Les mots et les maux du ministre

Habib Yembering Diallo
Habib Yembering Diallo

Cher ami,

Je sais tu t’intéresses de près à tout ce qui se passe dans ton pays. Et comme tel, tu dois être au courant de ce qu’il convient d’appeler les sales pour les ministres. Lesquels sont sur la ligne de mire de celui qui les a nommés. Contre toute attente, après avoir anéanti une partie et affaibli une autre partie de son opposition, mon patron a ouvert un nouveau front. Cette fois ce sont ses ministres qui sont sa cible. 

A la place du slogan gouverner autrement, nous avons un autre slogan. Celui-ci est désormais « Désormais ». Désormais nous allons faire ceci, désormais nous allons faire cela. Dans la foulée, il menace de couper les vivre aux ministres. C’est-à-dire leur budget. Or couper le budget d’un ministre n’est ni plus ni moins que couper sa tête. C’est son budget qui fait d’un ministre ce qu’il est. C’est le même budget qui lui donne ce qu’il a. Personnellement, je préfère être limogé que d’être privé de mon budget. 

Au-delà des apparences, la fonction ministérielle est peu ou pas enviable. Les problèmes commencent le jour où un ministre est nommé. Dès le soir de la diffusion du décret, les sollicitations commencent. Le même soir parents, amis et connaissances remplissent la maison. Et personne ne veut rentrer les mains vides. Suivra la fameuse cérémonie de sacrifice exigée par la famille. Sachant qu’un nouveauministre n’a, le plus souvent, pas de ressources, il commence à s’endetter pour organiser cette cérémonie. Ou si quelqu’un la finance, il attend le retour de l’ascenseur. C’est une autre forme de dette.

Après cette cérémonie, le lobby, qui a ouvré à la nominationdu ministre, demande d’aller remercier celui qui a soumis le nom du nouveau promu au président. Là non plus on ne va pas les mains  vides. Ce n’est pas tout, la dépense à la maison est multipliée par dix. Il y a désormais un chauffer, un garde du corps, d’autres agents de sécurité à la maison. Sans compter les femmes de ménage, les cuisiniers et autres bons à rien qui passent le temps à tourner le pouce à la maison. Au département tu as un planton, une secrétaire. Tous ces gens-là attendent quotidiennement à ce que le ministre leur mette quelque chose dans la poche. 

Côté famille, la famille et la belle famille sont aussi aux aguets. Chacun veut se remplir les poches. Il y a aussi les amis, les anciens collaborateurs, les anciens de la promotion et tous ceux qu’on a côtoyés durant la carrière. Tout ce monde sollicite, chacun quelque chose. Et que de dire des voisins, des chefs religieux, des journalistes et autres activistes de la société civile. Lesquels sollicitent tous le fameux prix du carburant. 

A titre d’exemple, la semaine dernière l’imam de notre mosquée est venu la maison me tendre une ordonnance médicale pour me demander de l’aider à avoir le prix. Curieusement, cette ordonnance date de 2017. Quand j’ai vu la date, ça m’a fait sourire. J’ai donné ce que j’ai pu mais j’ai compris qu’un imam sans source de revenu est quelqu’un qui peut se permettre de tout. Mais bon, ce ne sont les imams qui constituent l’objet de cette lettre. C’est plutôt la vie d’un ministre. 

Au lieu de te raconter mon calvaire, j’ai préféré te décrire la situation pour que tu te rendes compte toi-même de ce que je vis. Comme si tout cela ne suffisait pas, ma femme refuse d’avoir de l’empathie pour moi. Elle, dont les parentssollicitent d’un côté l’évacuation d’un de leurs malades et de l’autre l’inscription d’un de ses frères dans une université canadienne. Madame estime que si je ne satisfaits pas ces deux demandes de sa famille c’est que je ne veux pas. Mais je peux, selon elle. 

J’essaie de la persuader que la fonction de ministre est un mirage. Mais elle veut ni ne peut me comprendre. C’est dans ce contexte où je suis véritablement assailli par les sollicitions que le patron menace de me couper les vivres. Tu comprends dès lors que je préfère le scénario catastrophe. C’est-à-dire le limogeage. J’aillais dire la délivrance. Car, une telle hypothèse mettrait fin à toutes ces sollicitations que même l’homme le plus riche du monde ne peut satisfaire. 

Mes problèmes financiers m’ont rappelé un hadit du Prophète PSL que j’ai lu récemment et selon lequel : « Si on donne une vallée pleine d’or à un homme il voudra une deuxième. S’il a la deuxième il voudra une troisième ». Il conclut par dire que seule la terre peut remplir le ventre d’un homme. Depuis quand je suis devenu un chef religieux, te demanderas-tu ? Eh bien cher ami, l’épreuve que je suis en train de traverser est en train de me changer. 

C’est pourquoi, je souhaite être débarrassé de ce poste de ministre. Car ce n’est pas un ministre qui devient voleur et corrompu dans ce pays. C’est la société qui l’oblige à l’être. Sur ce je te supplie de prier pour moi afin que le Créateur mechoisisse ce qui est mieux pour moi. 

Ton ami, le ministre Habib Yembering Diallo, joignable au 664 27 27 47.

Toute ressemblance entre cette histoire ministérielle et une autre n’est que pure coïncidence. 

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