Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Je ne doute pas un seul instant que tu es au courant de la situation de notre paye en général et de mon cas personnel en particulier. Je sais qu’au regard de la sensibilité de la question, tu évites de l’aborder avec moi. C’est pourquoi, je brise le tabou pour percer l’abcès et aborder cette question avec toi. Il s’agit de mon classement parmi 25 personnalités de notre pays sur la liste noire de l’Union européenne.

Pour être plus précis, des députés européens, en complicité avec des citoyens de notre pays, ont établi la liste de 25 personnalités de notre pays qui doivent faire l’objet de sanctions. Parmi ces personnalités figure en bonne place ton ami que je suis. Encore une fois je suis persuadé que tu as dû parcourir ces informations de long en large. Qu’à cela ne tienne, je me dois de te donner les informations en ma possession.

Ainsi, ces députés proches de l’opposition de notre pays, proposent deux principales mesures : l’interdiction d’entrée dans les 27 pays que compose leur union et le gel des avoirs des personnes incriminées. Si la deuxième restriction est subtilement facile à contourner, la première, elle, pourrait avoir tout son effet sur nous et les nôtres. Mais je reviendrai plus tard sur ces deux aspects.

Pour le moment, je préfère partager avec toi mon indignation. En effet, pour toi qui me connais si bien, associer mon nom à des crimes relève tout simplement d’un autre crime. Un vrai, celui-là. Comme tu le sais, je suis incapable de faire mal même à un animal à plus forte raison à un homme. Mais là où j’ai péché c’est là où j’ai su que l’équipe à laquelle j’appartiens est en train de commettre des crimes et de rester dans le navire. Avec le recul, je me rends compte que mes collègues qui ont quitté l’équipe gouvernementale ont été plus inspirés que moi.

Dans un premier temps, ladite sanction n’est qu’une menace. Mais elle pourrait se concrétiser. Et si tel était le cas demain, je pourrais être en rupture avec la famille. Parce que pour les miens, qui vivent là-bas, il est hors de question de revenir dans notre pays. Surtout pour madame. D’autant plus qu’elle est consciente que je ne serais pas éternellement membre du gouvernement. Elle me l’a dit clairement. Entre le retour et le divorce, elle préfère le second.

Or même si nous demeurons mariés, si je ne peux pas la rejoindre demain, ce sera une autre forme de divorce qui ne dit pas son nom. Ce qui me met devant un dilemme. Un autre ami m’a dit qu’avec mon âge, mon physique et mes petites économies, je pourrais trouver une autre femme si celle que j’ai m’abandonne. Ce qui est vrai. Mais si je peux remplacer la femme je ne peux pas remplacer mes enfants. Ce qui m’oblige à négocier avec leur mère.

Dans la foulée de cette affaire, je me suis rendu compte de toute la pertinence et de l’adage populaire selon lequel « tout ce qui est aperçu loin est beau ». Quand je vois mes cousins, qui m’envient à cause de mon poste ministériel, ils ne savent que je les envie aussi. Parce que, malgré leurs conditions de vie parfois difficiles, ils vivent avec femmes et enfants. Rien n’est plus difficile sur terre que la solitude que je vis, avec comme seul compagnon mon téléphone portable et ses corolaires de réseaux sociaux.

Bref, au regard de cette situation, qui était déjà peu enviable et qui devient insupportable, je suis à la recherche d’une solution. L’idéal aurait été pour moi d’obtenir un lobby de défenseurs pour me blanchir afin que mon nom soit extirpé de cette fameuse liste. Ce qui ressemble à déplacer une montagne. A défaut d’être blanchi, il va falloir que je trouve un autre pays, dans un autre continent pour déplacer la famille.

Je pense notamment à l’Amérique du Nord. Mais, ma crainte voire angoisse est que, les mêmes eurodéputés ne transmettent leur liste à leurs homologues outre atlantique et que cette sanction fasse tache d’huile. A ce sujet, un ami m’a rassuré que leur influence se limite au vieux continent. Mais à l’heure où on parle de petit village planétaire, il faut craindre le pire pour moi. Je voudrais donc que tu te renseignes pour moi sur les deux aspects. Le premier, s’il est possible de trouver des hommes ou des structures pour me présenter comme l’exception qui confirme la règle dans le gouvernement. Et le deuxième, s’il est possible de changer de pays d’accueil pour la famille.

D’ici là, je suis arrivé à la concussion que l’histoire est à la fois têtue et ingrate. Pendant je suis perçu comme un salaud, excuse-moi du terme mais je suis révolté, mon prédécesseur est considéré comme un saint. Alors que jamais notre pays n’a enregistré autant de victimes consécutives aux manifestations que durant son passage à la tête de ce département. Et tant que nos compatriotes auront la mémoire courte, notamment en ce qui concerne les crimes, ces derniers auront de beaux  jours devant eux.

Pour finir, je souhaite que tu examines cette lettre avec la plus grande attention. Que tu me proposes des pistes solutions. Aussi bien pour la famille que pour le travail. Par exemple, est-ce que jeter l’éponge maintenant là pourrait être une solution ? Si les sanctions préconisées par ces gens-là sont effectives où faut-il aller ? Si la femme ne veut pas changer de pays et de continent de résidence, quelle est l’attitude qu’il faudrait adopter ? Voici autant d’interrogations qui taraudent mon esprit. Je souhaite que tu m’aides à réfléchir et à envisager des solutions.

Ton ami le ministre

Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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