Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Pour quelqu’un comme toi qui s’intéresse à tout ce qui se passe dans son pays, il est superflu de te demander si tu es au courant de ce qui se passe actuellement dans mon département. Les arrestations et les suspensions se multiplient. C’est véritablement le ciel qui est en train de tomber sur la tête de mes cadres. Et il est fort à craindre que cela ne fasse tache d’huile pour atteindre le chef du département que je suis.

Dans ce département, la peur se lit désormais sur tous les visages. Comme autrefois sous la révolution, la délation est devenue monnaie courante. Les gens s’en donnent à cœur joie. Pour te dire la vérité, chacun n’attend que son tour. Y compris moi. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui me dit que ce n’est pas moi qui suis la véritable cible. Comme dit un proverbe de chez nous, après lui avoir chopé tous ses poussins, l’épervier veut prendre la mère-poule.

Je crains fort qu’après mes cadres, que je ne sois moi-même cueilli comme un petit poussin. D’autant plus que les enquêtes dont on parle sont confiées à des personnes peu scrupuleuses. C’est pourquoi un ami, que tu connais bien, m’a proposé de me lever immédiatement pour prendre mes gardes fous. Entre autres, il me demande de trouver le prix de kolas pour les enquêteurs. Mais un tel acte est un couteau à double tranchant.

Ils pourraient penser que je cherche à acheter leur silence. Or, je n’ai rien à me reprocher. Du coup, je voudrais refuser cette proposition. Mais en même temps, connaissant bien ce pays, sans rien donner pourrait me causer des ennuis. Devant ce dilemme, que faut-il faire ? Je veux bien avoir ton avis sur la question. Faut-il donner et leur montrer que je suis un habitué des faits qui font l’objet de leur enquête ? Ou faut-il se montrer insoupçonnable de corruption ?

Devant l’anxiété à laquelle je suis confronté, un autre ami est allé consulter celui à qui nous faisons recours dans pareil cas. Ce dernier aurait demandé de faire un sacrifice. Celui-ci est prévu ce weekend. Quand j’ai convié mes collaborateurs immédiats, tous m’ont dit qu’ils font la même chose. J’ai alors réalisé que tous les responsables encore en liberté sont sur la même longueur d’ondes. Tous font un sacrifice pour échapper à  la purge qui nous hante.

Pour revenir à mon marabout, il demande entre autres d’immoler un bœuf et de donner un autre à un marabout. Cette demande m’a quelque peu intrigué. Car c’est à peine s’il n’a pas dit donne-moi un bœuf. En outre, il me demande de trouver un bélier blanc à laisser dans la cour. Mais j’avais déjà un. La nouveauté c’est qu’il faut une chèvre toute blanche aussi, un coq blanc. Mais ce qui me semble irréalisable c’est qu’il demande une colombe, elle aussi devant être laissée dans la cour.

Il est certes difficile de trouver une colombe. Mais je pourrais la trouver. Ce qui est par contre difficile, c’est de pouvoir l’apprivoiser. On me propose de lui aménager un nid fait de grillages. Mais mon oncle rechigne, estimant que cela ressemble plutôt à une prison. Or, il parait que celui qui emprisonne une colombe sera inévitablement en prison.

Tu comprends que ces différents dilemmes me donnent de l’insomnie. Mon poste, que tout le monde envie, est devenu une patate chaude entre mes mains. Si je garde je me brûle les mains. Et si je la jette, j’ai jeté une nourriture. C’est pour cela que j’ai pris la peine de t’écrire pour la première fois. Je souhaite avoir ta précieuse aide. Celle-ci peut être des conseils. Elle peut consister aussi à aller voir un autre marabout qui soit plus souple en matière de sacrifice.

Parlant de sacrifice, mon autre oncle, qui appartient à un autre courant religieux, a fustigé notre attitude qui consiste à attendre qu’il y ait des difficultés pour faire des sacrifices. Selon lui, le sacrifice consiste à nourrir celui qui a faim, à soigner celui qui est malade, à habiller celui qui en a besoin, à payer la dette de celui qui est endetté et à libérer celui qui est injustement détenu. Il a conclu par une phrase qu’on pourrait résumer comme celle-ci : ce n’est pas le jour du déclenchement de la guerre qu’il faille recruter des soldats. Même si cet oncle est souvent critiqué par les nôtres, pour une fois son point de vue semble avoir marqué les esprits.

Ce qui me fait plus mal dans cette affaire, c’est que, selon la petite enquête que nous avons menée en interne, les travailleurs du département semblent être plutôt contents des déboires de leurs responsables. Parce qu’ils estiment que ce sont eux qui font le travail mais c’est nous autres qui bénéficions du fruit de ce travail.

Ils ignorent ou oublient cette citation de Georges Clemenceau selon lequel : « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque : les plus haut placés sont ceux qui servent le moins ».

Attendant impatiemment ta réponse, je te dis à bientôt.

Ton ami le ministre Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire et une autre n’est que pure coïncidence.

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