations génitales féminines, parce qu’il ne sert à rien d’élaborer des lois sans les appliquer. Par exemple, par rapport au mariage d’enfant, les gens pensent qu’à travers cette pratique on ne fait pas de mal à la petite fille alors que la science a démontré que ça a des impacts sur la santé et le bien-être de la fille et chemin faisant de la femme dans le temps. Il peut y avoir des conséquences immédiatement tout comme à long terme mais, qui sont minimisées par la conscience populaire. On pense que même pendant l’excision, quand une fille meurt de saignement, des hémorragies, c’est le mauvais sort. Donc, il y a beaucoup de choses à faire ; et nous, nous sommes là pour coordonner les activités aussi bien au niveau national qu’au niveau régional. C’est pourquoi nous avons mis en place des coordinations régionales sur les violences basées sur le genre (VBG) et les mutilations génitales féminines (MGF). Parce qu’en plus des MGF, on assiste aussi à des phénomènes de viol, de mariage d’enfant et autres pratiques néfastes contre les enfants et les femmes.

Interview réalisée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

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