Une délégation de la fédération des entreprises culturelles et économiques de Guinée (FECEG) a été reçue hier, jeudi 19 août 2021, par le premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana. Ces opérateurs culturels sont allés échanger avec le chef du gouvernement guinéen sur les problèmes qui gangrènent leur secteur et lui remettre un mémorandum contenant des propositions de solutions. Pour en parler justement, un journaliste s’est entretenu ce vendredi avec Moussa M’baye du groupe Degg J Force 3, chargé des relations extérieures de la FECEG.
Décryptage !
Guineematin.com : une délégation du FECEG dont tu fais partie a été reçue hier par le premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana. Vous lui avez remis un mémorandum contenant plusieurs propositions. Pourquoi avez-vous décidé de mener une telle démarche ?
Moussa M’baye : cette démarche est motivée par les problèmes qui assaillent le secteur culturel guinéen qui, à notre sens, sont un peu trop. Il faut donc à partir de maintenant, regarder dans quelle logique on peut avec le gouvernement, réfléchir pour assainir, professionnaliser mais aussi lancer les jalons d’une industrie culturelle guinéenne. Au-delà du fait qu’il y a encore beaucoup d’entreprises qui fonctionnent dans l’informel, il y a le fait que les moyens ne sont pas mis à la disposition pour que ce secteur puisse se développer. L’Etat ne met pas les moyens pour que ce secteur puisse avoir une formation, puisse se professionnaliser, puisse avoir la force de concurrencer les pays de la sous-région et l’international.
Guineematin.com : quels sont justement les problèmes qui empêchent l’essor du secteur culturel guinéen ?
Moussa M’baye : les gros problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont des problèmes circonstanciels, liés à la crise du Covid-19 et les différentes annulations de spectacles dont on a été victimes. A cela s’ajoutent les différentes crises électorales qui se sont succédé depuis les législatives jusqu’à la présidentielle. Tout ça, ce sont des crises qui ont fait que le terrain n’était pas assez fertile pour pouvoir organiser des événements, parce que le grand public restait souvent chez lui parce qu’il a peur de sortir et de tomber sur des émeutes. Donc, depuis quasiment deux années, le secteur de la culture est vraiment à l’agonie. Nous avions déjà déposé notre mémorandum au ministère de la culture et du patrimoine historique. On a rencontré la ministre qui nous a bien reçus et qui est en train de travailler aussi pour nous accompagner dans ce sens.
Maintenant puisque Dr Kassory est le chef du gouvernement, on a tenu à le rencontrer aussi pour lui faire part directement de la situation. Et la prochaine étape, ça sera d’aller rencontrer le président de la République, parce qu’il est important pour nous de faire ce lobby là pour qu’à partir de maintenant, comme le football et tous les autres secteurs en Guinée, que la culture puisse compter aussi. Dans d’autres pays, la culture est un vrai levier de développement et participe vraiment à l’économie nationale. C’est le cas notamment des États-Unis, où la culture a une grande force et fait rentrer des milliards par an. C’est pour dire que si aujourd’hui on donne de la force à la musique guinéenne, à l’art, au théâtre, au cinéma, à l’écriture, à tous les secteurs de la culture, normalement il n’y a pas de raison qu’on ne décolle pas, parce que ce n’est pas le talent qui manque.
Guineematin.com : quelles sont les principales propositions que contient le mémorandum que vous avez remis au chef du gouvernement ?
Moussa M’baye : le mémorandum contient sept points sur lesquels on s’est articulés. Le premier, c’est la gestion des droits d’auteur. Il y a une nouvelle loi qui est votée, qui va permettre non seulement aux artistes de bénéficier plus sainement de leurs droits, mais aussi cela prend en compte maintenant les autres acteurs : les producteurs, les éditeurs et les musiciens qui interviennent dans les studios parce qu’avant, ils n’étaient pas pris en compte dans la première loi. Normalement, tous ces gens-là, quand une œuvre est diffusée, ils doivent aller chercher leurs droits, parce qu’ils ont été partie prenante de la création de cette œuvre. Donc, ce qu’on demande au gouvernement, c’est qu’à partir de maintenant, le BGDA (Bureau guinéen des droits d’auteur) soit assaini, que ça soit plus transparent et que les ayant-droit puissent être partie prenante de la gestion de ce bureau, parce qu’il a été créé pour aider les artistes à collecter leurs droits. Donc, il faudrait que les artistes, à partir de maintenant, soient suffisamment impliqués dans la gestion de leurs droits. Cela permettrait une nette transparence et une meilleure gestion de ce bureau.
Le deuxième point s’articule sur la mise en place d’un fonds Covid, un plan de riposte pour le secteur de la culture. Pour ça, nous demandons à ce que le gouvernement non seulement pense à rembourser tous les événements qui ont été annulés au mois de mars quand la décision a été prise d’annuler les concerts et de remettre le pays en confinement. Il y avait de gros investissements qui ont été enclenchés, donc notre plaidoyer est qu’on accélère ce paiement, parce que l’Etat avait pris la décision de faire ces remboursements mais jusqu’ici, rien n’est encore fait. Le premier ministre nous a d’ailleurs promis qu’il va prendre ça personnellement, parce que ça a été une décision prise en conseil de ministre.
Le troisième point, on a demandé un accompagnement sur les trois mois depuis le renforcement des mesures restrictives. Donc, dans les trois prochains mois, que le gouvernement puisse faire en sorte que les entreprises culturelles de droit guinéen soient accompagnées pour les salaires, les locations, les charges fixes auxquelles toutes les entreprises font face et qu’elles sont en train de payer depuis deux années. Il y en a plein qui d’ailleurs sont quasiment au bord de la faillite. Nous avons donc demandé qu’il y ait un plan de soutien pour accompagner les entreprises culturelles en cette période de crise.
Le quatrième point, c’est l’appui à la monétisation des œuvres par le biais de la téléphonie mobile et le digital. Cela va aider tous ceux qui investissent dans la musique à avoir un retour financier, parce qu’on ne vend plus de CD en Guinée. Et l’une des alternatives pour le nouveau modèle économique, c’est le digital, donc les ventes en ligne. Nous voudrions que l’Etat accompagne ce secteur pour qu’il ait l’émergence d’une économie numérique qui permette aux artistes de continuer à vivre de leur art.
Le cinquième point, c’est l’aide à la création, à la structuration et à la professionnalisation. Ce sont des journées de réflexion, mais aussi des sessions de formation, des Master class qu’il faut organiser pour les professionnels de la musique. Il faut renforcer les capacités des acteurs concernés pour notamment permettre à ceux qui sont dans l’informel d’acquérir de l’expertise et de pouvoir mieux faire leur métier. Et cela ne peut pas se faire sans formation, sans un certain encadrement. Mais pour ça, il faut un certain nombre de moyens qu’on voudrait que l’Etat mette pour pouvoir subventionner des formations.
Le sixième point, c’est le renforcement et le suivi de la coopération culturelle. Il y a beaucoup d’ambassades et institutions, et beaucoup de conventions que la Guinée a ratifié avec l’ONU, l’UNICEF, l’Union européenne, la francophonie. Ces institutions, en principe, participent au développement du secteur culturel à travers des formations qu’elles financent, parfois des appels d’offres qu’elles font pour aider les entreprises culturelles. Et la Guinée est très absente à ce niveau, parce que l’Etat n’est pas très impliqué.
Au niveau du septième et dernier point, nous avons demandé la mise en place d’un mécanisme d’incitation au sponsoring et au mécénat par les entreprises. L’Etat doit trouver une façon pour que les entreprises qui sont en Guinée puissent accompagner la culture guinéenne, à travers du sponsoring et du mécénat, mais qu’il y ait une sorte de convention. Il serait important donc que l’Etat puisse activer d’autres instruments qui puissent permettre aux acteurs culturels de collaborer avec les entreprises locales et que ces entreprises puissent donner de la force à la formation, à l’entreprenariat des acteurs culturels.
Entretien réalisé par Mariame Diallo pour Guineematin.com