Moussa Para Diallo : « on ne fait pas du développement avec un don »

Moussa Para Diallo, président de la Confédération Nationale des Organisations Paysannes de Guinée
Moussa Para Diallo, président de la Confédération Nationale des Organisations Paysannes de Guinée

Cette semaine, Moussa Para Diallo, le président de la Fédération des Paysans du Fouta et président de la Confédération Nationale des Organisations Paysannes de Guinée, à son domicile à Nongo, dans la commune de Ratoma. Une occasion d’évoquer plusieurs sujets liés au développement agricole, à la campagne agricole 2021, mais aussi à cette fameuse question liée à l’autosuffisance alimentaire. Convaincu des vertus de l’agriculture pour un peuple, M. Diallo a fait savoir « qu’on ne fait pas du développement avec don ».

Décryptage !

Nous sommes déjà dans l’hivernage, parlez-nous de la future campagne agricole de cette année 2021 ?

Moussa Para Diallo : disons  que la future campagne se prépare bien en Guinée dans la mesure où, en région forestière, ils ont déjà semé le maïs et ils s’apprêtent pour les plantations d’hévéa, de palmier à huile et de caféier. Pour ce qui est de la Basse Guinée et de la Moyenne Guinée, quelque part, le maïs est déjà semé ; mais, en Haute Guinée, la pluie retarde un tout petit peu. Ils vont s’y mettre sous peu. Vous avez vu comme tout le monde que le gouvernement a importé en saison sèche un peu d’engrais pour le maraîchage ; en saison pluvieuse, je pense que les engrais sont déjà commandés et en route du Maroc pour la Guinée, selon ce que j’ai appris. Mais, il faut arrêter de se focaliser juste sur une campagne. Maintenant, on est tous interpellés par la nature, parce que les marigots ne cessent de tarir, parce qu’on ne cesse de brûler, on ne cesse de couper le bois. Et vous avez vu avant-hier, le gouvernement a fait un communiqué pour interdire systématiquement la coupe du bois sur l’ensemble du territoire national.  Parce qu’on constate que la saison pluvieuse recule ; et avant, au mois de juin, vous aviez beaucoup de pluie sur l’ensemble du pays. Mais, aujourd’hui, on est le 15 juin et on n’a pas encore beaucoup de pluie. C’est dangereux, c’est grave. Sous peu, à ce rythme, on risque d’avoir des problèmes. Je dirais peut-être que c’est une bonne chose que le gouvernement ait pris cette décision. Mais, je voudrais qu’il aille plus loin pour prendre une autre décision : les feux de brousse. Il faut commencer à arrêter cela systématiquement dans le pays. C’est difficile parce que c’est devenu une routine, mais le gouvernement peut tout. On peut le solliciter pour justement que les feux de brousse, qu’on commence à arrêter ça dans l’ensemble du territoire ; parce que si on brûle tout, la sécheresse va continuer à nous envahir et c’est dangereux pour la vie des concitoyens guinéens.

Ensuite, sur les briques cuites, il serait bon d’arrêter de cuir les briques avec du bois, c’est dangereux. Ils ont commencé à mettre des maisons en terre stabilisée et donc soutenir cette action pour qu’on arrête de systématiquement couper le bois pour brûler des briques maintenant ; et surtout que le gouvernement essaie d’aider les gens pour qu’on ait le gaz dans les ménages. Parce que le charbon de bois devient un facteur catastrophique.

Vous êtes à la tête de la confédération nationale des organisations paysannes de Guinée depuis plus de 10 ans. Dites-nous comment ça se passe au sein de cette organisation ?

Moussa Para Diallo : je suis à la tête de la confédération depuis une quinzaine d’années et disons que ça se passe bien si toutefois on a un bailleur qui est derrière nous. Évidemment, le gouvernement étant là, en plus du gouvernement il y a quelques partenaires financiers qui assistent çà et là quelques producteurs à la base. Que ça soit en Haute Guinée, en Moyenne Guinée, en Forêt ou en Basse Guinée, il y a quand-même quelque chose qui se met en route. Mais, vous savez aussi que le développement, c’est à long terme. Ce n’est pas facile de faire du développement à très court terme. Généralement, à l’exception du gouvernement, les projets sont à très court terme. C’est pour 1 an, 2 ans, 3 ans et maximum 5 ans. Et, pour renouveler ça, c’est très difficile. Mais, il faut qu’on se serre davantage la ceinture et qu’on demande aux gérants du pays de continuer ; mais, surtout de fidéliser chacun en ce qui le concerne et la spéculation qu’il vous fait pour qu’on puisse faire quelque chose de potable dans ce pays et qu’on cesse d’importer à manger, non pas sur le discours ; mais, sur la réalité des choses. Je vous donne un exemple, aujourd’hui on vend à travers Conakry les oranges venues du Maroc alors que dans les quatre coins du pays on peut planter des orangers. C’est regrettable que moi, en tant que président de la confédération des paysans de Guinée, que je dise qu’il faut qu’on cesse d’importer. Il faut qu’on plante. Il faut qu’on commence à planter pour avoir des oranges en Guinée. 

Vous décrivez une situation un peu complexe ; mais, qu’est-ce que vous, au niveau de la confédération, vous faites pour inverser la tendance ?

Moussa Para Diallo : ce n’est pas facile ; mais, j’essaie de réfléchir, de sensibiliser les gens qui nous gèrent d’abord, ensuite pour que les opérateurs économiques se mettent à la tâche pour accompagner leurs localités pour qu’il y ait suffisamment de fruitiers pour qu’on puisse planter en saison pluvieuse. Sinon, ce n’est pas très facile ; mais, à mon niveau, en tant que confédération, je sensibilise les gens pour qu’ils plantent un peu le fruitier. Le fruitier te donne à la fois de l’ombre, à manger et il attire la pluie. Et donc, il enrichit le sol. Je pense que c’est une bonne chose. En ce qui me concerne, depuis une dizaine d’années ou une quinzaine d’années j’essaie d’acheter en début de saison pluvieuse du fruitier pour repartir aux gens ; mais, ce n’est pas grand-chose parce que c’est entre 800 à 1000 plants, alors qu’on aurait peut-être besoin de plus de 4000 ou 5000.

Selon vous, quelle doit être aujourd’hui la priorité du pays pour aller à l’autosuffisance alimentaire ?

Moussa Para Diallo : il faut d’abord de l’organisation. Aller à l’autosuffisance alimentaire, je n’irais pas jusque-là. Moi, je dirais peut-être aller vers un mangé correct avant d’aller à l’autosuffisance alimentaire. Je dirais manger correctement, c’est-à-dire avoir un plat le matin, à midi et le soir ou alors avoir un plat le matin et le soir ou encore un plat à midi et le soir. C’est déjà quelque chose de très costaud. Mais aussi, que les gens apprennent à manger beaucoup de fruits, parce que je pense qu’avec ça, on sera moins malade, nos hôpitaux seront moins remplis. C’est important que chacun de nous, surtout vous les jeunes, que vous puissiez réfléchir, comment déjà innover, non pas seulement que je suis journaliste ; mais, que je donne un plant à ma femme, à mon mari pour qu’il plante. Mais, que le plant puisse réussir, que demain on puisse cueillir une mangue ou une orange ou en tout cas quelque chose chez soi parce que c’est comme ça que la vie commence. Et puis, demain on va aller au-delà.

Vous donnez de la valeur à nos produits ; mais, il n’y a que les populations se plaignent aussi leur cherté sur le marché. Qu’est-ce qui est en train d’être fait au niveau de votre organisation pour soulager les populations dans ce sens ?

Moussa Para Diallo : vous savez, c’est très facile de dire que les prix sont chers. Vous imaginez quand vous prenez quelqu’un qui est du côté de Mandiana par exemple, il fait du piment, le transport est très cher de Mandiana à Kankan, ensuite de Kankan à Conakry. Ça arrive ici dans des conditions pas faciles. Vous diminuez la moitié de la production pour vendre le reste. Est-ce que le prix en ce moment sera cher ou pas ? Je pense que si. Ensuite, vous avez des produits de qualité ; un produit de qualité, je ne dirais pas un produit bio ; mais, un produit de qualité arrosé à l’eau de source, naturellement ça sera cher. Je vous donne juste un exemple : quand vous importez quelque chose d’Europe, vous consommez un poulet du supermarché et vous consommez un poulet bicyclette, comment ça va se faire ? La différence est de taille ; mais, vous allez acheter le poulet bicyclette à un prix élevé parce que tout simplement, il se démerde pour vivre.

La saison dernière, les paysans ont eu d’énormes difficultés pour écouler leurs produits agricoles, notamment à cause de la fermeture des frontières. Est-ce que quelque chose a été faite pour aider ces paysans à amortir cette perte ?

Moussa Para Diallo : différents projets ont été mis en route, non pas pour vendre à moindre prix ; mais, pour donner cadeau aux paysans, soit en engrais, soit en semence, soit des formations, etc. Je connais quelques projets, notamment Enabel, le PEG qui ont donné à l’ensemble des paysans, notamment là où j’évolue, quelque chose pour soulager un peu les producteurs à la base. Ça, je suis témoin.

Combien en ont bénéficié de cet appui?

Moussa Para Diallo : je ne peux pas vous donner des chiffres comme ça ; mais,  en ce que je sache, il y a des aménagements qui se font du côté du PEG en Basse Guinée, en Moyenne Guinée et en Haute Guinée. Quand des aménagements sont faits, ce sont des milliers de paysans qui vont en profiter. Et c’est la même chose du côté d’Enabel qui aménage un peu et qui accompagne les fruitiers de la Basse Guinée et quelques producteurs de la Moyenne Guinée. Je pense que c’est des milliers ; mais, je ne peux pas donner des chiffres exacts parce que je n’en ai pas là où je suis.

Selon vous, qu’est-ce qui entrave aujourd’hui le développement agricole dans notre pays ?

Moussa Para Diallo : c’est nous et pas un autre. Il faut qu’on soit responsable à part entière. Qu’on se donne la main pour produire. Et pour cela, il faut que l’on donne de la valeur ajoutée d’abord à nos productions et à nos producteurs. Je vous donne un exemple, aujourd’hui le kilo de viande à Conakry, c’est pratiquement intouchable. C’est entre 65.000 à 70.000 francs. Les éleveurs ont abandonné, tout le monde a abandonné l’élevage, on s’assoit au bord de la route, on fait une petite table parce que là au moins tu ne seras pas victime de ceci ou de cela. Alors, il faut qu’on revienne un peu en arrière pour dire que si les Etats-Unis nous donne ceci, si l’argentine fait cela, le Brésil fait ceci et le Japon nous donne cela, c’est parce qu’ils ont travaillé et conséquemment, il faut donc qu’on fasse comme ça. Sinon, on risque d’être laissé tout le temps à côté et on n’ira pas loin. Mais, c’est vous journalistes aussi qui doivent faire des choses pour que tout le monde ne se focalise pas que sur la politique. Généralement ici, dès qu’un ministre ou un opposant arrive, tout le monde se met avec des appareils pour filmer et dire voilà ce qu’il a dit. Alors que l’agriculteur, personne ne s’intéresse presque. Mais, c’est pour dire aux gens, intéressez-vous à l’agriculture, à l’élevage.

Dans les radios, il y a des grilles consacrées à l’agriculture ou à l’élevage quand-même ?

Moussa Para Diallo : mais c’est débat. Vous savez que c’est des grilles. On va prendre un mec une fois l’année et puis on l’interroge et ça passe. Tout le monde applaudit ; mais, on n’avance pas l’agriculture avec ça. Je vous donne un exemple, aux Etats-Unis, vous pouvez trouver un mec qui a 3000 hectares. Mais ici, au lieu de soutenir, on vous dira qu’on a eu des investisseurs indiens, chinois, japonais alors que si on soutenait des investisseurs guinéens pour faire la même chose, avec des sanctions, avec des banques où tu peux faire des prêts, je pense que ça sera une excellente chose au lieu de dire : je donne. On ne fait pas de développement avec un don. Si la Chine, les Etats-Unis ou l’Europe nous donne, on ne fera pas de développement. Le développement se fera à travers nos banques, à travers des prêts comme ils l’ont fait chez eux. Et puis, on essaie d’accompagner les producteurs ou d’installer des jeunes producteurs pour qu’ils puissent produire correctement. Mais pas pour une année ou deux ans.

Est-ce que vous ne pensez pas que la pyramide est renversée, que les pauvres s’intéressent beaucoup plus à l’agriculture que les nantis alors que c’est l’inverse qui devrait se produire ?

Moussa Para Diallo : je ne pense pas ; mais, on est moins organisé. Il faut qu’on s’organise parce qu’à mon avis, ce n’est pas une question de pauvre ou de riche. Si on s’organise, on peut réussir. Je vous donne un exemple : au jour d’aujourd’hui, j’ai été contacté par trois personnes : des chinois qui ont au-delà de 200 milliards de dollars comme capital, j’ai été contacté par des indiens et j’ai été contacté par un guinéen qui veut faire du surgelé de frite en Guinée. Tous les trois m’intéressent ; mais, surtout le guinéen qui veut travailler en Guinée, qui va employer des guinéens. Les recettes ou les bénéfices qu’il aura là-dans, il va investir aussi en Guinée. Donc, c’est très intéressant. Je ne renvoie pas les autres parce qu’on se complète dans la vie ; mais, c’est quelque chose de très intéressant. Au guinéen, quand j’ai visité sa petite ferme, je lui disais que seulement la préfecture de Forécariah peut nourrir toute la Basse Guinée ; mais, il faut qu’on retrousse les manches. Regardez, on coupe le bois n’importe où et n’importe comment. Et ça, à un moment donné, il faut qu’on arrête. Vous partez aujourd’hui de Conakry à Koundara, vous ne croiserez pas un singe le long de la route. C’est quand-même grave, il faut qu’on soit responsable.

Mais, pensez- vous qu’aujourd’hui, la politique agricole du gouvernement est satisfaisante ?

Moussa Para Diallo : je pense qu’il ne faut pas tout le temps renvoyer la question au gouvernement. Nous sommes des privés et on est responsable aussi. Il ne faut pas mettre tout le temps la faute à 30 personnes, membres du gouvernement.

Mais, c’est le gouvernement quand-même qui donne des orientations ?

Moussa Para Diallo : l’Etat nous consulte ; et, quand il nous consulte, il faut qu’on soit à mesure de dire voilà, voilà et qu’on s’en tienne à ça. Si on dit que tout doit venir de l’Etat, on risque de passer à côté. Je vous donne un exemple : l’Etat a dit qu’il faut planter des anacardes. On a planté l’anacarde ; mais, qui récolte ? Ce n’est pas l’Etat. Aujourd’hui le prix est élevé, qui profite ? C’est le producteur. Donc, moi je dis qu’il faut qu’on soit tous responsable à part entière pour qu’il y ait une production en Guinée. Actuellement, il y a plus ou moins de piments qui manquent sur le marché. C’est à l’Etat de produire ? C’est à l’Etat de donner les semences ? C’est à nous aussi de se démerder un peu. De fil en aiguille, on pourra faire quelque chose ; mais, il faut qu’on se complète, qu’on se donne la main. Je ne dis pas que l’Etat ne peut pas faire ; mais, l’Etat ne peut pas tout faire. Il faut qu’on soit responsable d’abord avant de se tourner vers l’Etat.

Quel doit-être l’apport des facultés d’agronomie dans ce cadre ?

Moussa Para Diallo : il faut d’abord qu’il y ait de la bonne formation. C’est là qu’il faut interpeller l’Etat pour avoir des bons formateurs partout, pour que ceux qui sortent de nos écoles soient très bien formés, très bien réfléchis avant de les mettre sur le marché du travail.

Vu toutes les difficultés, est-ce que vous avez un message particulier à lancer aux partenaires techniques et financiers et au gouvernement guinéen pour soutenir le secteur agricole?

Moussa Para Diallo : que ça soit aux partenaires ou au gouvernement guinéen, qu’ils assistent davantage les producteurs organisés pour que les autres aussi s’organisent. Qu’ils assistent les éleveurs pour qu’il y ait beaucoup plus d’élevage. Au lieu de décréter le prix d’un kilo de viande, il faut décréter soutenir les éleveurs pour que ces gens-là puissent avoir un bétail conséquent et le prix de viande va baisser tout de suite. Mais, si avec trois têtes, on pense qu’on va baisser le prix de la viande, on se trompe. A mon humble avis, je pense qu’il faut qu’on se donne la main et qu’on se mette à travailler au lieu de se critiquer. S’il y a du bon, on dit que c’est bon et s’il y a du mauvais, on essaie de corriger petit à petit. Mais, vous savez que le développement, ce n’est pas facile. Tu te casses beaucoup la gueule avant de sortir un kilo de fruit.

Interview décryptée par Alpha Assia Baldé pour Guineematin.com

Tél : 622 68 00 41

Facebook Comments Box