Cadre permanent du Dialogue politique et social : lettre ouverte au président de la République

Jean Paul KOTÈMBÈDOUNO, Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Ecole de droit de la Sorbonne (EDS)
Jean Paul KOTÈMBÈDOUNO, Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Ecole de droit de la Sorbonne (EDS)

Monsieur le Président de la République,

Par un décret du 27 janvier 2021, vous avez institué le Cadre permanent du Dialogue politique et social. Etant entendu l’intérêt public de ce cadre et la légitimité de principe de l’objectif ayant déterminé sa création, permettez-moi, à travers cette lettre, sur le fondement de l’esprit des principes de participation et de liberté d’opinion organisés par la Constitution, d’attirer votre attention sur un ensemble de considérations y afférentes. Le Premier aspect sur lequel j’attire votre attention – en votre qualité de garant du fonctionnement régulier des institutions (art. 35.2 C°) – tient à l’incidence du décret de création sur la répartition constitutionnelle des attributions entre organes. Cet aspect implique l’exposé d’une recommandation ayant vocation à participer au succès du cadre.

En outre, le second aspect sur lequel j’attire votre attention – Monsieur le Président de la République – tient à la préexistence, dans la structure institutionnelle de l’Etat, des organes représentant des cadres permanents de dialogue politique et social avant la création du nouveau cadre par le décret 031. Cet aspect, en rapport avec le caractère permanent du cadre nouvellement crée, implique l’exposé des raisons soutenant la coexistence de différents cadres de dialogue. Un tel exercice inclut la détermination des implications fonctionnelles de ladite coexistence. Il suppose également que soit faite une recommandation sous-tendue par un objectif d’efficacité.

I. Sur l’incidence, du décret de création du Cadre permanent du Dialogue politique et social, sur la répartition constitutionnelle des attributions des organes.

Au titre de l’article 5 du décret du 27 janvier 2021, en tant que « plateforme permanente de concertation et d’échange entre les partis politiques, les organisations sociales, les collectivités et le Gouvernement autour des questions d’intérêt national » (art. 2), le cadre permanent du Dialogue politique et social est particulièrement chargé de « Veiller à ce qu’une concertation s’instaure entre les acteurs de la vie nationale, notamment sur des questions politiques et électorales, (…) ». (art. 5 Décret). A la lecture de ces dispositions, le Cadre permanent est investi d’une fonction éminemment politique et électorale. Or, au titre  de l’article 135 de la Constitution, « la CENI est chargée de l’établissement et de la mise à jour du fichier électoral, de l’organisation, du déroulement et de la supervision des opérations de vote. Elle en proclame les résultats provisoires ». (art. 135 C°).

Monsieur le Président de la République, il résulte de ces considérations que ces deux institutions sont investies de fonctions similaires, pour plusieurs raisons. La première tient au fait qu’il n’est pas nécessaire que la dénomination formelle d’une institution comporte le terme « DIALOGUE » pour qu’une telle institution représente une instance de dialogue. En ce sens, rappelons qu’en vertu de la loi organique organisant la CENI, celle-ci est constituée d’organes de dialogue dont le plus important est qualifié d’Assemblée plénière. Au titre de l’article 16 de la Loi organique L/2018/ N°044/AN modifiant certaines dispositions de la loi organique L/2012/016/CNT, portant création, organisation, attribution et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’Assemblée plénière qui représente « l’instance suprême de décision » regroupe l’ensemble des commissaires. Au surplus, le quorum pour qu’elle siège valablement est de 2/3 de ses membres. (art. 16). Ces aspects suffisent à déterminer le caractère délibératif de cet organe. Or, d’une part, le dialogue est inhérent à la délibération. D’autre part, la Constitution guinéenne a organisé une CENI de type politique.  

Monsieur le Président de la République, à titre empirique, récemment, la CENI a adopté des pratiques rendant compte de ce qu’elle constitue un Cadre permanent de dialogue politique et électoral. A titre d’exemples, la création du Comité inter-parti (CIP) au sein de la CENI a été sous-tendue par un objectif d’information et surtout d’échanges « avec l’ensemble des acteurs du processus électoral en République de Guinée. Il s’agit, notamment des partis politiques, de la société civile, des syndicats et des medias nationaux et étrangers. Compte tenu de l’importance de cette pratique remontant à 2014, celle-ci a fini par être formalisée par décision (Réf Décision N°003 Bis/CENI/BN/SGG/2015 du 25 Février 2015) du président de la CENI. (http://guineelive.com/2015/05/16/commission-electorale-nationale-independanteceni-comite-inter-parti-c-i-p/).

Dans le même sens, au titre de l’article 172 de la Loi organique L/2017/039/AN du 24 février 2017 portant Code électoral révisé de la République de Guinée, c’est le Président de la CENI qui fixe, par décision, le montant du cautionnement à verser au Trésor public, contre récépissé, par les candidats ou les mandataires des entités prenant part aux élections. Pour autant, cette décision est prise sur proposition d’une Commission financière composée du :

  • Président de la CENI ou son représentant ;
  • Ministre chargé des finances ou son représentant ;
  • Ministre chargé de l’administration du Territoire ou son représentant ;
  • d’un représentant de chacun des partis politiques engagés dans les élections.

La composition de la Commission financière et son caractère délibératif rendent également largement compte du dialogue politique qui est inhérent au fonctionnement de la CENI. Il ne s’agit pas là, au surplus, d’un dialogue de type différent. Car, il est non seulement de même nature politique et électoral, mais il est sous-tendu par le même but  consistant dans le fonctionnement démocratique des institutions dans un environnement de paix.

La deuxième raison pour laquelle le Cadre permanent du Dialogue politique et social est chargé d’une fonction déjà exercée – au plan politique et électoral – par la CENI tient au fait que, dans l’esprit du constituant, aucun organe constitutionnel n’est investi d’une fonction dont la finalité serait antinomique avec l’esprit de la paix et de la sécurité des citoyens. Cet argument est conforté par l’article 5 du décret 031 prévoyant que le Cadre permanent du dialogue est chargé de « s’impliquer » dans la prévention des conflits et le maintien de la cohésion sociale dans les secteurs de la vie nationale ». Il est également chargé de « contribuer au renforcement, à la consolidation de la paix et de la volonté du vivre ensemble au sein des populations guinéennes ». En utilisant les verbes « s’impliquer », « contribuer », le décret révèle – à raison – formellement que le Cadre n’est pas investi d’une compétence exclusive en matière de consolidation de la paix ; mais d’une compétence concurrente. La CENI participe ainsi, également, de la même finalité.

En outre, l’exercice de la mission assignée au Cadre permanent du Dialogue politique et social implique que celui-ci puisse « être consulté pour des avis et recommandations sur toutes les questions intéressant la vie de la nation (art. 6 Décret 031). Ensuite, « sur toutes les questions dont il est saisi, {il} émet des avis et recommandations motivés qui sont transmis au Gouvernement » (art. 7 Décret). Au titre donc de ces articles 6 et 7 – lus en harmonie avec l’article 2 du décret 031 – le Cadre permanent du Dialogue est ainsi nécessairement saisi de questions politiques et électorales, pour avis. Or, la Constitution confère à la CENI une mission qui, non seulement implique celles-ci, mais la dépasse (art. 135 C°).  Cette coexistence non articulée pose des problèmes de conflit de compétences.

Aux fins d’illustration, rappelons que la CENI est chargée de l’établissement et de la mise à jour du fichier électoral, de l’organisation, du déroulement de la supervision des opérations de vote et de la proclamation des résultats provisoires (art. 135 C°). Ainsi, lorsqu’à titre d’exemple, dans le contexte de la préparation d’un processus électoral, une crise politique en lien avec des questions électorales survient, la CENI constitutionnellement investie de la mission en cause devrait-elle surseoir à ses activités en attendant que le Cadre permanent du Dialogue politique et social saisi, pour avis, fasse ses recommandations ?

A supposer même que la réponse soit hypothétiquement affirmative – quoique ce soit une voie déraisonnable, étant entendu l’indépendance de la CENI – la question qu’on se pose est celle de savoir si les avis et recommandations du Cadre permanent, pour résoudre ladite crise, lieraient la CENI. A priori, la nature juridique de ces mesures ainsi que l’indépendance de la CENI déterminent une réponse négative. On pourrait ainsi considérer que la décision de se soumettre aux avis et recommandations du Cadre permanent relèverait de la seule bonne volonté de la CENI. Cette hypothèse est confortée – même sans textes – par le contresens que créerait une interprétation différente, compte tenu de la nature constitutionnelle de la CENI et de son indépendance. Pour autant, cette interprétation revient à vider de son utilité, le Cadre permanent du dialogue politique et social. Car, alors qu’il exerce des compétences impliquées dans celles constitutionnellement dévolues à la CENI, lorsque celle-ci est considérée comme en droit de s’affranchir des avis et recommandations du Cadre, conséquemment, l’utilité de ce cadre s’arrêtera là où le voudra la CENI, sur des questions politiques, électorales et assimilées. Il en résulte qu’en optant pour cette voie – pourtant plus pertinente et conforme au bon sens – le cadre se révèlerait nécessairement inefficace.

Inversement, on pourrait considérer que la nature formellement non obligatoire des « recommandations » du Cadre permanent du Dialogue politique et social semble  substantiellement ‘‘travestie’’ par l’intention d’une ‘‘relative dose d’obligatoriété’’. Cet argument prima facie étrange est – en apparence – conforté par un moyen de droit. Le premier repose sur l’article 5.2 (3) du décret qui relève que « le Cadre permanent est particulièrement chargé de veiller au respect des engagements pris par les différents membres ». En vérité, cette disposition ne règle pas le dilemme. Pour qu’elle ait pu être présentée comme venant au soutien d’un effet obligatoire déguisé des recommandations du Cadre permanent, il aurait fallu que le décret indique explicitement ou même implicitement, que les recommandations du Cadre permanent ont exactement pour objets, les engagements déjà pris en amont par les acteurs impliqués dans le dialogue. Or, il n’en est rien. Précisons sur cet aspect, que les acteurs susceptibles d’être impliqués dans le dialogue –au regard des missions qui leur sont dévolues – dépassent ceux désignés par l’article 2 du décret 031 portant création du cadre. Ils peuvent ainsi s’étendre aux organes constitutionnels, suivant une interprétation holistique du droit guinéen.

Le second moyen de droit repose sur l’article 5.2. (6) du décret. En vertu de cette disposition, le Cadre permanent du dialogue politique et social « est chargé de renforcer les capacités institutionnelles des structures impliquées dans le domaine du dialogue social et politique ». En réalité, cette disposition attire davantage l’attention sur l’importance politique reconnue au Cadre permanent qu’elle n’édifie sur la valeur des recommandations de celui-ci. Cet argument est conforté par le fait que le décret ne dit pas avec quels moyens le cadre permanent exercera une telle mission de renforcement des capacités des institutions. Car, de simples avis et recommandations seraient insuffisants en ce sens. On ne fera ainsi pas dire à cette disposition ce qu’elle ne dit pas.

En tout état de cause, hypothétiquement, si, d’une part, en temps de crise, les avis et recommandations du Cadre permanent du dialogue politique et social devraient correspondre aux engagements préalablement pris par les institutions y compris la CENI intégrée aux parties prenantes en raison de sa mission constitutionnelle. Et, d’autre part, si ces engagements formalisés dans des recommandations du cadre devraient a posteriori être suivis par les acteurs impliqués y compris la CENI, le cadre permanent du Dialogue politique et social deviendrait un organe préparatoire des décisions de la CENI. In concreto, en cas de crise politique ou électorale, pour que la CENI délibère, celle-ci devrait d’abord attendre que le Cadre permanent du dialogue politique et social se réunisse pour émettre des avis et recommandations. Sur cet aspect, devrions-nous peut-être relever qu’on ne sait pas, s’il y a une différence entre l’objet des avis et recommandations du Cadre permanent et l’objet des engagements que les acteurs sont susceptibles de prendre surtout lorsqu’ils se réunissent en temps de crise. En tous cas, le décret ne permet pas de lever l’équivoque sur ce genre de moment précis. Il n’en va pas de même des temps ordinaires.

Monsieur le Président de la République, au regard de l’ensemble de ces considérations, permettez-moi d’attirer votre attention sur un ensemble de situations. Tout d’abord, la création du Cadre permanent du Dialogue politique et social génère sa coexistence avec la CENI pour aborder – tous les deux – des questions similaires ; étant entendu qu’en l’état, le décret 031 ne permet pas de soutenir que les missions formellement assignées au Cadre permanent du dialogue politique et social ne relèvent pas substantiellement de la compétence de la CENI. Cette création suscite, ensuite, l’interférence de la première dans les compétences constitutionnelles de la seconde. L’interférence repose sur l’insuffisance manifeste de la définition des sujets sur lesquels le Cadre interviendrait mais qui ne relèveraient pas déjà de la compétence de la CENI. Elle tient également à l’inexistence d’indice organisant le temps d’intervention entre le Cadre permanent du dialogue politique et social et la CENI sur des questions qui demeurent similaires. Elle repose, en fin, sur l’absence d’indices prévoyant une possibilité d’arbitrage.

En conséquence, cette coexistence entre le Cadre permanent du Dialogue politique et social tel qu’il est organisé par le décret 031 et la CENI – sur des questions politiques et électorales – est susceptibles de générer soit l’affaiblissement de la CENI en tant qu’organe constitutionnellement investi de questions formellement affectées au Cadre permanent du dialogue politique et social. Soit, elle génèrera un blocage ou une ‘‘crise institutionnelle’’ dictée par un conflit d’interprétation. Or, chacun de ces facteurs est susceptible de compromettre l’objectif légitime ayant sous-tendue votre décision de créer le Cadre permanent du dialogue politique et social.

Au regard de ces considérations, le décret devrait clarifier les questions, politiques et électorales, affectées au Cadre permanent du Dialogue politique et social, qui ne relèveraient pas déjà de la compétence de la CENI. Car, ces deux organes ne sont pas seulement éminemment politiques ; ils sont également investis d’une mission qui détermine une finalité analogue : le fonctionnement régulier des institutions démocratiques dans un environnement de paix et de sécurité.

Monsieur le Président de la République, le raisonnement, ci-dessus présenté, en lien avec  les rapports entre la CENI et le Cadre permanent du Dialogue politique et social, vaut mutatis mutandis pour les relations entre le Cadre permanent du Dialogue politique et social et le Conseil économique, social, environnemental et culturel, sur des questions sociales. Suivant l’article 126 de la Constitution, « Le Conseil économique social, environnement et culturel « donne son avis sur des questions qui lui sont envoyées par le Président de la République  et le Président de l’Assemblée nationale ». Il est compétent pour examiner des projets ou propositions de lois ainsi que des projets de décret à caractère économique, social (….) ». (art. 126 C°). Dans le même sens, il peut, de sa propre initiative, et sous forme de recommandations, attirer l’attention du gouvernement et de l’Assemblée nationale sur les reformes d’ordre économique, social, (…) qui lui paraissent conformes ou contraires à l’intérêt général. (art. 126 al.4).

Sur cet aspect, on est tenté prima facie de considérer que le Cadre permanent du dialogue politique et social et le Conseil économique, social (EC) ne sont pas saisis par les mêmes autorités et n’interviennent pas sur les mêmes objets. D’abord par ce que les articles 6 et 7 du décret créant le cadre n’indique pas l’autorité de sa saisine pour l’émission des avis et recommandations. Mais il indique le destinataire qu’est le gouvernement. Concernant le Conseil économique, social (EC), il donne son avis sur des questions qui lui sont envoyées par le Président de la République et le Président de l’Assemblée nationale. Ensuite, parce que concernant le Conseil économique social (EC), il examine « des projets ou propositions de lois ainsi que des projets de décret à caractère économique, social ». En vérité, cette apparence de différence d’autorité de saisine et d’objets sur lesquels portent leurs actions normatives n’est qu’illusoire.

L’ambiguïté du décret demeure intacte, pour un ensemble de raisons. Tout d’abord, le fait que ce soit vous, Monsieur le Président de la République, qui saisissiez le Conseil économique social (EC) ne change rien au problème. Car, au titre de l’article 35 de la Constitution, vous déterminez et contrôlez la conduite de la politique de la nation. Or, le Premier ministre qui est chef de gouvernement est chargé de diriger, contrôler, coordonner et impulser  la politique que vous définissez. Cet aspect ne permet pas, encore une fois, de dresser une différence substantielle et claire entre le cadre permanent et le conseil économique, social, sur des questions sociales.

Ensuite, de la même manière que les avis et recommandations du Cadre permanent du Dialogue politique et social sont destinés au gouvernement, au titre de l’article 124.4 de la Constitution, « le Conseil économique, social (EC) « peut, de sa propre initiative, et sous forme de recommandations, attirer l’attention du gouvernement. La question qui se pose est ainsi celle de savoir, lorsque le Conseil attire l’attention du gouvernement sur une question sociale, le Cadre permanent peut-il être saisi de la même question ? La réponse affirmative accrédite l’option de la concurrence. Or, une telle interprétation porte en elle le germe du conflit de compétences attentatoire à la réalisation de l’objectif légitime qui a déterminé votre décision de créer un Cadre permanent de dialogue.

Différemment, le Conseil économique, social (EC) devrait-il, à la manière de la CENI, en cas de crise, d’abord assister au dialogue (eu égard à ses fonctions qui déterminent son intégration implicite dans la liste des membres définis par l’article 2 du décret 031), en tant qu’institution, au sein du Cadre permanent, avant de formuler ses recommandations au Gouvernement ? En répondant par l’affirmative, le Cadre permanent deviendrait un organe préparatoire des mesures du Conseil économique, social (…). Le choix d’une telle interprétation affaiblirait le Conseil économique, social (EC) et – ce qui en constitue le corollaire – aurait une incidence substantielle sur la répartition constitutionnelle des attributions entre organes. Car, en réalité, le Cadre permanent du dialogue politique et social ferait échec à un organe constitutionnel. Il serait ainsi perçu comme un instrument de défiance du Conseil économique, social (EC). Or, étant entendu votre qualité de garant de la Constitution, raisonnablement, on peut supposer que votre décision de créer le Cadre permanent du Dialogue a été motivée par une finalité légitime de consolidation de la paix. D’où l’intérêt de clarifier les compétences du Cadre permanent pour que la création de celui-ci ne puisse se prêter à une interprétation aux antipodes de votre intention légitime.

Monsieur le Président de la République, au regard de l’ensemble de ces considérations, permettez-moi d’attirer votre attention sur un ensemble de situations susceptibles d’affecter l’efficacité du Cadre permanent du dialogue politique et social. Tout d’abord, la création du Cadre permanent du Dialogue politique et social suscite sa coexistence avec la Conseil économique, social (EC) pour aborder – tous les deux – des questions similaires ; étant entendu qu’en l’état, le décret 031 ne permet pas de savoir quelles questions sociales sont assignées au Cadre permanent du dialogue politique qui ne relèvent pas déjà de la compétence du Conseil économique, social, (EC). Cette situation entraîne, ensuite l’interférence du Cadre permanent dans les compétences du Conseil. Cette interférence procède de l’insuffisance manifeste de la définition des questions sociales pour lesquelles le cadre serait saisi sans que celles-ci ne relèvent déjà de la compétence du Conseil économique, social (EC).

Elle résulte également de l’inexistence d’indice organisant le temps d’intervention entre le Cadre permanent du dialogue politique et le Conseil économique, social (EC) sur des questions sociales qui demeurent similaires, en l’état. De même, l’interférence tient à l’absence d’indices prévoyant une possibilité d’arbitrage. En conséquence, cette coexistence entre le Cadre permanent du Dialogue politique et social tel qu’il est organisé par le décret 031 et le Conseil économique, social (EC) – sur des questions sociales – est susceptible d’entraîner soit l’affaiblissement du Conseil économique, social, en tant qu’organe constitutionnellement investi de questions formellement affectées au Cadre permanent du dialogue politique et social. Soit, elle génère un blocage dû à un conflit d’interprétations. Or, aucun de ces facteurs ne se concilie avec l’objectif légitime ayant sous-tendu votre décision de créer le Cadre permanent du dialogue politique et social.

Au regard de ces considérations, le décret devrait explicitement indiquer les questions sociales sur lesquelles le Cadre permanent du dialogue politique et social intervient mais qui ne relèveraient pas de la compétence du Conseil économique, social, environnemental et culturel. 

Ces raisonnements valent mutatis mutandis pour les rapports entre le Haut conseil des collectivités locales (non encore opérationnel, art. 137 et s. de la Constitution) et le Cadre permanent du dialogue politique et social ; etc.

II. Sur la préexistence de cadres permanents de dialogue politique et social, avant le Décret 031 du 27 janvier 2021

En vertu de l’article 2 du décret du 27 janvier 2021, le Cadre permanent du dialogue politique et social constitue une « plateforme permanente de concertation et d’échange entre les partis politiques, les organisations sociales, les collectivités et le Gouvernement autour des questions d’intérêt national » (art. 2). Suivant l’article 5 du même décret, le cadre permanent du Dialogue politique et social est particulièrement chargé de « Veiller à ce qu’une concertation s’instaure entre les acteurs de la vie nationale, notamment sur des questions politiques et électorales, (…) ». (art. 5 Décret). Ces dispositions prévoient formellement l’existence d’un Cadre permanent du dialogue politique et social créé  par le décret 031 du 27 janvier 2021.

Pour autant, suivant une étude holistique du droit guinéen, ces dispositions ne peuvent pas être interprétées comme consacrant le seul cadre permanent de dialogue politique et social existant en Guinée. Car, avant le Décret 031 du 27 janvier, il existait déjà substantiellement dans la structure institutionnelle guinéenne, plusieurs cadres permanents de dialogue politique et social. Plusieurs raisons confortent cette idée. La première tient au fait qu’il n’est pas nécessaire que la dénomination formelle d’une institution comporte les termes « Cadre permanent du dialogue politique et social » pour qu’une telle institution représente un cadre permanant de dialogue politique et social.

En ce sens, la CENI constitue – par sa structuration, son mode de fonctionnement et sa composition – un cadre permanent du dialogue politique (avec une spécialisation sur des questions électorales et assimilées). Cet argument n’est pas seulement conforté par la nature permanente de la CENI. Il l’est également au regard de la composition de la CENI. Mais avant, relevons qu’au titre de l’article 9. 2. Du décret 031, le secrétariat permanent du Cadre permanent du dialogue politique et social est constitué « d’un secrétaire permanent ; d’un (01) représentant de la Présidence de la République ; d’un (01) représentant de l’Assemblée nationale ; de (02) Représentants du Gouvernement ; de (02) Représentants de l’opposition ; de (02) Représentants de la majorité ; de (02) Représentants de la Société civile.

Au surplus, « Chaque membre titulaire est désigné en même temps que son suppléant qui le remplace en cas d’empêchement ». (art. 9 décret 031). Il résulte de cette disposition, que la représentativité et la légitimité ont déterminé la composition du Cadre permanent du dialogue politique et social. Est-ce à dire, pour autant, que ces mêmes considérations n’ont pas dicté la composition des autres structures considérées, aux fins de ce travail, comme des cadres permanents de dialogue politique et social ? La réponse négative à cette question titre ses fondements dans plusieurs dispositions organisant la composition de certains organes constitutionnels.

Tout d’abord, la CENI représente un cadre permanent du dialogue politique et électoral qui prend déjà en compte cet objectif de représentation et de légitimité. Car, suivant l’article 6 de la Loi organique L/2018/ N°044/AN modifiant certaines dispositions de la loi organique L/2012/016/CNT, portant création, organisation, attribution et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), « au Niveau central, la CENI comprend dix-sept membres répartis comme suit : (02) deux membres désignés par les organisations de la société civile ; (01) un membre désigné par l’Administration ; (14) Quatorze membres désignés par les partis politiques dont (7) sept par les partis de la mouvance présidentielle et (7) sept désignés par ceux de l’opposition ».

En conséquence – au même titre que l’esprit de l’article 9 du décret instituant le cadre permanent – des exigences de représentativité et de légitimité ont déterminé la composition, au plan central, de la CENI. La question qui se pose, à ce stade, est celle de savoir, si la composition de la CENI est substantiellement distincte de celle du Cadre permanent du Dialogue politique et social ? La réponse à cette question est négative, pour deux raisons essentielles. La première tient au fait que la CENI guinéenne n’est pas « technique » mais une CENI politique, eu égard à sa composition, au même titre que le cadre permanent du Dialogue politique et social. La seconde repose sur le fait que ces deux structures sont, pour l’essentiel, constituées de représentants de la société civile, du gouvernement/administration, des partis politiques. Ainsi, au même titre que le nouveau Cadre permanent, la composition de la CENI est dictée par un objectif de représentativité destinée à lui assurer  une certaine légitimité. Il résulte de ces considérations que la CENI constitue bien un cadre permanent de dialogue politique et électoral.

Monsieur le Président de la République, outre la CENI, le Conseil économique social, environnemental et culturel représente également, un Cadre permanent de dialogue spécialisé dans le domaine social. Cette idée  repose sur ses compétences constitutionnelles ci-dessus présentées. De même, des objectifs de représentativité et de légitimité n’ont pas seulement déterminé la composition du Cadre permanent du dialogue politique et social. Ils ont également été intégrés dans la composition du Conseil économique, social (EC). Car, celui-ci est composé de manière à assurer la représentation des principales activités, économiques Sociales (EC) et surtout à favoriser la « collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles ; les organisations syndicales. Ainsi, au titre l’article 9 de la loi organique correspondante (sous réserve d’une réforme), le Conseil économique, social (EC) comprend 55 membres dont : 12 personnalités choisies par le Président de la République ; 12 salariés des secteurs publics et privés désignés par leurs centrales syndicales les plus représentatives de leurs branches d’activités ; 03 issus des associations à caractère social dont 01 désigné par l’Association des parents d’élèves et amis de l’Ecole ; 01 désigné par les Associations caritatives ; 01 désigné par les associations de locataires et usagers de services publics ; 04 issus des guinéens de l’étranger ; 20 issus de diverses branches et activités. Au regard de la composition du Conseil économique, social, (EC), celui-ci est davantage pensé comme un organe investi d’une mission sociale que ne l’est le Cadre permanent du dialogue politique et social constitué par le décret 031. Pour autant, leur composition respecte également les mêmes exigences de représentativité et de légitimité. Dès lors, le Conseil constitue, un cadre permanent de Dialogue spécialisé dans le cadre social.

On dirait, en conséquence, qu’il existe, au moins, un cadre permanent de dialogue spécialisé dans le domaine politique et électoral (la CENI) ; un cadre permanent de dialogue spécialisé sur des questions sociales (le Conseil économique, social, EC ) ; un Cadre permanent de dialogue spécialisé sur des questions de gouvernance territoriale (le Haut Conseil des Collectivités locales (quoique non encore opérationnel), etc. Rappelons qu’au titre de l’article 137 de la Constitution, « Le Haut Conseil des Collectivités Locales, organe supérieur consultatif, a pour mission de suivre l’évolution de la mise en œuvre de la politique de décentralisation, d’étudier et de donner un avis motivé sur toute politique de développement économique local durable et sur les perspectives régionales. Il peut faire des propositions concrètes au Gouvernement sur toute question concernant l’amélioration de la qualité de vie des populations à l’intérieur des collectivités locales, notamment la protection de l’environnement ». (art. 137 C°). Ces dispositions rappellent – sur les modes d’action – la structure de celles du décret 031 créant le cadre permanent du dialogue politique et social.

S’il existe déjà, substantiellement, des cadres permanents de dialogue dans des domaines politique et social, avant le décret 031, la question qui se pose est celle de savoir, quelle forme devrait prendre le cadre permanent du dialogue politique et social créé par le décret 031, au regard des objectifs qui ont déterminé sa création ?

Le Cadre du dialogue politique et social devrait être un cadre ad hoc pour plusieurs raisons. La première tient au fait qu’eu égard à la préexistence de plusieurs cadres permanents de dialogue dans les domaines politiques et sociaux, le nouveau cadre créé par le décret 031 se superpose à ceux-ci (aux précédents cadres), tant qu’il reste permanent. Cette superposition non articulée génère un problème d’interférence et d’empiètements sur les compétences des organes constitutionnels précités. Or, il a déjà été relevé qu’une telle situation entraverait la réalisation de l’objectif légitime ayant déterminé la création de ce nouveau cadre. Ainsi, en créant un cadre ad hoc, à supposer même que ses compétences s’interfèrent relativement dans le champ d’actions des cadres permanents de dialogues politique et social, les empiètements seraient politiquement compréhensibles pour deux raisons : la première tiendrait au caractère conjoncturel des empiètements. La seconde tient à la légitimité du motif (résolution de la crise) de sa création qui déterminerait la ‘‘tolérance’’ des empiètements.

Monsieur le Président de la République, étant entendu la longueur du texte, l’essai d’étude de ce Cadre permanent du Dialogue politique et social suppose que soient abordés: l’incidence de sa structure sur les succès de la réalisation de l’objectif poursuivi ; le mode de désignation des dirigeants de ce cadre, hormis le Premier ministre. Ces aspects pourront ainsi prochainement être traités.

En attendant, je vous souhaite, dans l’intérêt du peuple de Guinée, mes vœux de plein succès dans la mise en œuvre de la politique que vous avez définie.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, mes respectueuses salutations.

Paris, 24 août 2021

Jean Paul KOTÈMBÈDOUNO

Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Ecole de droit de la Sorbonne (EDS)

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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